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Grèce : l'exercice du pouvoir a montré les limites de la politique d'Alexis Tsipras

Le Premier ministre grec doit désormais mener des réformes d'austérité à l'opposé du programme pour lequel il a été élu. Un revers pour Syriza, mais aussi pour les gauches radicales européennes.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Le ministre des Finances grec,  Euclide Tsakalotos, le 15 juillt 2015 au parlement grec à Athènes (Grèce). (LOUISA GOULIAMAKI / AFP)

Un virage à 180 degrés. Le Premier ministre grec, Alexis Tsipras, a cédé aux exigences de ses partenaires de la zone euro. Pour espérer sauver son pays du naufrage, il doit désormais assumer une politique d'austérité à l'opposé de celle qui les a portés au pouvoir en Grèce, lui et Syriza, son parti de gauche radicale et antilibérale, il y a six mois.

Pour que l'aide financière internationale continue d'être versée à Athènes, il a d'abord dû faire approuver par sa majorité, mercredi 15 juillet, les réformes et les mesures d'austérité drastiques demandées par ses créanciers. La crise économique semble avoir eu raison des idéaux d'Alexis Tsipras et Syriza. Et ils ne seront sans doute pas les dernières victimes.

Un revirement contraint en à peine sept mois

Retour en janvier 2015 : Syriza remporte les législatives anticipées. Son chef de file, Alexis Tsipras, triomphe. La gauche radicale met fin à des années d'alternance entre droite conservatrice et gauche socialiste. C'est l'heure des grandes promesses. "La Grèce laisse derrière elle une austérité catastrophique, elle laisse derrière elle la peur et l'autoritarisme, elle laisse derrière elle cinq années d'humiliation et d'angoisse", clame Tsipras devant ses partisans pleins d'espoir.

Le nouveau Premier ministre rêve d'un allègement de l'abyssale dette publique grecque. C'est oublier un peu vite qu'il n'est pas en position de négocier. Les caisses se vident à vue d'œil et le pays tout entier ne vit plus que sous perfusion d'une aide soumise à la condition de nouvelles réformes.

Alexis Tsipras, le 25 janvier 2015 à Athènes (Grèce), au soir de la victoire de son parti, Syriza, aux élections législatives. (MARKO DJURICA / REUTERS)

Tspiras entame des négociations avec la "troïka", honnie des Grecs. Il a face à lui la Banque centrale européenne, le Fonds monétaire international et une bonne partie des 18 autres Etats membres de la zone euro. Chacun campe sur ses positions. Les pourparlers s'enlisent. Pourtant, il y a urgence. Fin juin, il tente un coup de poker. Il organise un référendum : oui ou non aux propositions des créanciers ? Il défend le "non" et obtient l'approbation de plus de 61% des suffrages, le 5 juillet. 

Fort de ce plébiscite, il imagine revenir plus fort à la table des négociations. Mais entre-temps, la Grèce est tombée en défaut de paiement et les pays les plus intransigeants de la zone euro, Allemagne en tête, restent inflexibles. Tsipras n'a d'autres choix que de plier, mi-juillet, et d'assumer un accord auquel, dit-il, il ne croit pas mais qu'il a "signé pour éviter un désastre au pays". Comprenez : une sortie de l'euro.

"Sera-t-il capable de transformer sa défaite en victoire ?"

Syriza se fracture. La puissante présidente du Parlement, Zoé Konstantopoulou, appelle à faire barrage à l'accord. Nadia Valavani, députée et cadre du parti, a démissionné de son portefeuille de ministre adjointe des Finances. Et Tsipras compte pour seul soutien acquis son opposition : la conservatrice Nouvelle Démocratie, le socialiste Pasok et le centriste To Potami. "C'est un échec. Tsipras ne peut plus tenir le discours anti-austérité et anti-Allemagne qui a mobilisé ses électeurs, analyse Serge Cosseron, historien spécialiste de l'extrême gauche, contacté par francetv info. Il est obligé de passer sous les fourches caudines européennes. Sa politique ne peut plus être celle de Syriza."

"S'il entreprend les réformes réclamées par la zone euro, il s'attaquera à l'Eglise orthodoxe, aux armateurs... Ce sera une révolution à marche forcée pour la Grèce. Paradoxalement, elle pourrait lui attirer les sympathies de l'extrême gauche, parce qu'il s'attaquera à ceux qui ne paient pas. Mais aussi de la droite, parce qu'il fera son travail, poursuit le spécialiste. Tsipras pourra-t-il chevaucher deux chevaux allant dans des directions contraires ? Sera-t-il capable de transformer sa défaite en victoire ? Ses qualités d'homme d'Etat vont être mises à rude épreuve."

"Un échec" en forme d'avertissement pour Podemos

La "déception" est de taille pour les autres partis d'extrême gauche européens : le Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon, le Bloc de gauche portugais, l'Allemand Die Linke et même le mouvement populiste italien 5 étoiles (M5S) de l'ex-comédien Beppe Grillo. Tous voyaient la Grèce comme le "laboratoire" d'une "expérience" politique inédite et espéraient que le mouvement anti-austérité fasse tache d'huile, relève Serge Cosseron. Mais plus que n'importe où ailleurs en Europe, la crise grecque est suivie avec attention en Espagne, où Podemos est devenu en un peu plus d'un an la troisième force politique et où des législatives doivent avoir lieu dans moins de six mois.

