Al-Qaïda, concurrencée par l'EI, mise sur l'Inde pour regagner de l'influence
Al-Qaïda refait parler d'elle en lançant une nouvelle filiale, nommée en anglais «Qaedat al-Jihad in the Indian Subcontinent» (al-Qaïda en guerre sainte sur le sous-continent indien). Elle est destinée à «lever le drapeau de la guerre sainte, rétablir la loi islamique et instaurer la charia d'Allah à travers le sous-continent indien, qui faisait auparavant partie des terres musulmanes, jusqu'à ce que l'ennemi infidèle l'occupe, le fragmente et le divise», selon les propos du djihadiste égyptien, Ayman al-Zawahiri, cités par le centre américain de surveillance des sites islamistes (SITE).
Bataille entre al-Qaïda et l'EI
«C'est un coup publicitaire qui montre son désespoir car l'EI est désormais la vraie menace mondiale», estime Ajit Kumar Singh, du groupe de réflexion Institute of Conflict Management, dont le siège est à New Delhi. «C'est une bataille pour la suprématie entre al-Qaïda et l'EI».
Les dirigeants vieillissants d'al-Qaïda sont de plus en plus considérés comme fatigués et inefficaces par les candidats potentiels au «djihad» très actifs sur les réseaux sociaux. Selon les spécialistes des questions de sécurité, l'attrait croissant de l'EI, pourrait être à l'origine de la décision du chef d'al-Qaïda, de lancer sa nouvelle branche en Asie du sud, région où la population musulmane est restée jusqu'à présent indifférente aux appels à participer à un djihad mondial. «Nous n'avons pas connaissance de cellules d'al-Qaïda ou de membres en Inde jusqu'à maintenant», constate Rahimullah Yusufzai, spécialiste de la mouvance jihadiste.
Al-Zawahiri est l'un des hommes les plus recherchés au monde. Avec d'autres leaders du groupe djihadiste, il se cacherait dans la région montagneuse située le long de la frontière entre le Pakistan et l'Afghanistan, protégé, selon Washington, par le TTP, mouvement des talibans du Pakistan. Toujours considéré comme une menace par les pays occidentaux, al-Qaïda n'a toutefois jamais répété d'attentats comme ceux du 11 septembre 2001 à New York et Washington, qui ont fait près de 3.000 morts.
Fondé par Oussama Ben Laden en août 1988, al-Qaïda revendique depuis longtemps son autorité sur les djihadistes qui luttent pour restaurer un califat sur les terres considérées comme musulmanes. Mais depuis la disparition de son leader historique, tué en mai 2011 par un commando américain, le projet de califat a été éclipsé. D'abord par les activités d’al-Qaïda en Afrique et dans la péninsule arabique, puis par la proclamation fin juin 2014 par l’EI - issu de la branche irakienne d’al-Qaïda - d'un califat islamique sur des territoires à cheval sur la Syrie et l’Irak.
L'EI tente de s'implanter en Asie du Sud
Ce réseau djihadiste ultra-radical a commencé à faire sentir sa présence dans les fiefs historiques des talibans et d’al-Qaïda: l’Inde et le Pakistan. Une cellule locale, appelée Islami Khalifat, ayant fait allégeance à l'EI a distribué ces dernières semaines des brochures de propagande dans la ville pakistanaise de Peshawar (nord) et dans l'est de l'Afghanistan, ont témoigné des habitants. Le document de 12 pages, intitulé «Fatah» (victoire), a été publié en pachtou et dari, les langues pratiquées en Afghanistan et a surtout été distribué dans les camps de réfugiés afghans de la banlieue de Peshawar.
Divers groupes islamistes sont implantés dans les zones reculées et pauvres d'Asie du Sud, mais l'EI, avec ses conquêtes rapides de territoires et ses exécutions de masse, commence à trouver un écho chez les combattants les plus jeunes de la région. D'autant que les nouvelles recrues au sein de l'EI peuvent rapidement accéder à des responsabilités, contrairement à al-Qaïda qui leur en accorde peu.
Depuis plusieurs années, al-Qaïda est moins directement impliquée dans des attentats au Pakistan et en Afghanistan, ses bastions d'origine, se concentrant davantage sur le financement et la propagation de son idéologie de combat. De plus, «le départ de combattants d'al-Qaïda de la région, vers la Libye et d'autres pays arabes a affaibli le mouvement ici», explique Amir Rana, un expert pakistanais de la mouvance djihadiste.
Le chef de la nouvelle branche pour l'Asie du Sud, le Pakistanais Asim Umar, un jeune propagandiste connu pour ses prêches sur Internet, devra redoubler d'efforts pour ouvrir un «nouveau front» vers l'Inde. Le défi est d'autant plus grand qu'à l'approche du retrait des forces de l'Otan d'Afghanistan, les talibans du Pendjab pakistanais, accusés par le passé d'opérations terroristes en Inde, ont affirmé récemment vouloir désormais concentrer leurs attaques ailleurs, sur le sol afghan.
Les djihadistes d'al-Qaïda peu nombreux
En Afghanistan, les experts voient davantage al-Qaïda jouer un rôle en coulisse, faute d'y disposer encore de nombreux combattants sur le terrain. La présence de combattants internationaux aux côtés des insurgés talibans y «est vraiment minimale», affirme Graham Smith, analyste à l'International Crisis Group (ICG) de Kaboul. Un spécialiste afghan des questions de sécurité, Jawed Kohistani, estime qu'al-Qaïda compte environ 2.000 combattants sur le territoire afghan, principalement dans les provinces de Badakhshan (nord-est), Kunduz (nord), Logar (proche de la capitale Kaboul) et du Nouristan (est, à la frontière pakistanaise).
Cette compétition entre al-Qaïda et l'EI en Asie du Sud pourrait, par ricochet, contribuer à rajeunir le djihad international et, selon Amir Rana, «permettre de recruter de nouveaux combattants, de nouveaux affiliés, et donc de donner une nouvelle vie» aux groupes djihadistes.
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