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L'émissaire de l'Union africaine Thabo Mbeki a appelé lundi les dirigeants ivoiriens à "préserver la paix"

Thabo Mbeki a lancé cet appel à l'issue d'une médiation de deux jours à Abidjan durant lesquels il a rencontré successivement les deux présidents proclamés, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo.Alors que la Côte d'Ivoire s'enfonce dans une grave crise née de la présidentielle du 28 novembre, l'Onu a commencé à évacuer son personnel du pays.
Article rédigé par France2.fr avec agences
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Pneus brûlés à Abidjan par des partisans d'Alassane Ouattara le 4 décembre 2010 (AFP - ISSOUF SANOGO)

Thabo Mbeki a lancé cet appel à l'issue d'une médiation de deux jours à Abidjan durant lesquels il a rencontré successivement les deux présidents proclamés, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo.

Alors que la Côte d'Ivoire s'enfonce dans une grave crise née de la présidentielle du 28 novembre, l'Onu a commencé à évacuer son personnel du pays.

Les Nations unies ont décidé de retirer leur personnel non essentiel, soit 460 personnes, a indiqué un porte-parole lundi. La mission de l'ONU dans le pays compte plus de 10.000 Casques bleus, policiers et employés civils.

De son côté, France Télécom-Orange a décidé de rapatrier lundi et mardi l'ensemble de ses salariés français ou binationaux non indispensables à ses activités en Côte d'Ivoire ainsi que leurs familles, soit une vingtaine de personnes au total.

Quant à la Banque mondiale et à la Banque africaine de développement, elles ont
dénoncé un "effondrement de la gouvernance" en Côte d 'Ivoire et annoncé leur intention de réévaluer leurs programmes de prêts à ce pays.

La Banque mondiale avait lié l'effacement de trois milliards de dollars de dette extérieure de la Côte d 'Ivoire (évaluée au total à 12,5 milliards de dollars) à la tenue d'élections présidentielles, reportées depuis des années.

Sur place, la tension monte
La tension restait forte lundi en Côte d'Ivoire: des jeunes pro-Ouattara sont de nouveau descendus dans les rues d'Abidjan, et le couvre-feu nocturne qui devait s'achever ce lundi, tout en étant allégé de quelques heures, a été prolongé d'une semaine par Laurent Gbagbo.

Lundi matin, des jeunes pro-Ouattara ont manifesté dans les rues des quartiers d'Adjamé, Abobo (nord), Treichville et Koumassi (sud), mettant le feu à des pneus et érigeant des barricades avant que la police ne les disperse à l'aide de gaz lacrymogènes.

Le monde entier redoute un nouveau cycle de violences après des incidents meurtriers ces derniers jours. Selon Amnesty International lundi, au moins 20 personnes ont été tuées dans des "incidents violents" en Côte d'Ivoire depuis le second tour de la présidentielle le 28 novembre.

Interrogé lundi par Europe 1 sur le fait de savoir s'il était prêt à "déloger" Laurent Gbagbo du pouvoir, le Premier ministre d'Alassane Ouattara, Guillaume Soro, n'a pas exclu une confrontation. "S'il nous oblige, on n'aura pas d'autre choix", a-t-il averti, tout en plaidant pour une issue pacifique.

Alors que l'Union européenne faisait planer la menace de sanctions, la France a appelé à une transition "digne" du pouvoir. Le président français Nicolas Sarkozy a réaffirmé depuis l'Inde que "le président élu (était) Alassane Outtara", et le Quai d'Orsay a estimé que l'heure était "à la recherche d'une transition ordonnée, sereine et digne". Le chef de l'Etat français s'est également déclaré "très vigilant" sur la sécurité des Français vivant dans le pays.

Un fauteuil pour deux à la présidence
Depuis le second tour de l'élection présidentielle le 28 novembre, la Côte d'Ivoire s'enfonce dans une grave crise politique. Les deux candidats, Alassane Ouattara et Laurent Gbagbo, le président sortant, se revendiquent tous deux présidents.

Désigné vainqueur par la commission électorale avec 54,1 % des voix, et reconnu par la communauté internationale, Alassane Ouattara a formé dimanche son gouvernement après avoir reconduit comme Premier ministre Guillaume Soro.

Chef du gouvernement de Laurent Gbagbo depuis l'accord de paix de 2007, Guillaume Soro, leader de l'ex-rébellion des Forces nouvelles (FN) qui contrôle le nord du pays depuis le putsch raté de 2002, détient aussi le portefeuille de la Défense.

Laurent Gbagbo n'a pas tardé à répliquer, annonçant dans la soirée la nomination de l'universitaire Gilbert Marie N'gbo Aké au poste de chef du gouvernement. Cet économiste est président de la principale université d'Abidjan, dans le quartier chic de Cocody.

Ouattara propose des postes ministériels au camp Gbagbo
Alors que la situation semblait totalement bloquée, Alassane Ouattara a fait un geste envers Laurent Gbagbo lundi en proposant d'intégrer des ministres de son rival dans son gouvernement s'il démissionnait.

"Si Laurent Gbagbo accepte tranquillement de partir du pouvoir, les ministres de son parti seraient les bienvenus dans ce gouvernement que nous entendons diriger", a déclaré Guillaume Soro sur Europe 1.

La médiation de Thabo Mbeki n'a pas permis d'avancer
Pour tenter d'apaiser le climat et éviter que la situation politique ne dégénère, l'ancien président sud-africain Thabo Mbeki, dépêché en urgence par l'Union africaine, a passé deux jours en Côte d'Ivoire. Sans avancée notable, semble-t-il.

