Inde : Narendra Modi, un aspirant Premier ministre adulé et détesté
D’ores et déjà, les couteaux sont sortis. Manmohan Singh n’est d’ailleurs pas le dernier à avoir sorti le sien. «Il serait catastrophique pour le pays d’avoir Narendra Modi comme Premier ministre», a-t-il carrément lancé le 3 janvier 2014.
Manmohan Singh a évoqué le «massacre de citoyens innocents», transparente allusion au massacre de plus d'un millier de musulmans à Ahmedabad, capitale de l'Etat du Gujarat (ouest), mettant ainsi en cause Narendra Modi, chef de gouvernement de cet Etat depuis 2001. Surnommé «NaMo», le candidat du BJP, connu pour son «nationalisme hindou intransigeant», a nié avoir joué le moindre rôle dans cette affaire. Sa culpabilité n’a jamais été établie. Mais l’une de ses anciennes ministres a été condamnée. De plus, il reste interdit de visa aux Etats-Unis en raison de «sévères violations de la liberté religieuses» au Gujarat.
Efficacité
NaMo a fondé sa réputation sur deux mots : «efficiency» et «determination» («efficacité» et «détermination»). Deux traits de caractère indispensables, estime-t-il, pour «booster» une économie indienne dont la croissance se ralentit. Dans le même temps, il mise sur l’usure du Parti du Congrès affaibli par la corruption.
Narendra Modi entend s’appuyer sur ses réalisations dans le Gujarat, Etat de 60 millions d’habitants (5% de la population indienne), où le PIB a quasiment triplé depuis 2001. «Il y a réduit la bureaucratie, construit des routes et des lignes électriques», constate The Economist. Dans le même temps, en 20 ans, le taux de pauvreté a été ramené de 40 à 11%, «même parmi les musulmans, généralement plus pauvres que les hindous». Pour autant, font valoir certains observateurs, ces chiffres masquent un taux de malnutrition «anormalement haut», une dégradation de l’environnement et de fortes disparités au niveau local.
Autre exemple (anecdotique) de cette «efficacité» : le camp d’entraînement de yoga que doivent suivre chaque année tous les hauts fonctionnaires de son administration, «de tailles, corpulences, âges et sexes différents», comme le raconte l’historien et écrivain Ramachandra Guha dans The Hindu. Ils y pratiquent des exercices élaborés par le chef du gouvernement lui-même…
Dans ce contexte, NaMo a les faveurs des milieux économiques, agacés par la pesante bureaucratie indienne. Des milieux qu’il séduit quand il explique que «ce n’est pas le business du gouvernement de faire du business» (cité par Le Monde, accès payant).
Autre avantage sur ses adversaires politiques : Narendra Modi n’est pas un héritier : «C’est un homme d’action et un outsider qui a le mérite de la franchise dans un système politique habitué au copinage», remarque The Economist. Issu d’une caste inférieure, il a d’abord été vendeur de thé. Autrement dit, c’est un self made man.
Ses discours sont relayés par d’impressionnants moyens de communication. «Son portrait s’affiche partout en Inde. Des téléphones portables, les ‘‘smart namo’’ qui possèdent des applications sur son programme électoral, sont en vente. Tout comme des centaines d’autres produits à son effigie. Narendra Modi dispose en outre d’une chaîne de télévision -Namo- et d’un bataillon de militants qui tweetent, jour et nuit, pour défendre leur héros sur internet», rapporte Le Monde. Excellent orateur, il attire des foules importantes dans tout le pays. «Là où les hommes politiques indiens ont l’habitude de payer des gens pour participer à leurs meetings, M. Modi lui fait payer un droit d’entrée», raconte The Economist…
Autoritarisme
Pour autant, ses qualités masquent aussi de graves défauts. De nombreux observateurs mettent en avant son autoritarisme. «Il méprise la liberté d’expression et la création artistique. Il a ainsi interdit des livres et des films qu’à ses yeux, les habitants du Gujarat ne devraient pas lire ou voir», rapporte Ramachandra Guha. Selon l’historien, il s’en est également pris à des intellectuels et des artistes qui ne pensent pas comme lui.
«C’est un solitaire autocrate qui ne sais pas déléguer», constate l’hebdomadaire britannique. Ce qui pourrait lui poser quelques problèmes pour diriger une large coalition, condition de tout temps indispensable pour gouverner l’Inde. Certains partis, notamment musulmans, ont d’ailleurs déjà pris leur distance avec lui. Le fait qu’il n’ait exprimé aucun remords pour le massacre de 2002 renforce sa mauvaise image. Comme le fait d’avoir refusé récemment de porter une calotte, chapeau traditionnel des musulmans… Il essaye pourtant d’adoucir les angles. L’Etat du Gujarat a ainsi promis de financer la restauration des mosquées détruites en 2002.
«A la fois conspué et admiré, Narendra Modi polarise la vie politique indienne, devenant par la même son centre de gravité. C’est là sa principale force», note Le Monde. Visiblement, les gouvernements occidentaux parient sur sa victoire. Le 14 octobre 2013, l'ambassadeur de France lui a rendu visite à Ahmedabad avec une délégation de chefs d'entreprise. Il avait été précédé, un an plus tôt, par son collègue britannique.
Pour autant, «M. Modi n’est manifestement pas capable d’être le Premier ministre prônant la réconciliation, ouvert, démocratique, dont l’Inde a besoin et qu’elle mérite», estime Ramachandra Guha. Ce sera aux électeurs indiens d’en décider.
Narendra Modi en campagne
BBC News (en anglais), 30-9-2013
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.