Présidentielle en Iran : que peut changer l'élection du réformateur Massoud Pezeshkian ?

Le nouveau président iranien appelle à créer des "relations constructives" avec l'Occident. Mais ses pouvoirs seront limités face au Guide suprême, Ali Khamenei, et au Parlement.
Article rédigé par Luc Chagnon
France Télévisions
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Massoud Pezeshkian participe à un rassemblement avant le second tour de l'élection présidentielle en Iran, à Téhéran, le 3 juillet 2024. (HOSSEIN BERIS / MIDDLE EAST IMAGES / AFP)

Il souhaite "sortir l'Iran de son isolement". Le candidat réformateur Massoud Pezeshkian a remporté l'élection présidentielle en Iran, face à l'ultraconservateur Saïd Jalili, selon les résultats dévoilés samedi 6 juillet, au lendemain du second tour. Il succèdera à Ebrahim Raïssi, mort dans un accident d'hélicoptère en mai.

Massoud Pezeshkian, premier réformiste à accéder à la présidence de l'Iran depuis 2005 (Hassan Rohani, au pouvoir de 2013 à 2021, était plutôt considéré comme un modéré), a promis de tendre "la main de l'amitié à tout le monde" dans le pays. Et affiche une attitude ouverte vis-à-vis du reste du monde qui tranche avec son prédécesseur. Ce changement de ton au sommet de la République islamique peut-il avoir des conséquences politiques concrètes pour le pays ?

La promesse de négociations avec les Etats-Unis

Au cours de la campagne, Massoud Pezeshkian a mis en avant plusieurs points de divergence avec la politique étrangère suivie ces dernières années par la République islamique. Celui que les Iraniens appellent le "docteur" a notamment appelé à des "relations constructives" avec les Etats-Unis et les pays européens, afin de "sortir l'Iran de son isolement" et obtenir une levée des sanctions internationales qui pèsent sur l'économie du pays.

Il a promis de négocier directement avec Washington pour la relance des pourparlers sur le nucléaire iranien, au point mort depuis le retrait américain, en 2018, de l'accord internationale conclu en 2015. "Si nous parvenons à faire lever les sanctions américaines, les gens auront une vie plus confortable", a-t-il estimé. Une victoire de son opposant Saïd Jalili, à "l'approche inflexible et idéologique" aurait mis au contraire l'Iran et l'Occident "sur une trajectoire de conflit", estime auprès de l'AFP Ali Vaez, expert du pays au sein de l'ONG International Crisis Group.

Tout en affirmant sa loyauté au régime, Massoud Pezeshkian s'est également fait connaître pour ses critiques envers le pouvoir lors du vaste mouvement de protestation déclenché par la mort en détention de Mahsa Amini en septembre 2022. Lors de la campagne, il a dénoncé le recours de la police à la force pour appliquer l'obligation du port du voile par les femmes : "Nous nous opposons à tout comportement violent et inhumain (...) notamment envers nos sœurs et nos filles, et nous ne permettrons pas que de tels actes se produisent."

Un président sous le contrôle du Guide suprême

Mais ces prises de position, même très critiques, pourront difficilement être suivies d'effet majeur. "Ce n'est pas le président qui décide des stratégies globales du régime islamique", souligne Azadeh Kian, professeure de sociologie à l'université Paris Cité, interrogée par franceinfo.

"Le président a un peu de marge de manœuvre, mais pour les questions militaires, de politique étrangère ou régionale, ce sont le Guide suprême, Ali Khamenei, et les Gardiens de la révolution qui définissent les orientations."

Azadeh Kian, professeure de sociologie à l'université Paris Cité

à franceinfo

Massoud Pezeshkian devra aussi composer avec un Parlement à majorité ultraconservatrice, qui vote les lois et doit donner son assentiment à la composition du gouvernement. Le président "aura sans doute du mal à faire accepter des ministres trop réformistes", anticipe Azadeh Kian.

Les possibilités qui s'offriront au nouveau dirigeant dépendront aussi largement du contexte extérieur, notamment des résultats d'une autre élection : la présidentielle américaine de novembre. "En cas de retour de Donald Trump au pouvoir aux Etats-Unis, ses conseillers ont déjà fait savoir qu'ils réimposeraient une politique de 'pression maximale' sur l'Iran", rappelle Thierry Coville, chercheur spécialiste de l'Iran à l'Iris, un groupe de réflexion sur la géopolitique.

Un "réformateur-conservateur"

Massoud Pezeshkian ne pourra donc pas changer radicalement la ligne du pays. Mais "il pourrait améliorer l'image de l'Iran à travers un discours apaisant, et pourquoi pas encourager le Guide à aller vers des négociations avec les Occidentaux, bien sûr en échange de contreparties importantes", estime Azadeh Kian.

"Il ne pourra pas reprendre les négociations à lui tout seul, il y aura sans doute des tensions avec le Guide. Mais avoir un président favorable à des relations avec l'Occident crée quand même un climat positif."

Thierry Coville, chercheur spécialiste de l'Iran à l'Iris

à franceinfo

En matière de politique intérieure, le rôle de président n'est pas non plus une coquille totalement vide. "Il peut essayer d'améliorer la situation économique en appliquant une gestion plus rationnelle, par exemple en nommant des technocrates aux ministères et aux organisations responsables", explique Azadeh Kian.

Mais selon les spécialistes interrogés par franceinfo, cette élection ne risque pas d'ébranler les fondements du régime. "Massoud Pezeshkian est un réformateur", explique Thierry Coville, "mais il se définit lui-même comme réformateur-conservateur, il utilise beaucoup de références religieuses... Tout ça peut participer à en faire un réformateur 'acceptable' aux yeux d'Ali Khamenei."

"En organisant ce cirque des élections, le régime iranien cherche à se donner une légitimité populaire pour se justifier devant la scène internationale", assène pour sa part la sociologue et politiste Mahnaz Shirali. Interrogée par franceinfo, elle souligne la faiblesse du taux de participation officiel au premier tour, à peine 40%. Malgré ses critiques contre la répression liée au non-port du voile par les femmes, "Massoud Pezeshkian s'est toujours présenté comme un fondamentaliste", souligne Azadeh Kian. Et "l'égalité homme-femme n'a jamais été parmi les fondements du régime."

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