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Nikos Smyrnaios : «Tsipras est prêt à ne pas céder à l'Europe»
Nikos Smyrnaios est grec. Il est enseignant à Toulouse et tient un blog sur l'actualité et la vie en Grèce. Quelque cent jours après l'arrivée au pouvoir d'Alexis Tsipras et du parti de gauche Syriza, il nous livre un regard engagé, mais assez pessimiste, sur l'état de son pays.
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En France et en Europe, on ne parle de la Grèce qu’en terme de dette. Mais depuis la victoire de Syriza en Grèce en janvier 2015 et l’arrivée au pouvoir d’Alexis Tsipras, quelles ont été les principales mesures qu’a pu prendre le nouveau gouvernement?
Le gouvernement a pu prendre un certain nombre de mesures malgré ses contraintes budgétaires. Parmi les décisions les plus symboliques, il a notamment décidé de réembaucher les femmes de ménage du ministère de l’Economie qui avait été licenciées par le gouvernement précédent. Ces femmes, qui avaient campé devant le ministère pendant plusieurs mois, avaient symbolisé le mouvement social en Grèce.
Mais le principal problème pour le gouvernement Syriza est son absence de libertés budgétaires. Il cependant a pu voter une loi sur la situation humanitaire pour permettre aux plus démunis, nombreux avec la crise qui touche la Grèce, de surmonter les situations d'urgence en leur redonnant le gaz ou l'électricité. Pourtant, même cette loi a été critiquée par les créanciers du pays.
Malgré tout, le pouvoir a décidé les réembauches des femmes de ménage et de quelques milliers de personnes dans la fonction publique, ainsi que les salariés de la télé publique (ERT). Par exemples, ces embauches dans certains services étaient devenues indispensables pour les usagers.
Dans le domaine de la santé, les 5 euros imposés à toute personne entrant à l’hôpital ont été supprimés et le gouvernement travaille sur l’établissement d’une couverture universelle, dans un pays qui a vu le nombre de personnes non-assurées exploser.
Dans ce contexte contraint, Syriza entend aborder la question des médias grecs, qui symbolisent l’enchevêtrement des intérêts politiques, économiques et médiatiques. Le gouvernement souhaite restructurer le paysage médiatique en demandant aux chaînes de régler leurs dettes, avec la possibilité de réattribuer les fréquences en cas de non règlement.
Tsipras s’est aussi attaqué à toute une série de décisions concernant la justice, les prisons ou la police dans un pays où il n’y avait aucun respect des normes. Les prisons étaient surpeuplées. Le gouvernement a essayé de prendre des mesures tout en tenant compte des impératifs budgétaires, en procédant à des libérations.
Sur le front de l’immigration, plusieurs milliers d’étrangers, dont des demandeurs d’asile, étaient enfermés dans des situations ubuesques. Là aussi, des libérations ont été faites. Le gouvernement a aussi réformé le droit de la nationalité en limitant le droit du sang pour permettre l’intégration de personnes ne disposant d’aucun droit.
En revanche, pour tout ce qui touche au social, les réformes sont bloquées par les négociations avec les créanciers du pays. Salaires, conventions collectives, retraites, rien pour l’instant n’a changé. Sur ces questions, on voit le poids idéologique des pressions qui sont faites sur la Grèce et son gouvernement.
On parle de faillite, de sortie de l’euro. Cela se sent-il au quotidien en Grèce ?
Oui, il y a une inquiétude en Grèce. Il y a plusieurs milliards d’euros en cash qui manquent à l’appel, qui ont disparu ou qui ont quitté le pays.
Tout tourne autour de cette question de faillite, de sortie de l’euro. Résultat, il y a une vraie situation de blocage. Cela a un impact négatif. Personne ne veut investir, personne n’embauche.
Alors bien sûr, pas mal gens sortent leurs euros et les gardent chez eux, par peur d’une dévaluation. Dans cette période, difficile pour les gens de se projeter dans l’avenir.
Comment est vécu le premier bilan du gouvernement Tsipras quelque 100 jours après son arrivée au pouvoir ?
Toujours difficile de dire ce que pensent les Grecs. Si on en croit les sondages, Tsipras bénéficie d’une forte cote de popularité et s'il y avait des élections aujourd’hui, Syriza arriverait en tête.
Mais c’est bien sûr une situation fragile, cela peut changer du jour au lendemain. Au début, le gouvernement a bénéficié de manifestations de soutien, qui ont disparu après la douche froide créée par l’accord donné en février par Syriza sur le contenu des négociations avec l’Eurogroupe. Dans l’opposition, il n’y a eu qu’une manifestation qui n’a réuni qu’une centaine de personnes.
Ce qui est sûr, c’est qu’à partir de juin, l’Etat grec ne pourra plus payer. Alors, soit on arrive à un accord, soit on assiste à un «événement de crédit», comme disent les financiers. Bref, un défaut de payement. Et Syriza est prêt à ne pas céder. Ce ne sont pas des sociaux-démocrates à double langage. Pour Syriza, ce serait une catastrophe politique de trop céder.
Nikos Smyrnaios publie un blog «Ephemeron».
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