Le président américain Barack Obama a promulgué mardi la réforme de l'assurance maladie
Cette réforme historique, qui vise à étendre la couverture santé à 32 millions d'Américains qui n'en avaient pas, a été définitivement adoptée par le parlement dimanche.
Quelques minutes seulement après sa promulgation, quatorze Etats ont saisi la justice contre la réforme, estimant qu'elle n'est pas constitutionnelle.
Dans l'"East Room", une salle d'apparat de la Maison Blanche pleine à craquer, Barack Obama, entouré de parlementaires démocrates et de membres de son administration ayant oeuvré à la réforme, a signé mardi le texte de loi. Celui-ci interdit aux compagnies d'assurance de refuser de prendre en charge un client qui ne répondrait pas à des critères médicaux préétablis.
Le vote de dimanche à la Chambre des représentants (219 contre 212) et l'adoption du texte ont mis fin à une âpre bataille parlementaire, coûteuse en terme de popularité pour le président des Etats-Unis. Elle constitue une victoire d'envergure après l'échec de Bill Clinton, en 1994. "Ce soir, alors que les experts disaient que ce n'était plus possible, nous avons élevé le niveau de notre politique", s'est félicité Barack Obama, qui a pris la parole à la Maison Blanche, après le vote de la Chambre des représentants.
"Ce dispositif ne réglera pas tout ce qui affecte notre système d'assurance maladie, mais il nous fait avancer dans la bonne direction (...) C'est à cela que le changement ressemble", a-t-il ajouté. De fait, quelque 13 millions d'Américains resteront sans couverture sociale, a fait remarquer lundi matin sur CNN le réalisateur de cinéma américain Michael Moore qui a réalisé en 2007 le film "Sicko" sur ce dossier.
Le vote de la Chambre des représentants avait été précédé d'intenses négociations dans les rangs démocrates. Les élus de la majorité hostiles à l'avortement, qui menaçaient de voter avec les républicains, ont finalement apporté leur soutien après avoir obtenu des garanties de la Maison blanche.
Le président Barack Obama leur a ainsi promis de réaffirmer l'interdiction du recours à des fonds public pour pratiquer l'avortement, une fois le texte adopté. Les élus ont également approuvé dimanche une série d'ajustements présentés dans la semaine pour rallier les suffrages des indécis. Ces ajustements seront intégrés à un projet de loi séparé dont le Sénat entamera l'examen cette semaine. Le vote, qui aura lieu à la majorité simple, devrait alors sceller la fin définitive du débat parlementaire.
14 Etats saisissent la justice
Quatorze Etats ont saisi la justice mardi contre la réforme, quelques minutes seulement après sa promulgation, estimant qu'elle est anticonstitutionnelle.
Le ministre de la Justice de Floride, Bill McCollum, notamment, conteste la disposition de la loi qui oblige les Américains à contracter une assurance à moins de payer une pénalité ennuelle. Il a été rejoint par ses collègues de Caroline du Sud, du Nebraska, du Texas, de l'Utah, de la Pennsylvanie, de l'Etat de Washington, du Dakota du Nord, du Dakota du Sud, du Colorado, de l'Alabama, du Michigan et de la Louisiane. La Virginie a intenté sa propre action.
Au Sénat, le combat de la minorité républicaine contre la nouvelle loi va continuer. Elle va tenter de faire échouer l'adoption de "corrections" du texte voulues par les démocrates. Elle souhaite ensuite déposer une série d'amendements afin de retarder le processus et de faire en sorte que le texte retourne à la Chambre des représentants pour y être à nouveau voté.
Enfin, le sujet de la réforme de santé restera l'un des thèmes majeurs de la campagne pour les élections de mi-mandat, en novembre. "Les sénateurs républicains vont désormais faire tout leur possible pour remplacer les hausses d'impôts massives et les baisses de remboursement par les réformes que nos électeurs ont réclamées pendant ce débat", a averti Mitch McConnell, président du groupe à la chambre haute.
Manifestations des lobbies
Plusieurs centaines de manifestants se sont rassemblés dimanche devant le Capitole pour protester contre la réforme aux cris de "Kill the Bill!" ("Tuez le projet de loi!"). Beaucoup ont pénétré dans l'enceinte parlementaire pour interpeller directement les élus. Les débats ont même dû être brièvement suspendus.
