: Témoignages Israël : des manifestants redoutent un "avenir sombre" après le vote d'une partie de la réforme judiciaire de Benyamin Nétanyahou
Ils se posent la question de l'avenir de leur pays. Alors que la Knesset, le Parlement israélien, a adopté lundi 24 juillet un texte phare de la réforme judiciaire portée par le gouvernement de Benyamin Nétanyahou, ses opposants s'inquiètent d'un déséquilibre entre les pouvoirs et plus largement d'une égalité des droits non garantie pour les minorités du pays.
La contestation populaire, qui rassemble chaque semaine depuis début janvier des dizaines de milliers de manifestants, s'était pourtant intensifiée à l'approche du vote. Mais leurs voix n'ont pas été entendues : les députés ont érigé en loi une mesure qui limite la possibilité pour la Cour suprême d'invalider une décision de l'exécutif.
Un "réveil" de la société israélienne
Tamar* est arrivée en Israël à l'âge de 24 ans, en 1982. De mémoire, elle n'a jamais connu un tel mouvement de contestation. "C'est complètement inhabituel, mais surtout dramatique, parce que ça illustre une vraie cassure dans la population qui n'existait pas avant", assure-t-elle. "Les Israéliens n'ont pas cette culture de la manifestation, ce n'est pas dans notre ADN", observe Julien Bahloul, ancien journaliste qui travaille désormais pour une entreprise de high-tech. Le trentenaire franco-israélien, qui habite Tel-Aviv, a été surpris d'une telle effervescence dans la rue.
"Lorsque le gouvernement a annoncé la réforme en janvier, il pleuvait. Or, en Israël, quand il pleut, les gens ne sortent pas. Cette fois, sous la pluie battante, les manifestants tenaient d'une main un parapluie, de l'autre un drapeau du pays."
Julien Bahloul, habitant de Tel-Avivà franceinfo
Pour Gilat*, 42 ans, "c'était une sorte de 'réveil' de la société israélienne, qui veut voir un Israël laïc et libéral, basé sur des valeurs universelles et démocratiques". Après l'adoption du texte judiciaire portant sur la "clause de raisonnabilité" lundi, l'atmosphère est devenue "plus lourde" en manifestation, admet Julien Bahloul. A Jérusalem, la nuit suivante, la police a dispersé avec des canons à eau des centaines de personnes qui bloquaient l'entrée de la Knesset. "Il n'y a pas de découragement" pour autant, ajoute Gilat. Elle rappelle que "ces manifestations se déroulent depuis déjà plus de six mois et les chiffres sur la participation parlent d'eux-mêmes". Ils étaient encore des milliers d'Israéliens dans les rues du pays mardi soir, en dépit du vote.
La Cour suprême, "seul contrepoids face au gouvernement"
Du côté des opposants, on accuse la réforme judiciaire voulue par Benyamin Nétanyahou, visé par plusieurs affaires de corruption, d'affaiblir les pouvoirs de la Cour suprême. "C'est le seul contrepoids face au gouvernement. S'il n'y a pas le contrôle de la Cour, ils pourront faire ce qu'ils veulent, alors qu'ils ont déjà la majorité simple au Parlement", anticipe Tamar. Julien Bahloul craint également que "des lois discriminantes envers les minorités" soient votées et que "la Cour n'ait plus les compétences de contrer cela". "L'avenir risque d'être sombre pour les droits et le statut social des femmes, ainsi que pour les minorités telles que les LGBT, les Arabes et d'autres", lâche pour sa part Gilat.
Au-delà du fond, le problème semble aussi celui de la méthode, selon les manifestants. "La loi est passée sans la présence d'aucun député de l'opposition", regrette Tamar. Les élus marqués à gauche avaient en effet décidé de boycotter le vote. "C'est la victoire du zéro compromis, avec un peuple au milieu qui aimerait que les partis se rejoignent sur quelque chose", ajoute Julien Bahloul. Cette réforme rappelle aussi une lacune : depuis la création d'Israël en 1948, l'Etat n'a jamais été doté d'une Constitution. Il n'existe aujourd'hui que des "lois fondamentales" à caractère constitutionnel. "On doit créer les principes fondamentaux de l'Etat d'Israël dans une Constitution, et que cela soit fait avec le plus large consensus possible", souhaite Tamar.
"Une partie du peuple sait rester soudée"
Benyamin Nétanyahou (Likoud) n'est parvenu à revenir à la tête du pays, en décembre 2022, qu'au prix d'une alliance avec l'extrême droite et des partis ultra-orthodoxes. Avant cela, cinq scrutins législatifs se sont succédé en trois ans et demi. "Durant toutes ces périodes d'élection, le discours s'est extrémisé, il est devenu plus dur dans tous les camps politiques", remarque Tamar, pour qui le Premier ministre "joue sur les différences d'un peuple" pour se maintenir au pouvoir. "Avoir à la fois le Likoud, les orthodoxes et les partis d'extrême droite au pouvoir, on n'a jamais vu ça", rappelle cette habitante de Tel-Aviv.
"Le Premier ministre va droit dans le mur afin d'échapper à son propre procès judiciaire, au prix de la destruction d'Israël."
Gilatfranceinfo
Pour Julien Bahloul, "les électeurs de l'opposition sont vraiment angoissés depuis le retour de Nétanyahou". Il souligne dans le même temps avoir aussi des "amis qui ont participé aux manifestations" organisées par des partisans du Premier ministre. "Je pense qu'une partie du peuple sait rester soudée. On l'a vu dans des vidéos sur les réseaux sociaux, où des pro et antiréforme se serrent les mains", illustre le Franco-Israélien. Un avis que partage moyennement Tamar : "Cela reste des personnes qui ont une autre vision du monde".
Dans les prochains mois, d'autres propositions de cette réforme judiciaire seront votées par la Knesset, à moins d'une volte-face de l'exécutif. Benyamin Netanyahou a promis de garder sa porte "ouverte aux négociations" durant les congés parlementaires qui débutent le 31 juillet. Une proposition refusée par le chef de l'opposition, Yaïr Lapid, pour qui son rival cherche à "faire taire les protestataires".
*Les prénoms ont été modifiés à la demande des interlocutrices.
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