Déjà médiateur dans la crise ivoirienne par le passé, il a rencontré successivement le représentant spécial de l'ONU dans le pays, Youn Jin Choi, puis le président sortant Laurent Gbagbo. Il a également discuté avec Alassane Ouattara qui s'est montré très ferme: "Je lui demande de demander à M. Laurent Gbagbo de ne pas s'accrocher au pouvoir", a déclaré Ouattara.

"Il n'est pas question d'arriver à une partition de la Côte d'Ivoire", a déclaré Guillaume Soro, premier ministre de Ouattara et chef de l'ex-rébellion des Forces nouvelles, qui a contrôlé tout le nord du pays après le coup d'Etat manqué de 2002 contre le président sortant.

La situation "est évidemment très grave", a reconnu de son côté l'émissaire de l'Union africaine, appelant à "ne pas revenir à la guerre". A l'issue d'une nouvelle rencontre avec Laurent Gbagbo lundi ,Thabo Mbeki a appelé les dirigeants ivoiriens à faire "tout leur possible" pour préserver la paix. Il a quitté le pays en fin de journée lundi.

Le portrait d'Alassane Ouattara

L'ancien Premier ministre, Alassane Ouattara, donné vainqueur par la Commission électoral (AFP - ISSOUF SANOGO)

Né le 1er janvier 1942, Alassane Dramane Ouattara, dit ADO, est le fils d'un commerçant et transporteur prospère, descendant au début du XVIIIe du fondateur de l'empire Kong, à cheval sur le Mali, le Ghana, le Burkina Faso et la Côte d'Ivoire. Il fait ses études aux Etats-Unis où il obtient un doctorat en économie à l'université de Pennsylvanie à Philadelphie.

En 1968, il intègre le Fonds monétaire international (FMI) à Washington. En 1973, il part pour la Banque centrale des Etats de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO) dont il va devenir vice-gouverneur. Il exerce notamment au Burkina Faso (alors la Haute-Volta), ce que lui reprocheront par la suite ses adversaires en l'accusant d'être de nationalité burkinabé. En 1984, il retourne au FMI comme directeur du département Afrique. Quatre ans plus tard, il est nommé à la tête de la BCEAO par l'indéboulonnable président ivoirien Houphouët Boigny.

En 1990, la Côte d'Ivoire traverse une grave crise économique, lié notamment à la baisse des prix du cacao dont le pays est le premier producteur mondial. "Houphouët" nomme Alassane Houattara premier ministre. Il compte sur ce "haut fonctionnaire international à la réputation sans tâches et rompu aux arcanes des institutions financières internationales" (selon le portrait que
RFI brosse de lui) pour redresser la situation. Il reste chef du gouvernement jusqu'en 1993.

Alassane Ouattara va mener une politique de rigueur budgétaire durement ressentie par la population. En février 1992, son gouvernement emprisonne l'opposant Laurent Gbagbo avec d'autres dirigeants de son parti, le Front populaire ivoirien (FPI).

En décembre 1993 meurt le président Houphouët Boigny, "père de la nation" et de l'indépendance. Les jours qui suivent "restent un inépuisable sujet de débat", note RFI. Ses adversaires l'accusent d'avoir voulu s'emparer du pouvoir alors que constitutionnellement, ce rôle doit revenir au président de l'Assemblée nationale, à l'époque Henri Konan Bédié.

Ce dernier va l'emporter. L'un des objectifs d'Henri Konan Bédié est alors de barrer la route à Alassane Ouattara qui envisage de se présenter à la présidentielle de 1995. Il fait voter un code électoral qui stipule notamment que tout candidat doit "être Ivoirien de naissance, né de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens". Dans le même temps, le président promeut le concept d'"ivoirité", qui met à mal la cohabitation pacifique entre populations du Nord, en majorité musulmanes, et les autres peuples du pays. La presse se remplit d'articles xénophobes.

Ouattara, lui, retourne au FMI comme directeur général adjoint. Il revient en Côte d'Ivoire en juillet 1999 avec la ferme intention de se présenter à la présidentielle de 2000. Le pouvoir lance alors une campagne sur sa supposée nationalité burkinabée, et donc son inéligibilité. Menacé d'arrestation, il doit à nouveau quitter le pays. Une vague de répression s'abat sur ses partisans regroupés au sein du RDR. Mais le 24 décembre 1999, l'armée, avec le général Gueï à sa tête, s'empare du pouvoir, Henri Konan Bédié part en exil. Ouattara, lui, peut rentrer à Abidjan. Certains l'accuseront d'avoir fomenté le coup d'Etat...

Ses relations vont rapidement se tendre avec le nouveau régime. En 2000, sa candidature à la présidentielle est écartée pour cause de "nationalité douteuse". Le scrutin voit l'élection de Laurent Gbagbo. Le RDR décide de boycotter les législatives.

En 2001, Laurent Gbagbo réunit un Forum de réconciliation nationale avec Alassane Ouattara, Robert Gueï et Henri Konan Bédié. L'ancien dirigeant du FMI se voit reconnaître sa nationalité ivoirienne. Et son parti va participer au gouvernement.

Mais en 2002 a lieu une nouvelle tentative de coup d'Etat. Le général Gueï et le ministre de l'Intérieur sont assassinés. La résidence d'Alassane Ouattara est mise à sac. Ce dernier se réfugie en France. Ses adversaires, à commencer par le président Gbagbo, l'accusent à nouveau d'être le cerveau des mutins...

Dans le même temps, une rébellion occupe la moitié nord du pays. Des troubles qui feront des milliers de victimes. Différents accords entre les belligérants seront signés notamment en France et au Ghana.

En 2005, Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara et Henri Konan Bédié discutent ensemble à Prétoria. Ouattara va pouvoir rentrer en Côte d'Ivoire l'année suivante, avec l'assurance d'être autorisé à se présenter à la présidentielle.

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