Cet article date de plus de huit ans.
Israël : pas toujours facile d’être un ado français!
Même si le phénomène est à la baisse en 2016, le nombre de juifs français qui ont émigré en Israël (pour l’alya: montée en hébreu) a beaucoup augmenté ces dernières années. Pour autant, l’intégration dans la société israélienne est parfois compliquée. Notamment pour les adolescents. Enquête.
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«L’Association Elem, qui aide les ‘‘jeunes dans la détresse’’ estime qu’à Netanya (nord d’Israël, NDLR), près de 200 enfants arrivés de France qui sont sortis du système scolaire vivent en marge de la société et qu’ils seraient plusieurs centaines dans l’ensemble du pays à errer entre vagabondage et délinquance», rapporte le journaliste René Backmann dans son blog sur Médiapart. Sur son site, Elem-Youth in Distress a, en général, une analyse très sombre de la situation de la jeunesse dans l’Etat hébreu: celle-ci «est confrontée à un stress qui a un coût important. Aujourd’hui, près d’un tiers de la jeunesse juive et arabe en Israël est submergée par ce qui est devenue la vie quotidienne : pauvreté, violence domestique (…), discrimination raciale, menace du terrorisme et de la guerre»…
Evidemment, cette analyse dépasse la seule situation des adolescents français. Nous avons tenté d’en savoir un peu plus et de contacter Elem. Au départ, sa représentante nous a proposé de discuter avec le responsable de la camionnette de l’association circulant la nuit à Netanya avec, à bord, des travailleurs sociaux. Avant de se raviser et de nous proposer un autre interlocuteur. En l’occurrence une psychologue, Caroline Nissan, coordinatrice du programme Youtchat sur internet.
Alors trouve-t-on effectivement plusieurs centaines de jeunes Français à la dérive en Israël? Ou Elem dramatise-t-il la situation? «C’est très compliqué d’avoir des chiffres», répond Caroline Nissan. «Pour autant, cela ne veut pas dire que le problème n’existe pas !», reprend-elle. «Le phénomène existe, mais il n’a jamais concerné des centaines de cas», précise Daphna Poznanski, ancienne députée PS des Français de l’étranger et présidente de l’Association démocratique des Français d’Israël (Adfi), qui vit depuis 37 ans dans l’Etat hébreu. Elle estime tout au plus à «quelques dizaines de cas», dans tout le pays, le nombre d’adolescents français concernés par les problèmes d’adaptation.
«Les petits Français ne viennent pas vers nous»
Il faut dire que l’alya est un phénomène migratoire, avec toutes les conséquences que cela implique en termes de difficultés d’intégration. Notamment pour des adolescents en pleine construction de leur personnalité. Certains éducateurs, notamment des enseignants, rencontrés par la psychologue d’Elem, s’inquiètent: «Les petits Français ne viennent pas vers nous. On ne les sent pas bien», racontent-ils.
«Il faut dire que souvent, l’alya, ce n’est pas le projet de ces jeunes», explique Caroline Nissan. «Ils sont confrontés à une rupture douloureuse (avec la France, NDLR) et doivent s’adapter à une société avec une culture très différente. Ils sont contraints d’affronter de multiples choses fragilisantes : des difficultés scolaires, linguistiques... D’Israël, en fait, ils ne connaissaient jusque-là que les vacances, le soleil, la plage.»
Les familles françaises pensaient que la vie y serait plus facile. «Les parents portent souvent le discours d’une vie idéale. Donc, ils n’ont pas forcément pensé aux difficultés d’adaptation. Ne parlant pas toujours hébreu, ils y perdent une partie de leur autorité. Les jeunes doivent alors assumer certaines responsabilités» qu’ils ne connaissaient pas dans l’Hexagone, poursuit la psychologue. Comme par exemple aider au quotidien leurs parents à comprendre des documents en hébreu.
«Alya Boeing»
Pour Daphna Poznanski, ces difficultés spécifiques sont liées au développement de l’«alya Boeing». «Alya Boeing»? La famille française arrive en Israël. Mais en raison des difficultés à trouver un emploi après leur installation, les pères, notamment ceux qui exercent une profession comme médecin, dentiste, avocat, commerçant, font la navette avec la France. «Quelque 60% de tous les nouveaux Israéliens perçoivent la majeure partie de leurs revenus de l’étranger plusieurs années après leur alya», rapporte le journal en ligne The Times of Israel. «D’autant que les salaires en Israël sont en moyenne au moins 30% plus bas que les salaires français.»
Dans ce contexte, les familles récemment débarquées de l’Hexagone sont désunies, matériellement et psychologiquement. «Il n’y a plus que les mères pour s’occuper de tous les problèmes d’intégration. Alors qu’elles parlent souvent moins bien l’hébreu que leurs enfants», constate l’ancienne parlementaire. Ce qui a conduit à de nombreuses ruptures de couples.
