Cet article date de plus de douze ans.

Le 4 mars 2011 à Tripoli...

Tripoli, 10 jours après le début soulèvement populaire de 2011. Rares sont les journalistes à avoir obtenu un visa ─ nous sommes, à ce moment, la seule équipe de télévision française présente dans la capitale. Tous sont regroupés dans un hôtel par le pouvoir et sévèrement encadrés lors de chaque déplacement. La contestation s'étend dans le pays et le vendredi, jour de prière, s'annonce explosif.
Article rédigé par Catherine Le Brech
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
  (Duilio Giammaria)

Je pensais sincèrement que la journée était ratée. Qu’on n’avait pas choisi la bonne option. Pas été «sur le coup». Mais accroupi derrière l’aile avant d’une vieille berline, je réalise que je me suis trompé.

Pas que je sois heureux de me contorsionner pour rester à l’abri… Juste l’impression d’être là où il fallait. Ce jour-là, beaucoup de nos confrères ont pris la direction de Tajoura, le quartier rebelle de Tripoli. Pour la plupart, ils n’ont pas passé le premier check-point. Quadrillage sans précédent de la ville par les forces de sécurité.

Mais nos confrères Gilles Jacquier, Christophe Kenk et quelques autres ont trouvé une faille dans le filet mis en place par les pro-Kadhafi pour empêcher les journalistes d’approcher le cœur de la contestation populaire. Pas nous. A contrecœur,  avec Gionna Messina – le caméraman qui m’accompagne – nous avons gagné le centre-ville, saturé par les pro-Kadhafi.

Il a quand même fallu jouer des coudes au milieu des autres journalistes pour monter dans un mini-bus affrété par le régime, direction la place Verte. Pour les autres, ce jour-là, la révolution se fera à l’hôtel devant les écrans d’Al Jazira. Nous sommes du voyage (sous bonne garde). Persuadés que nous n’aurons, cette fois encore, droit qu’aux démonstrations de force des supporters du régime.

Et pourtant, 1h plus tard...
Nous voici réfugiés dans cette allée d’ordinaire si calme. Au coin de la rue, la révolte. Des déflagrations.  Je ne sais plus trop ce qui se passe. Mais j’entends un bruit sourd et répétitif. Des pierres – lourdes – qui s’écrasent au sol.  Et des hurlements.

A quelques mètres de nous, pro et anti-Kadhafi s’affrontent ouvertement dans les rues de la vieille ville. Depuis notre arrivée dans la capitale libyenne,  nous avions vu la répression organisée par le pouvoir. Mais cette fois, ce sont des habitants. Entre eux. Les prémices d’une guerre civile qui s’annonce.

Le face-à-face a commencé quelques secondes plus tôt à la sortie de la majestueuse mosquée Nasser. A coups de pancartes pro-régime, au début, puis de barres de fer… Une clameur. Des invectives. Et une rafale de kalachnikov. Des centaines de personnes qui s’enfuient. Et nous avec.

Dans notre dos, une deuxième rafale. Impossible de se retourner. Trop risqué. Et nous voici donc accroupis derrière cette vieille Mercédès…

Dans la panique générale, les gardes chargés de nous surveiller ont disparu.

Enfin libres !
Alors, la parole des Tripolitains se libère elle-aussi. Devant notre caméra, les insultes fusent à l’encontre du dictateur. Il faut de longues minutes pour que la tension retombe. Les rebelles ont battu en retraite. Ils ne sont pas encore assez nombreux pour l’emporter.

Sous les arches de la place d’Algérie, la police secrète du régime emmène plusieurs opposants, le visage en sang. Le temps de reprendre nos esprits et nos gardes nous retrouvent. Tout s’enchaîne. Pas le temps de multiplier les interviews. Poussés dans un mini-van. Direction la prison dorée où les journalistes occidentaux sont assignés à résidence.

Ce vendredi-là, nous n’avons pu bénéficier que de ces quelques minutes de liberté.

Mais elles ont suffi à alimenter un reportage pour le 20h. Un reportage qui en disait long sur une vérité que le régime tentait à tout prix de cacher : un soulèvement populaire en marche, y compris au cœur de la capitale.

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