Les compagnies d'assurance, puissant lobby qui finance les campagnes électorales, ont farouchement combattu le projet. Leur cote est repartie à la hausse cette semaine sur les marchés financiers, lorsque les investisseurs ont réalisé que leurs pires craintes n'étaient pas fondées. Les laboratoires pharmaceutiques, les hôpitaux et bien d'autres acteurs du monde de la santé tireront parti de l'augmentation du nombre d'assurés. Le texte adopté dimanche n'autorise pas les pouvoir publics à limiter les primes d'assurances ou les tarifs des soins. L'opinion reste, quant à elle, très partagée.
Quel coût politique ?
Après le vote de la Chambre des représentants, la presse américaine s'interroge sur le coût politique du vote: l'impopularité de la réforme, les concesssions faites aux anti-avortement; la colère renforcée de l'opposition républicaine, vent debout contre la réforme. Les républicains espèrent en profiter pour "retrouver leur base électorale et affaiblir les démocrates lors des élections de mi-mandat en novembre", analyse le Boston Globe, cité par Le Monde.
A ce propos, le Washington Post rappelle la "monumentale défaite" subie par les démocrates lors de la sénatoriale du Massachusetts (pour désigner un successeur à Ted Kennedy).
Le système américain de protection de la santé est injuste et très cher
"Si la réforme échoue, Barack Obama sera considéré comme un président faible, qui ne tient pas son camp" démocrate, analyse un professeur de sciences politiques à l'université du Minnesota, Eric J. Ostermeier, cité par Libération. "Mais s'il réussit, les démocrates risquent aussi de perdre beaucoup de sièges aux prochaines élections [à l'automne, NDLR], ce qui rendra plus difficile l'adoption d'autres réformes. Car cette réforme de la santé est maintenant plutôt impopulaire. C'est une loi", dont l'élaboration a été très longue, "que pratiquement personne n'a lue et dont les effets positifs ne seront pas visibles" immédiatement, constate le politologue.
Pour un Européen, l'acrimonie de nombreux Américains, particulièrement les républicains, contre la réforme de la sécurité sociale a quelque chose d'irrationnel. Car quelque 45 millions d'Américains ne sont couverts par aucune assurance, avec tous les drames que cela implique en cas de pépin de santé, comme l'a férocement montré le film de Michael Moore intitulé "Sicko". Sans compter tous les stratagèmes utilisés par "l'industrie de l'assurance" (comme disent les Américains), très puissant lobby qui sait financer les campagnes électorales, pour ne pas payer...
Résultat, le système américain est beaucoup plus injuste et beaucoup plus onéreux que le système européen: 16 % du PIB aux Etats-Unis, contre 10 % sur le Vieux continent, selon les chiffres donnés en 2007 à france2.fr par le prix Nobel américain d'économie Joseph Stiglitz. A titre d'exemple, une personne pauvre qui est porteur du virus du SIDA n'est pas couverte par le système de soins américain. Conséquence: on attend qu'il tombe malade pour le prendre en charge. Ce qui revient au final beaucoup plus cher à la société...
"Fondements culturels"
Comment expliquer ce paradoxe ? La réforme Obama "touche à nos fondements culturels", explique ainsi dans Libération le directeur du Trust fort Americ's Helath, organisme qui a soutenu la réforme Obama. Toute l'histoire de la nation américaine, composée notamment de descendants d'Européens qui ont fui des persécutions politiques et religieuses sur le Vieux continent, "est nourrie de suspicion envers le gouvernement. Et la notion de solidarité n'a pas la même valeur qu'en Europe", ajoute Jeffrey Levi.
Aux Etats-Unis, la notion d'initiative privée et de propriété individuelle est très développée. "C'est un paradoxe pour un pays qui se veut aussi religieux que les Etats-Unis, mais ici, solidarité évoque 'socialisme'", ajoute le patron de Trust for America's Health. Et de poursuivre avec humour: "La plus grande insulte" est "de dire qu'on créerait un système à la française"...
