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L’Inde, nouvel eldorado des marchands d’armes

L’Inde a officialisé le 10 avril 2015 l’achat de 36 Rafale à la France. Un signe de plus que le pays de Gandhi entend bien donner à sa défense des moyens nouveaux. L’Inde, loin de son image pacifique, est d’ailleurs devenue l’un des principaux acheteurs d’armes de la planète, si ce n'est le principal.
Article rédigé par Pierre Magnan
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Des chars T90 de l'armée indienne lors de la parade du Jour de la République, en janvier 2015. (SAUL LOEB / AFP)

Gandhi est bien loin. L’Inde est une grande puissance et entend préserver ce rang. Le gouvernement de droite au pouvoir affirme vouloir moderniser sa défense pour un coût total de quelque 100 milliards de dollars. Selon la base de données sur les dépenses militaires du SIPRI (organisme indépendant spécialisé dans l'économie des armes), l'Inde se classe au 7e rang des pays les plus dépensiers en armement pour 2014 (2,4% de son PIB). Ces dépenses ont lieu dans un contexte régional où les investissements dans la défense sont importants. 

Gros importateur d’armement
Difficile de dire quel est le rang de l’Inde sur le marché mondial de l’armement, alors que beaucoup disent qu’elle est devenue le premier importateur d’armes au monde. «Nous avons la réputation d’être le premier importateur d’équipement militaire au monde», a simplement reconnu le Premier ministre indien, Narendra Modi.
 
Selon les chiffres du très sérieux Sipri (Stockholm International Peace Research Institute), «sur les dix plus grands importateurs d'armes majeurs au cours de la période 2010-2014, cinq sont en Asie : l'Inde (15% des importations mondiales d'armes), la Chine (5%), le Pakistan (4%), Corée du Sud (3%) et Singapour (3%)».

Un Su30 de l'armée de l'air indienne en 2015 (TOI Photographer / The Times of India)

Les données du Sipri estiment les dépenses d’armement de l’Inde pour l’année 2014 à 49 milliards de dollars.
 
Toutes les composantes ont bénéficié de ces investissements massifs (allant de 2,4 à plus de 3% du PIB par an, selon les années). D’abord l’armée de terre, puis l’aviation et enfin la marine. «L’Inde valorise explicitement sa marine dans le but de se poser en gendarme de l’Océan indien qu’elle regarde – conformément à son nom – comme sa mare nostrum», note le spécialiste de l'Inde, Christophe Jaffrelot.
 
Le marché est en tout cas juteux. Quelque 300 entreprises étrangères se sont précipitées au Aero India show de Bangalore en février 2015.

Le Premier ministre indien Narendra Modi devant les militaires de la Base de Siachen, en octobre 2014. (PIB / AFP)

Construire sur place
Parmi les fournisseurs de l’Inde, on trouve tout d’abord la Russie. En 2013, les exportations d'armes russes avaient atteint 15,7 milliards de dollars et représenterait 70% des achats d’armes indiennes à l’étranger (d’autres sources indiquent que ce sont désormais les Etats-Unis qui sont les premiers fournisseurs de l’Inde).
 
Mais, de plus en plus, New Delhi entend négocier des transferts de technologie dans ce secteur en produisant elle-même une partie de ces armes étrangères, d'où le slogan de l'actuel Premier ministre, Narendra Modi, «make in India». C’est ainsi que l’Inde produit avec la Russie un avion de combat, le SU-30, mais aussi des hélicoptères (Mi-17 et Ka-226T).

Cette stratégie devrait se développer. Le Premier ministre a indiqué lors du dernier salon militaire de Bangalore vouloir porter de 40% actuellement à 70% d’ici à 2020 la production d’équipement matériel sur son sol. «Une nation disposant d’une forte industrie de défense ne sera pas uniquement plus sûre. Elle en retirera également d’importants bénéfices économiques», a dit Modi. «Environ 60% de notre matériel de défense continue d’être importé et nous dépensons des dizaines de milliards de dollars dans des acquisitions à l’étranger», a-t-il poursuivi. Un discours contredit par la décision d'acheter les Rafale clefs en main.

Des armes pour quoi faire ?
Dissuasion, course aux armements, rattrapage, environnement international instable, nationalisme, les raisons de l'investissement de l'Inde dans les armes sont nombreuses. Considérée comme puissance nucléaire depuis 1998, l'Inde n'a pas connu de guerre depuis son conflit armé avec le Pakistan en 1971 (cette troisième confrontation entre les deux pays a abouti à la partition de son voisin et à la création du Bangladesh). Les tensions restent cependant importantes entre les deux pays. Le Pakistan est accusé de favoriser le terrorisme en Inde et le conflit autour du Cachemire n'est toujours pas réglé.

Soldats indiens dans la région du Cachemire après un incident. Le Pakistan et l'Inde revendiquent la région depuis l'indépendance. (Yawar Nazir / NurPhoto)


Avec son autre puissant voisin, la Chine, New Delhi entretient des relations commerciales croissantes. Le conflit de 1962 est loin même s'il a laissé des traces dans la mémoire indienne et une frontière toujours pas reconnue entre les deux pays. 

Le spécialiste de l'Inde, Christophe Jafrelot, voit aussi des raisons politiques dans l'armement de l'Inde. «Depuis les années 80, la "vague safran" (la couleur que les nationalistes hindous ont pris pour symbole) enfle avec des hauts et des bas – ce qui a déjà permis au BJP de prendre le pouvoir, en coalition, de 1998 (année d’essais nucléaires mémorables) à 2004.» Ce parti est revenu au pouvoir en 2014. «Narendra Modi, soucieux de contenir l’influence de la Chine dans sa région, multiplie les visites – Japon, Vietnam, Sri Lanka, Australie… –, permettant la conclusion des partenariats stratégiques, la mise en place de manœuvres militaires conjointes et les ventes d’armes. La "moralpolitik" de Nehru paraît bien loin…», ajoute le chercheur.

Reste que l'Inde n'est pas le seul pays à s'armer. Le Pakistan s'apprête à signer avec la Chine un contrat d'achat de huit sous-marins pour un montant de 4 à 5 milliards de dollars. La transaction constituerait la plus grosse vente d'armes à l'étranger jamais réalisée par la Chine, soutien traditionnel du Pakistan.

Une Chine que certains voient mener une stratégie d'«encerclement» de l'Inde, via la politique dite du «collier de perles». Il s'agirait de «l’ensemble des bases navales et des points d’appui commerciaux que Pékin construit chez ses pays partenaires pour assurer ses voies d’approvisionnement énergétique».

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