«Entre les sociétés française et israélienne, il n’y a pas de point commun au niveau de la langue. Et de la mentalité. En Israël règne une mentalité à l’anglo-saxonne. Les gens sont habitués à prendre leur destin en main. Ce qui est compliqué pour des familles qui vivaient parfois en France du filet de protection sociale. Ici, la solidarité remplace l’Etat providence», poursuit Daphna Poznanski.
Responsabilisation très précoce
Autre difficulté : l’adaptation au système scolaire israélien. «Après 13h, les enfants n’ont plus cours. Alors, si leurs mères travaillent, ils se retrouvent livrés à eux-mêmes l’après-midi. Résultat : on a vu effectivement certains jeunes se mettre à dealer. Mais de là à dire qu’il y en a des centaines qui errent! Les ados venus de France errent, oui. Comme tous les ados d’Israël : avec leurs copains!», estime l’ex-députée.
De plus, «l’école est, en Israël, un lieu d’apprentissage de la vie où la discipline n’est pas fondamentale, où l’on donne la parole à un élève placé au cœur du dispositif et très vite responsabilisé», analyse le site The Times of Israel. «Dans la mesure où nous vivons dans un pays sous tension, les jeunes sont responsabilisés beaucoup plus tôt qu’en France. On en fait peut-être des adultes plus rapidement», précise Alain Hass, président du Comité d’action sociale en Israël (Casifan). «Ce qui les incite souvent à s’engager dans des actions humanitaires : Croix-Rouge, aide auprès de malades…», précise-t-il. Mais «dans les classes où les jeunes francophones sont réunis pour des questions pratiques, certains», habitués à être particulièrement encadrés dans le système français, «s’en donnent à cœur joie, piégés par ce trop-plein de liberté», poursuit The Times of Israel. Et se déscolarisent…
Programmes de prévention
A écouter Daphna Poznanski, les autorités israéliennes ont pris conscience de tous ces problèmes. Résultat: des programmes spécifiques de prévention ont été lancés par le ministère de l’Alya et de l’Intégration des immigrants ainsi que par les autorités locales. Notamment celles de localités où se concentrent de fortes communautés d’origine française comme à Netanya ou Raanana. A Netanya, il y aurait 7500 olims (immigrants juifs) d’origine hexagonale.
«Les francophones sont effectivement désormais considérés comme une population à risque», constate Caroline Nissan. Son association, Elem, qui s’occupait ainsi de jeunes Russes et Ethiopiens, intervient maintenant auprès d’ados français. La psychologue a ainsi contribué à lancer, il y a quelques mois, Youtchat, un chat numérique destiné aux adolescents français. Ce service fonctionne deux jours par semaine, de 20h à minuit. «Là, les jeunes ne sont pas confrontés aux regards des adultes. Ils peuvent montrer une certaine authenticité et exprimer des choses très intimes.»
Evidemment, cette analyse dépasse la seule situation des adolescents français. Nous avons tenté d’en savoir un peu plus et de contacter Elem. Au départ, sa représentante nous a proposé de discuter avec le responsable de la camionnette de l’association circulant la nuit à Netanya avec, à bord, des travailleurs sociaux. Avant de se raviser et de nous proposer un autre interlocuteur. En l’occurrence une psychologue, Caroline Nissan, coordinatrice du programme Youtchat sur internet.
Alors trouve-t-on effectivement plusieurs centaines de jeunes Français à la dérive en Israël? Ou Elem dramatise-t-il la situation? «C’est très compliqué d’avoir des chiffres», répond Caroline Nissan. «Pour autant, cela ne veut pas dire que le problème n’existe pas !», reprend-elle. «Le phénomène existe, mais il n’a jamais concerné des centaines de cas», précise Daphna Poznanski, ancienne députée PS des Français de l’étranger et présidente de l’Association démocratique des Français d’Israël (Adfi), qui vit depuis 37 ans dans l’Etat hébreu. Elle estime tout au plus à «quelques dizaines de cas», dans tout le pays, le nombre d’adolescents français concernés par les problèmes d’adaptation.
«Les petits Français ne viennent pas vers nous»
Il faut dire que l’alya est un phénomène migratoire, avec toutes les conséquences que cela implique en termes de difficultés d’intégration. Notamment pour des adolescents en pleine construction de leur personnalité. Certains éducateurs, notamment des enseignants, rencontrés par la psychologue d’Elem, s’inquiètent: «Les petits Français ne viennent pas vers nous. On ne les sent pas bien», racontent-ils.