Le parti antilibéral espagnol, né en 2014 et enfanté par les Indignés, a affiché sa proximité avec Syriza. Alexis Tsipras a participé aux meetings de Pablo Iglesias, et vice-versa. Mais Podemos prend maintenant ses distances. Son responsable chargé de l'économie, Nacho Alvarez, a repris à son compte l'expression de la droite espagnole : "La Grèce n'est pas l'Espagne." "Podemos et Syriza ont des orientations économiques différentes", a-t-il insisté. Et d'assurer que les difficultés que connaît la Grèce ne seraient pas possibles en Espagne, même avec Podemos au pouvoir. 

Alexis Tsipras (Syriza) et Pablo Iglesias (Podemos) saluent leurs partisans lors d'un meeting de campagne le 22 janvier 2015 à Athènes (Grèce). (ARIS MESSINIS / AFP)

Si un fossé sépare la Grèce, petit pays de onze millions d'habitants, et l'Espagne, quatrième économie de la zone euro avec 47 millions d'habitants, les similitudes entre les deux pays sont bien réelles. En Espagne comme en Grèce, des socialistes étaient aux commandes lorsqu'a éclaté la crise de la dette en Europe, en 2009. Le déficit public était de 12,7% en Grèce et atteignait 11,1% en Espagne. Fin 2011, le Parti populaire de droite a pris le pouvoir en Espagne, promettant de remettre les comptes en état afin d'éviter la banqueroute. En juin 2012, un gouvernement de coalition droite-gauche arrivait au pouvoir à Athènes. Dans les deux pays, des budgets d'austérité ont été adoptés, sur fond de récession et d'explosion du chômage. La Grèce a bénéficié de deux plans de sauvetage de 240 milliards d'euros, l'Espagne d'un plan d'aide à son secteur bancaire de plus de 40 milliards.

L'Espagne et la Grèce détiennent aussi le triste record des deux pays ayant le taux de chômage le plus élevé en Europe (respectivement 23,7% et 25,6%). La dette publique espagnole atteindra, fin 2015, 98,5% du PIB, contre plus de 177% pour la dette grecque. Et, même si l'Espagne a renoué avec la croissance, "Podemos se trouvera dans la même position que Syriza, s'il arrive au pouvoir", juge Serge Cosseron. "Podemos sera contraint de gérer le même type de situation et fera face aux mêmes propositions", prévient l'historien. 

Le signe d'un manque de démocratie en Europe

Les négociations à Bruxelles sur la crise de la dette grecque l'ont prouvé : les faucons de la zone euro, tenants de l'austérité, ont imposé leurs vues. "On a un système peu démocratique où les rapports de force jouent beaucoup"analyse Henri Sterdyniak, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques. En intégrant l'Union européenne, "les pays ont accepté de perdre une partie de leur souveraineté" mais "on peut se demander si des pays ont le droit d'imposer à la Grèce des politiques qu'ils n'appliquent pas eux-mêmes", fait observer l'analyste. 

Ce feuilleton n'est pas fini et risque encore d'"exacerber les tensions et les divergences en Europe". Pour le couple franco-allemand, mais aussi pour la Commission européenne, il prouve qu'il est nécessaire de développer la gouvernance de la zone euro"Cela passerait par une multiplication des processus contraignants, c'est-à-dire de décisions prises à Bruxelles et imposées aux pays de l'UE", estime l'économiste de l'OCDE. De quoi renforcer l'image d'une Europe des technocrates érigée contre les peuples.

Le ministre des Finances grec, Euclide Tsakalotos, encadré par le président de l'Eurogroupe néerlandais Jeroen Dijsselbloem et le Français Michel Sapin, le 7 juillet 2015 à Bruxelles (Belgique). (PHILIPPE WOJAZER / REUTERS)

"Le problème de l'Europe est là : quelle démocratie faut-il à un continent en crise ?", s'interroge Serge Cosseron pour qui "il n'y a pas de démocratie réelle aujourd'hui en Europe". "L'Europe a aujourd'hui la tâche essentielle de se poser une question : peut-il y avoir une démocratie européenne ? C'est le défi de l'Europe au XXIe siècle." 

"Il faudra sans doute, un jour, une grande assemblée constituante pour repenser le fonctionnement de l'Europe avec un débat démocratique qui permettra de redéfinir les pouvoirs de l'Union européenne", abonde Henri Sterdyniak.

Pendant ce temps, l'UE assiste à la montée d'autres détracteurs de l'austérité. En Finlande, les électeurs ont sanctionné mi-avril les partis dominants dans le gouvernement, conservateurs et sociaux-démocrates, au profit notamment du parti populiste et europhobe des Vrais Finlandais. Au Danemark, le Parti populaire – une droite anti-immigration – est devenu la deuxième force politique du pays. Et en France, un électeur sur quatre est prêt à voter pour le Front national de Marine Le Pen aux régionales de décembre.

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