Le café tournoie dans la tasse, sans jamais déborder. "C'est bon signe : si le café ne se répand pas à l'extérieur, cela signifie que rien de brutal ne va se produire prochainement", assure Erato. La voyante verse le contenu dans un bol, retourne la tasse vide et la pose sur une coupelle recouverte de sopalin. Elle soulève à nouveau la tasse et scrute le marc de café. La divination peut commencer.Bienvenue à To Flitzani, un café spacieux niché dans un quartier discret d'Athènes, à 20 minutes de métro du centre-ville. "C'est un lieu unique en Grèce", assure, mercredi 24 juin, Mairi, 44 ans, la propriétaire des lieux. Contre 15 euros, chacun peut passer un quart d'heure avec l'une des trois voyantes de l'établissement et découvrir ce que lui réserve son avenir. La pratique, baptisée "cafédomancie", est répandue dans le pays, mais d'ordinaire reléguée dans des appartements et rémunérée au noir. Erato lit dans le marc de café, dans une cabine de To Flitzani. (YANN THOMPSON / FRANCETV INFO) "J'ai ouvert il y a un an et demi, à l'apogée de la crise", raconte Mairi. Dès les premiers mois, le succès a été au rendez-vous. La patronne a dû instaurer un système de rendez-vous pour désengorger le café. "Les gens viennent pour des questions sentimentales, mais aussi, de plus en plus, pour des problèmes professionnels, indique-t-elle. La crise a renforcé l'inquiétude liée au travail et donc boosté la 'cafédomancie'.""Cela m'aide à garder espoir"Avant de monter à l'étage pour sa consultation, Irini, 45 ans, sirote un jus en lisant la presse people. Cette habitante du quartier a perdu son emploi d'institutrice dans une école maternelle privée, en milieu d'année. Avant cela, comme tant de Grecs, elle a connu les baisses de salaire et la fin des petits plaisirs, "comme les week-ends au vert ou les chaussures achetées 150 euros sur un coup de tête"."Venir ici me permet de prendre mon mal en patience, explique cette blonde aux yeux bleus. Cela m'aide à garder espoir chaque jour, et à tenir psychologiquement. Et si la moitié des choses que j'ai entendues ici se produisent, je fais une fête !"Evi, elle, prend des notes après sa rencontre avec la voyante - la deuxième en deux jours. Cette écrivaine de 45 ans en quête de succès international est tombée dans le marc de café en cherchant l'inspiration pour une pièce de théâtre. Elle est devenue accro. "En temps de crise, il y a trois refuges : l'église, les voyantes et la loterie, estime-t-elle. Je suis très croyante et je pense que les voyantes tiennent leur don de Dieu. Ces femmes sont des prophètes, comme la Pythie de Delphes dans l'Antiquité grecque."Oracle des temps modernesAvant d'ouvrir son café, Mairi, la gérante, s'est fiée à son "intuition" plutôt qu'aux prédictions des voyantes. Elle admet ne "pas croire dur comme fer" à la "cafédomancie". Mais cette ancienne journaliste de télévision est fière d'avoir dépoussiéré cette pratique longtemps "taboue"."Au début, des clients demandaient si on pouvait baisser les stores, pour ne pas être vus", se souvient-elle. Elle refusait. Son café se veut "lifestyle", éclairé à la lumière du jour avec de larges baies vitrées. L'une de ses trois voyantes, Erato, est une jeune mère de 30 ans, manucurée, en débardeur blanc et talons, plus proche d'une bimbo que d'une prophète ténébreuse et mystique. Les cabines aussi sont lumineuses et on y entend la musique jazzy jouée au rez-de-chaussée, ambiance salon de coiffure. Le menu du café To Flitzani annonce ses tarifs : 15 euros la "cafédomancie", 20 euros la "cartomancie", 30 euros les deux. (YANN THOMPSON / FRANCETV INFO) Tandis que la crise perdure, Mairi prévoit d'ouvrir un second café, en fin d'année, dans le quartier chic de Kolonaki, plus près du centre. La réputation de son établissement va déjà au-delà d'Athènes. "Des clients de toute la Grèce m'envoient des tasses par colis, pour des rendez-vous par téléphone", ajoute l'entrepreneure, qui réfléchit à franchiser son affaire."Je fais plus confiance à cette tasse qu'aux politiques"Ce mercredi après-midi, alors que les négociations à Bruxelles sur l'avenir de la Grèce semblent de nouveau dans l'impasse, Alexandra et Athina, deux amies de 21 et 23 ans, viennent pour la première fois à To Flitzani. "Pour connaître mon futur, je fais plus confiance à cette tasse de café qu'aux hommes politiques", lâche Alexandra. "En Grèce, on ne sait même pas si notre pays existera encore à la fin du mois", ajoute Athina.Contrairement à d'autres Grecs, les deux amies estiment que les jeunes n'ont pas perdu leur faculté à rêver. "Nous sommes optimistes, assurent-elles. Nous ne venons pas ici par peur de l'avenir, mais plutôt pour le toucher du bout des doigts."