Cet article date de plus de neuf ans.

Mais pourquoi tant de haine entre l'Allemagne et la Grèce ?

Le référendum grec a porté à son paroxysme l'opposition entre ces deux pays. Au-delà des négociations européennes, francetv info détaille les raisons de cette hostilité.

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La chancelière allemande Angela Merkel et le Premier ministre grec Alexis Tsipras à Riga (Lettonie), le 22 mai 2015. (ALAIN JOCARD / AFP)

Dans les rues d'Athènes, les croix gammées et les insignes nazis s'affichent sans complexes sur de grandes pancartes : dans un coin de rue, c'est la chancelière allemande qui est représentée avec la moustache d'Adolf Hitler. Sur le trottoir d'en face, le ministre des Finances Wolfgang Schäuble défie la Grèce en uniforme du troisième Reich.

>> Crise grecque : suivez toutes les informations de mardi dans notre direct

En 2013, un sondage de la BBC (en anglais) montrait que 52% des Grecs avait une opinion négative de l'Allemagne. Des querelles nourries par des clichés, à première vue anecdotiques, mais qui puisent leurs racines dans des différents historiques et culturels. Entre l'Allemagne et la Grèce, pourquoi tant de haine ? Francetv info détaille les raisons de l'hostilité entre ces deux pays.

Une histoire commune compliquée

Pour comprendre d'où viennent ces relations houleuses entre l'Allemagne et la Grèce, il faut remonter au XIXe siècle, lors de la naissance de la Grèce en tant qu'Etat indépendant.

Quand il devient un Etat souverain en 1830, le pays sort de plus de quatre siècles de domination ottomane et d'une guerre d'indépendance très coûteuse (1822-1829). Endetté, le pays est, à cette époque, sous la tutelle de trois puissances : la France, la Grande-Bretagne et la Russie. Les trois pays proposent alors à la Grèce un prêt, sous réserve d'installer au pouvoir Othon 1er, un jeune prince de Bavière de 17 ans.

A son arrivée au pouvoir en 1832, le jeune monarque opère une transformation radicale du pays surnommée "bavarocratia" ("bavaro" pour Bavière) par les Grecs : rédaction de lois en allemand, refus de se convertir à la religion orthodoxe, organisation d'une cour germanophone, renvoi de soldats grecs au profit d'Allemands et dépenses fastueuses. En 1862, le roi Othon est renversé mais laisse derrière lui d'énormes dettes que le pays est obligé de rembourser... en contractant de nouveaux prêts. La spirale de l'endettement grec ne fait que commencer.

Toutefois, il est un épisode plus douloureux et plus récent que le pays ne digère toujours pas, celui des réparations de guerre. Durant la seconde guerre mondiale, l'Allemagne nazie occupe la Grèce pendant trois ans. Bilan total des destructions et des pillages, selon Athènes : 162 milliards d'euros, que le gouvernement grec continue d'exiger à l'Allemagne. "Il y a une obligation historique du nouveau gouvernement à réclamer des indemnités de guerre. C'est un devoir vis-à-vis de l'Histoire", lançait ainsi Alexis Tsipras lors de son discours d'investiture en janvier 2015. Pour Berlin, la question des réparations de guerre a été soldée grâce aux traités internationaux.

Une politique budgétaire diamétralement opposée

Si l'Allemagne et la Grèce étaient des économistes, le duel opposerait sûrement l'Autrichien libéral Friedrich von Hayek et le Britannique interventionniste John Maynard Keynes.

Depuis les années 1930, les politiques économiques des deux pays s'opposent : l'Allemagne refuse toute intervention de l'Etat dans l'économie, son rôle est "d'établir des règles et de les faire respecter. L’Etat n’a pas à produire des biens ou des services ou à redistribuer des richesses ni même à chercher à stabiliser l'économie", explique Alternatives économiques. En outre, l'Allemagne est très attachée à la rigueur budgétaire et a même inscrit dans sa Constitution une règle d'or : l'Etat n'a pas le droit de dépenser plus d'argent qu'il n'en reçoit.

De son côté, dès son élection en janvier 2015, Alexis Tsipras annonce vouloir tourner la page de l'austérité et prône un nouveau plan de relance avec, notamment, la création de mesures contre les entreprises surendettées, la mise en place d'une agence de contrôle fiscal ou encore la création d'un revenu minimum garanti sous certaines conditions destiné aux chômeurs de longue durée ou en fin de droits. Le Premier ministre demande aussi un effacement d'une partie de la dette grecque quand l'Allemagne invoque, au même moment, un choc de compétitivité pour son pays.

Des provocations entretenues par les politiques et les médias 

Depuis plusieurs années, les dirigeants politiques des deux pays ne cessent de se provoquer. En 2005, la chancelière allemande sous-entend que la Grèce est un pays de paresseux : "On ne peut pas avoir une union monétaire avec d’un côté, ceux qui ont beaucoup de vacances et de l’autre, ceux qui en ont peu. A la longue, ça ne va pas ensemble", avait-elle déclaré lors d'une réunion de son parti, la CDU.

En mars, c'est le ministre grec de la Défense, Panos Kammenos, qui a menacé l'Allemagne, devant des militants de son parti : "S'ils portent un coup à la Grèce, ils doivent savoir que, demain matin, les immigrants illégaux recevront des papiers et partiront à Berlin !"

Inspirés par leurs représentants politiques, les médias n'hésitent pas à souffler sur les braises, à coup de unes chocs. En 2010, alors qu'Angela Merkel répète que l'Allemagne ne paiera pas pour la mauvaise gestion budgétaire grecque, l'hebdomadaire allemand Focus publie une photo de la Vénus de Milo faisant un doigt d'honneur sous le titre "Un escroc au sein de la famille européenne". Le lendemain, le quotidien de gauche grec I Nikis riposte en affichant un drapeau nazi flottant sur la porte de Brandebourg à Berlin. Régulièrement, les dirigeants allemands sont associés aux nazis.

En Allemagne, la presse conservatrice mène une campagne anti-grecque depuis deux ans, militant pour la sortie de la Grèce de la zone euro. En février, un des quotidiens les plus lus, Bild, encourageait ses lecteurs à se prendre en photo avec la une de leur journal titrant "Nein", pour s'opposer à toute aide financière accordée à la Grèce.

Avec 2,1 millions d'exemplaires vendus chaque jour, Bild joue un rôle considérable dans la vision qu'ont les Allemands de la crise grecque. Après la tenue du référendum le 5 juillet et les longues négociations européennes, certains journaux comme Spiegel ou Süddeutsche Zeitung ont cependant commencé à publier des articles plus pédagogiques et moins offensifs sur la situation de la Grèce. Bild a même évoqué la réduction de la dette grecque comme solution de sortie de crise... mais dans ses pages intérieures.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.