Les principaux points de la réforme
- Objectif: offrir une couverture maladie à au moins 32 millions d'Américains qui en sont dépourvus et couvrir environ 95% des moins de 65 ans.
- "Bourse": Le texte crée dans chaque Etat une bourse des polices d'assurances pour promouvoir la concurrence et tenter ainsi de faire baisser les prix des primes d'assurance.
- Pénalité-incitations: chaque personne est tenue d'être assurée ou bien de payer une pénalité qui augmentera progressivement jusqu'à 2,5 % de ses revenus en 2016. Les entreprises de plus de 50 salariés qui ne fourniront pas de couverture seront également pénalisées à raison de 2000 dollars par an par salarié non couvert. En revanche, les petites entreprises et les ménages modestes recevront des crédits d'impôts et des aides pour financer l'assurance santé.
- Obligations pour les assureurs: les compagnies se verront interdire de refuser une couverture au prétexte de problèmes de santé pré-existants. En outre, le texte prévoit de combattre les hausses de tarifs "déraisonnables ou injustifiées" imposées aux assurés par des compagnies privées.
- Taxation: les assureurs, qui vont bénéficier d'un plus grand nombre d'assurés, devront acquitter 67 milliards d'impôts nouveaux sur 10 ans. La facture atteint 23 milliards pour l'industrie pharmaceutique et 20 milliards pour celle des équipements médicaux.
- Amélioration pour les personnes âgées: la nouvelle loi prévoit de combler les failles actuelles, surnommées "trou dans le beignet" ("doughnut hole"), de la couverture santé des personnes âgées, qui bénéficient du programme Medicare.
- Subventions aux dispensaires de quartier: Le projet investit 11 milliards de dollars sur cinq ans dans ces dispensaires qui soignent actuellement 20 millions d'Américains.
- Coût de la réforme: 940 milliards de dollars sur 10 ans mais les experts estiment que la réforme doit réduire le déficit de 138 milliards sur les 10 premières années et de 1.200 milliards la décennie suivante.
- Pas de caisse publique: la réforme ne crée pas de caisse publique d'assurance maladie, pourtant souhaitée par l'aile gauche du parti démocrate et promise dans un premier temps par le président des Etats-Unis.
L'actuel système de couverture de santé aux USA
Le projet de loi approuvé dimanche apporte une couverture à au moins 32 millions de personnes dépourvues d'assurance sociale.
Selon le bureau du recensement américain, le pourcentage de personnes sans couverture maladie en 2008 était de 15,4 %, soit 46,3 millions d'individus. Parmi ces personnes, figurent environ 10 millions de citoyens étrangers résidant aux Etats-Unis. Par ailleurs, plusieurs millions d'Américains disposent de couvertures maladie qui ne couvrent pas l'ensemble de leurs frais, dans un pays où les frais médicaux et pharmaceutiques sont exorbitants.
La réforme chère au président Barack Obama ambitionne de couvrir 95 % des Américains de moins de 65 ans. La majorité (58,5 % en 2008) des assurés sont couverts par des polices souscrites par leur employeur. Mais en cas de licenciement, nombre de ces salariés se retrouvent du jour au lendemain sans aucune couverture.
Les autres assurés sont couverts par des assurances privées qu'ils ont choisies. Il existe aussi des systèmes d'assurance publics, dont les principaux sont le Medicare (pour les handicapés et les personnes âgées de plus de 65 ans, soit 43 millions d'individus) et le Medicaid (pour les personnes défavorisées, soit 42,6 millions d'individus).
Par ailleurs, selon l'OCDE, les Etats-Unis dépensent plus que n'importe quel autre pays industrialisé pour la santé. En 2007, les Américains ont consacré 16% de leur PIB à des dépenses de santé, soit en moyenne cinq points de plus que la France, la Suisse et l'Allemagne, les trois pays industrialisés qui dépensent le plus après les Etats-Unis (environ 10 % de leur PIB).
L'étude de l'OCDE précise que les Américains ont dépensé en moyenne 7290 dollars par personne en 2007 pour leur santé. Soit près de 3000 dollars de plus que les Norvégiens ou les Suisses, qui talonnent les Etats-Unis en termes de dépenses de santé par personne.
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