«Il faut dire que souvent, l’alya, ce n’est pas le projet de ces jeunes», explique Caroline Nissan. «Ils sont confrontés à une rupture douloureuse (avec la France, NDLR) et doivent s’adapter à une société avec une culture très différente. Ils sont contraints d’affronter de multiples choses fragilisantes : des difficultés scolaires, linguistiques... D’Israël, en fait, ils ne connaissaient jusque-là que les vacances, le soleil, la plage.»
Les familles françaises pensaient que la vie y serait plus facile. «Les parents portent souvent le discours d’une vie idéale. Donc, ils n’ont pas forcément pensé aux difficultés d’adaptation. Ne parlant pas toujours hébreu, ils y perdent une partie de leur autorité. Les jeunes doivent alors assumer certaines responsabilités» qu’ils ne connaissaient pas dans l’Hexagone, poursuit la psychologue. Comme par exemple aider au quotidien leurs parents à comprendre des documents en hébreu.
«Alya Boeing»
Pour Daphna Poznanski, ces difficultés spécifiques sont liées au développement de l’«alya Boeing». «Alya Boeing»? La famille française arrive en Israël. Mais en raison des difficultés à trouver un emploi après leur installation, les pères, notamment ceux qui exercent une profession comme médecin, dentiste, avocat, commerçant, font la navette avec la France. «Quelque 60% de tous les nouveaux Israéliens perçoivent la majeure partie de leurs revenus de l’étranger plusieurs années après leur alya», rapporte le journal en ligne The Times of Israel. «D’autant que les salaires en Israël sont en moyenne au moins 30% plus bas que les salaires français.»
Dans ce contexte, les familles récemment débarquées de l’Hexagone sont désunies, matériellement et psychologiquement. «Il n’y a plus que les mères pour s’occuper de tous les problèmes d’intégration. Alors qu’elles parlent souvent moins bien l’hébreu que leurs enfants», constate l’ancienne parlementaire. Ce qui a conduit à de nombreuses ruptures de couples.
«Entre les sociétés française et israélienne, il n’y a pas de point commun au niveau de la langue. Et de la mentalité. En Israël règne une mentalité à l’anglo-saxonne. Les gens sont habitués à prendre leur destin en main. Ce qui est compliqué pour des familles qui vivaient parfois en France du filet de protection sociale. Ici, la solidarité remplace l’Etat providence», poursuit Daphna Poznanski.
Responsabilisation très précoce
Autre difficulté : l’adaptation au système scolaire israélien. «Après 13h, les enfants n’ont plus cours. Alors, si leurs mères travaillent, ils se retrouvent livrés à eux-mêmes l’après-midi. Résultat : on a vu effectivement certains jeunes se mettre à dealer. Mais de là à dire qu’il y en a des centaines qui errent! Les ados venus de France errent, oui. Comme tous les ados d’Israël : avec leurs copains!», estime l’ex-députée.
De plus, «l’école est, en Israël, un lieu d’apprentissage de la vie où la discipline n’est pas fondamentale, où l’on donne la parole à un élève placé au cœur du dispositif et très vite responsabilisé», analyse le site The Times of Israel. «Dans la mesure où nous vivons dans un pays sous tension, les jeunes sont responsabilisés beaucoup plus tôt qu’en France. On en fait peut-être des adultes plus rapidement», précise Alain Hass, président du Comité d’action sociale en Israël (Casifan). «Ce qui les incite souvent à s’engager dans des actions humanitaires : Croix-Rouge, aide auprès de malades…», précise-t-il. Mais «dans les classes où les jeunes francophones sont réunis pour des questions pratiques, certains», habitués à être particulièrement encadrés dans le système français, «s’en donnent à cœur joie, piégés par ce trop-plein de liberté», poursuit The Times of Israel. Et se déscolarisent…
Programmes de prévention
A écouter Daphna Poznanski, les autorités israéliennes ont pris conscience de tous ces problèmes. Résultat: des programmes spécifiques de prévention ont été lancés par le ministère de l’Alya et de l’Intégration des immigrants ainsi que par les autorités locales. Notamment celles de localités où se concentrent de fortes communautés d’origine française comme à Netanya ou Raanana. A Netanya, il y aurait 7500 olims (immigrants juifs) d’origine hexagonale.
«Les francophones sont effectivement désormais considérés comme une population à risque», constate Caroline Nissan. Son association, Elem, qui s’occupait ainsi de jeunes Russes et Ethiopiens, intervient maintenant auprès d’ados français. La psychologue a ainsi contribué à lancer, il y a quelques mois, Youtchat, un chat numérique destiné aux adolescents français. Ce service fonctionne deux jours par semaine, de 20h à minuit. «Là, les jeunes ne sont pas confrontés aux regards des adultes. Ils peuvent montrer une certaine authenticité et exprimer des choses très intimes.»
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