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Turquie: l’assassinat de l’ambassadeur de Russie, une faille du régime Erdogan

A force de faire le grand écart entre ses multiples alliés, pas nécessairement tous amis entre eux, le système du président turc Erdogan n’a pas échappé à la déchirure. L’attentat contre l’ambassadeur du Kremlin à Ankara vient rappeler combien il est vulnérable sur le plan sécuritaire, qu’il s’agisse d’une faille interne ou d’une manipulation par une tierce partie, mécontente de sa politique.
Article rédigé par Alain Chémali
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
L'ambassadeur de Russie à Ankara abattu, le 19 décembre 2016 dans une exposition, par le policier turc Mevlüt Mert Altinkas, révolté par le sort de la ville d'Alep. (Yavuz Alatan/Sozcu daily/AFP)

La lenteur des services de sécurité turcs à réagir à l’assassinat de l’ambassadeur russe à Ankara, Andreï Karlov, alors qu’il s’apprêtait à prendre la parole lors d'une exposition en plein quartier des ambassades, atteste de la surprise créée par cette attaque.
 
En plein réchauffement des relations entre Moscou et Ankara, après avoir laborieusement surmonté la bavure du Soukhoï abattu par la chasse turque en novembre 2015 au-dessus de la frontière syrienne, l’exécution de sang-froid du diplomate russe devant les caméras est venue à nouveau semer le trouble entre les deux capitales.
 
Certes, les deux présidents Erdogan et Poutine se sont parlé au téléphone et ont dénoncé «une provocation» visant à saboter leurs liens.
 
«Nous partageons avec le président Poutine le même point de vue selon lequel notre coopération avec la Russie dans les divers domaines, particulièrement sur la Syrie, ne sera pas entravée par cette attaque», a déclaré Recep Tayyip Erdogan.

Vladimir Poutine veut «savoir qui a guidé la main du tueur» 
Même si les deux hommes ont réaffirmé leur volonté de poursuivre leur coopération, Vladimir Poutine ne semble pas prêt à se contenter des accusations aussitôt apparues dans la presse turque, désignant le prédicateur Fethullah Gülen.
 
Réfugié aux Etats-Unis, ce dernier, accusé également d’être l’instigateur du coup d’Etat raté de juillet 2016, a démenti et s’est même dit «choqué et profondément attristé» par cet assassinat.
 
«Nous devons savoir qui a guidé la main du tueur», a en effet déclaré de son côté Vladimir Poutine, qui a dépêché une délégation de 18 enquêteurs, agents des services secrets et autres diplomates, pour participer aux investigations. La délégation, admise exceptionnellement par Ankara, a même pris part à l’autopsie du corps du diplomate russe, selon la presse turque.

«Nous ne permettrons absolument pas que nos relations avec la Russie se  dégradent», a déclaré le président turc Erdogan, lors de l'inauguration à Istanbul du premier tunnel routier sous le détroit du Bosphore, le 20 décembre 2016. (KAYHAN OZER/ANADOLU AGENCY)
 
D’ores et déjà, six proches de Mevlut Mert Altintas, le tireur âgé de 22 ans et titulaire d’un badge de la police, ont été placés en garde à vue à Aydin, leur ville d’origine dans l’ouest du pays. Objectif: tenter de comprendre, auprès de ses parents et de sa sœur notamment, ce qui a pu motiver un tel geste.
 
En criant «Allah akbar! N’oubliez pas la Syrie, n’oubliez pas Alep! Tant que les habitants n’y seront pas en sécurité, vous ne le serez pas non plus», avant d’être abattu, le jeune policier transformé brusquement en tueur, se situait clairement dans le camp de la rébellion, contre le régime d’Assad et ceux qui le soutiennent.

Erdogan multiplie les partenariats sans craindre les contradictions 
Mais comme toujours en Turquie, ce genre d’action, même si elle est revendiquée, voit très vite la piste d’un éventuel commanditaire se perdre entre la multitude d’acteurs sur le terrain. Elle vient en tout cas révéler une nouvelle fois la fragilité du régime Erdogan sur le plan sécuritaire. Notamment après le double attentat qui a tué une quinzaine de soldats et fait plus de cinquante blessés à Istanbul, le 17 décembre 2016.
 
Engagé dans une guerre ouverte contre les indépendantistes kurdes, le président Erdogan multiplie les alliances en fonction de ses intérêts, quitte à s’enfoncer dans d’inextricables contradictions.
 
Il accueille sur son sol une base de l’Otan d'un côté, et synchronise avec la Russie ses actions en Syrie de l'autre. Même s’il est en désaccord avec Poutine sur l’avenir de Bachar al-Assad. Une information circulant sur les réseaux sociaux, reprise ça et là par la presse, fait même état d’un accord qui laisserait Alep à Moscou en échange d’une percée militaire turque dans la province du même nom contre l’EI et les forces kurdes.

Parallèlement à une lutte déclarée contre Daech en Syrie, il recevait, la veille de l'assassinat du diplomate russe, l’émir du Qatar, le Cheikh Tamim Bin Hamad Al Thani, dans la ville de Trabzon, dans le nord-est de la Turquie, pourtant accusé de soutenir cette organisation.
 
Un premier vote à l'ONU, depuis six ans, sans veto Russe
Débordé par l’Iran qui impose sur le terrain sa stratégie, ses Gardiens de la Révolution et les milices chiites libanaises et irakiennes affiliées, Erdogan renoue avec l’ennemi juré de la République islamique. Le nouvel ambassadeur turc en Israël, le premier après une longue brouille de dix ans, a présenté le 12 décembre 2016 ses lettres de créances au président Reuven Rivlin.
 
Enfin, dans le pays, en dépit d’une étroite coopération avec la Russie et l’Iran sur le dossier syrien, des manifestations ont eu lieu ces derniers jours devant les représentations diplomatiques de ces deux pays à Ankara et Istanbul pour dénoncer l’écrasement d’Alep et de sa population, en majorité sunnite, comme la population turque.
 
L’attaque anti-russe d’Ankara intervient en tout cas après le début des opérations de déportation de la population d’Alep, mais aussi au lendemain du vote à l’unanimité par le Conseil de sécurité de l’ONU d’une résolution prévoyant l’envoi d’observateurs internationaux sur place. Un vote où, pour la première fois depuis six ans, Moscou ne fait pas usage de son droit de veto au profit de Damas.

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