: Vidéo "Le populisme est en train de gagner partout dans le monde", alerte Roberto Saviano, l'écrivain italien opposé à Matteo Salvini
Selon le romancier italien Roberto Saviano, Matteo Salvini "est en train de détruire la communication démocratique". Sur franceinfo, l'auteur de "Gomorra" et "Piranhas" alerte sur la montée du populisme "partout dans le monde".
Il y a "une vraie urgence démocratique mondiale" face au populisme qui gagne du terrain "partout dans le monde", affirme lundi 8 octobre sur franceinfo Roberto Saviano. D'après l'auteur de Gomorra, Matteo Salvini "est en train de détruire la communication démocratique".
L'écrivain "anti-mafia", qui publie Piranhas, aux éditions Gallimard, vit toujours sous protection policière depuis 12 ans et se sent "seul" face aux "humiliations" quotidiennes du ministère de l'Intérieur italien. Selon lui, le fait que le président du Conseil italien Matteo Salvini ait menacé de lui retirer la protection est "une boutade", mais reste "très très grave". "Il est en train de mettre le viseur sur moi. C'est une menace", a-t-il affirmé. Roberto Saviano fait également remarquer que la réalité qu'il décrit dans son roman existe aussi dans "les banlieues françaises" qui sont "dominées par les organisations criminelles".
franceinfo : Matteo Salvini est-il une menace contre la démocratie ?
Roberto Saviano : Je crois que oui. Avec sa façon de parler, de communiquer, violente, avec cette ironie de bistrot, il est en train de détruire la communication démocratique. La tradition de la démocratie, c'est : la parole est tout, la parole est formatrice, la parole forme l'institution. Maintenant que je suis en France, il a posté quelque chose, en s'adressant au président de la République Emmanuel Macron : "Liberté, publicité, garde-le avec toi". Un leader de la droite, d'un petit parti de droite italien, a dit : "Président, faisons un échange, on vous laisse Saviano, vous nous redonnez la Joconde". Je crains que si la France démocratique ne trouve pas un autre chemin, regarder l'Italie voudra dire regarder son avenir. Quand je dis qu'il faut changer de direction, il faut donner une réponse sur la thématique des migrants, sur le droit au travail. Le populisme est en train de gagner partout dans le monde. Il y a une vraie urgence démocratique mondiale, comme il n'était jamais arrivé dans les cinquante dernières années.
Vous êtes en conflit avec Salvini qui a menacé de vous retirer votre protection. Vous y croyez ?
Je crois que cela a été une boutade, le théâtre de propagande que Salvini fait toujours. Il n'a pas conscience que cette propagande faite comme cela, de la part du ministre de l'Intérieur, c'est très, très grave. Une escorte n'est pas un privilège, c'est un drame. J'ai hâte qu'elle s'arrête d'exister, mon escorte. Ce que je devrais faire pour la perdre, c'est m'enfermer dans le silence. Tous les ministres de l'Intérieur de n'importe quelle démocratie savent cela. On enlève une voiture de protection, quelques policiers. On te remet dans la vie normale. Lui, en disant "je t'enlève tout", il est en train de mettre le viseur sur moi. Sa façon de communiquer, c'est "continue comme cela, et je t'enlève la protection". C'est une menace.
Cela fait 12 ans que vous vivez sous protection policière. Comment le vivez-vous ? Quel est votre état d'esprit ?
On vit très caché et toujours écrasé entre deux forces épouvantables. Une force qui te rappelle que tu es un condamné à mort, et une autre force qui pense que je suis complètement farfelu, un fanfaron. Comme je ne suis pas mort, certains pensent "ce n'était pas vrai ce que tu as dit, ce n'était que du marketing". Je ne suis pas mort, mais je ne suis pas vivant non plus. Je me sens très seul, même si je sais que je ne le suis pas. En ce moment, les intellectuels italiens sont très silencieux. Il y en a, mais peut-être devraient-ils avoir plus de force. Dans le passé, les intellectuels prenaient des positions en signant un manifeste pendant la promotion de leurs œuvres. Aujourd'hui, il faut le faire tous les jours, parce que, ceux qui ont le pouvoir, ils frappent avec leurs mots tous les jours. Aujourd'hui, pour un intellectuel, prendre une position signifie transformer sa propre existence. Quand je dis que je me sens plus grand dans la défaite, parce que j'ai répondu à leur victoire, je le ressens vraiment parce que je me dis que, chaque jour, je reçois des insultes, des humiliations, des attaques par le ministère de l'Intérieur. Je sais que, quand tout finira un jour, je n'aurai pas été complice de cela. C'est ce qui est le plus important pour moi.
Dans votre dernier roman, Piranhas, il est encore question de mafieux comme dans Gomorra, mais cette fois ce sont des enfants, des adolescents, qui ont pris le contrôle de la ville de Naples. Ce n'est pas une enquête mais un roman. Pourquoi ?
J'ai choisi cette forme parce que je voulais vraiment entrer dans la tête. C'est une vraie histoire. Mais j'avais vraiment la nécessité de conduire le lecteur dans le ventre, dans la tête de ces enfants. Je parle de 20 garçons de 10 ans à 19 ans, qui pour la première fois arrivent au sommet d'une organisation criminelle. Il y a eu un moment où il y a eu un vide. Les boss étaient soit des repentis, soit en prison. Et donc ils étaient en train de négliger le centre historique de Naples. Ces gamins ont eu l'idée de commencer à s'armer, par les familles qui avaient perdu leur pouvoir, pour récupérer la drogue. Ils ont commencé à vendre de la drogue à très bas prix, ils ont gagné des marchés et augmenté les prix. J'ai rencontré les survivants. Car ils ont été tous tués. Ils savaient qu'ils allaient être tués. Quand ils m'ont rencontré, le fait que j'avais 38 ans à l'époque, c'était presque une démonstration que j'avais failli, parce dans leur tête, il n'y a que ceux qui meurent jeunes qui ont vraiment vécu.
Ces jeunes ont une fascination du terrorisme. Ils n'ont aucune morale ?
Ils ont tous un passé criminel. Ils n'ont pas de morale mais ils ont des règles. La morale c'est pour les hommes médiocres qui ne font pas peur. C'est la mafia 2.0 qui commence à sortir partout, dans les banlieues. L'objectif n'est plus de respecter les hommes. C'est d'avoir tout et tout de suite.
Vous dites que cela n'existe pas qu'en Italie. Est-ce que c'est ce qui se passe par exemple à Marseille ?
Marseille est une réalité criminelle dramatique. Les banlieues françaises sont dominées par les organisations criminelles. Ce ne sont pas des gangs, ce sont vraiment des mafias. Personne dans les débats politiques ne dit que toute la cocaïne qui existe dans les banlieues passe par les Corses. La mafia corse a toujours le monopole des narco trafics de la drogue. Même quand on parle de problématique ethnique, 'les Magrébins, les Africains sont des dealers'. Oui c'est vrai. Mais cela appartient à qui, cette cocaïne qu'ils dealent ? Au cartel de Marseille. Aujourd'hui, il y a de nouveaux enfants. Même dans la criminalité organisée, il existe la règle du web. Il n'y a que le présent. Ces générations sont des générations déjà brûlées. Quand j'ai rencontré les survivants, ma sensation était que c'était un gâchis. Beaucoup de talents gâchés.
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