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La Russie décrète l'embargo sur les capotes étrangères

En ajoutant les préservatifs à la liste des produits étrangers interdits d'importation sur le territoire, le gouvernement russe s'attire les railleries des internautes. Une décision qui semble peu judicieuse alors que le nombre de cas de Sida explose, et qui va dans le sens d'un conservatisme accru.
Article rédigé par Miriam Palisson
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Cette photo date de décembre 2011, quand le président russe avait comparé les rubans blancs du mouvement de protestation «Pour des élections honnêtes» à des préservatifs. (Kirill Kudryavtsev/AFP)

Après avoir écrabouillé en direct devant les caméras des télévisions d'Etat des tonnes de denrées alimentaires – dont 9 tonnes de fromage, un «fromagicide» qui a ému Twitter –  le 6 août, le gouvernement russe crie haro sur la capote étrangère. Il l'a ajoutée à la liste des produits sous embargo établie en représailles aux sanctions liées au conflit en Ukraine, avec une série d'articles médicaux : pansements, béquilles, défibrillateurs…

Cet embargo désole sans doute les professionnels de la santé et à coup sûr le journal Novaïa Gazeta, qui dénonce «un gouvernement sans cœur» «L'interdiction de produits médicaux d'importation n'est pas dirigée contre l'Occident, mais contre nous, qui vivons ici. On nous tue», estime un éditorialiste. Pourtant, certains veulent «positiver», du moins en ce qui concerne le préservatif étranger.

Des effets positifs d'une pénurie de préservatifs
Une responsable industrielle, Anna Palaguina, estime cette décision bienvenue pour booster la production de préservatifs «nationaux». Ceux de fabrication étrangère sont de toute façon trop chers pour les étudiants ou les Russes peu fortunés.

L'ancien responsable des services sanitaires du pays, Gennadi Onichtchenko, s'est fait remarquer en envisageant d'autres effets bénéfiques d'une telle pénurie : «discipliner les Russes» en les obligeant à être plus sélectifs dans le choix de leurs partenaires, et favoriser les naissances dans une Russie confrontée à un problème démographique.

Les internautes se sont fait une joie de partager ces propos. La Toile russe réclame «Un préservatif pour Onichtchenko». Twitter déplore qu'il sorte de la naphtaline pour une telle prise de parole, le traite aimablement de «capote percée» ou regrette que son père (lien en russe) n'en ait pas eu sous la main.

La déclaration de G. Onichtchenko tweetée. Sur le «modèle» de la destruction des denrées, la région du Primorié propose d'enterrer au bulldozer les préservatifs de fabrication étrangère. Le préservatif russe a changé depuis 1955, mais sa qualité laisse encore à désirer. Le profil du compte «Préservatif de Russie». (Mikhaïl Zlatkovski/Twitter, Yandex)

De toute façon, selon l'ancien médecin-chef du pays, connu pour ses «ordonnances» improbables – lors des grandes manifestations anti-Poutine de l'hiver 2012, il conseillait par exemple à la population de rester au chaud – «le préservatif n'a aucun rapport avec la santé». Le personnel médical et les organismes de lutte contre l'épidémie de VIH, qui atteint un niveau très inquiétant en Russie apprécieront.

Des effets sanitaires d'une pénurie de prévention
La Russie totalise à elle seule autant de cas de séropositivité que l'ensemble de l'Europe et détient la palme du taux d'infection (55,6 pour 100 000 habitants, selon l'OMS). De plus, c'est l'un des rares pays où l'épidémie de VIH continue à progresser, alerte le responsable du Centre de lutte contre le sida, Vadim Pokrovski. Depuis 2010, le nombre de cas de séropositivité a presque doublé : de 500 000 en 2010, il serait passé à environ 930 000 aujourd'hui (certains experts soupçonnent les statistiques d'être en dessous de la réalité). La barre du million pourrait être franchie en 2016. Ces déclarations ont valu à Vadim Pokrovski d'être accusé de «contrevenir aux intérêts du gouvernement» (lien en russe). 

Responsable de cette explosion des cas de VIH, toujours selon le directeur du Centre de lutte contre le sida, l'insuffisance des mesures sanitaires mises en place par le gouvernement, et aussi la politique de promotion de valeurs conservatrices par le Kremlin. Le budget des campagnes de prévention pour inciter les jeunes au port du préservatif est insuffisant, selon Vadim Pokrovski. Le spécialiste dénonce l'influence de l'Eglise orthodoxe russe, qui préfère multiplier les appels à l'abstinence. Quant à des cours d'éducation sexuelle à l'école, n'y comptez pas. «Jamais», a déclaré le délégué aux Droits de l'enfant, pour qui «la littérature russe est le meilleur moyen pour les jeunes d’en savoir plus sur la sexualité». 

On sait qu'il ne fait pas bon être homosexuel en Russie (même si certains croient à une amélioration) ; pour les séropositifs et les militants qui tentent de les aider, la situation est très difficile aussi. La méthadone (substitut à l'héroïne prescrit pour réduire le risque de contamination au VIH) est par exemple interdite en Russie (et en Crimée depuis son annexion), et les programmes d'échanges de seringue mis en place par des ONG sont tout juste tolérés. 

Des militants représentant patients et médecins sont agenouillés au pied de personnages encapuchonnés de noir personnifiant les laboratoires pharmaceutiques. Action de protestation contre le manque de traitements contre le virus du sida et leur prix élevé, à Moscou, le 14 mai 2015. 
 (Instagram/Godlevskaya)
D'autre part, la chute du rouble a fait augmenter le prix des traitements anti-VIH. Le 14 mai 2015, des activistes ont été arrêtés après une action à Moscou pour protester contre cette augmentation et le nombre insuffisant des traitements. Le Kremlin a promis un contrôle de ces prix, mais les participants à cette manifestation «non autorisée» sont passibles d'une forte amende ou de 40 jours de travaux d'intérêt général.

En Russie, les séropositifs peuvent se voir licenciés de leur travail ou mis à l'index par une population qui connaît mal le VIH et pour qui le sujet est tabou. Un tabou qui touche aussi, de façon plus large, les personnes handicapées : la sœur autiste du célèbre mannequin Natalia Vodianova a ainsi été récemment expulsée dun café moscovite par son proriétaire, au motif qu'elle faisait «peur aux gens».

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