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En Grèce, "les touristes ne voient rien, mais nos affaires vont mal"

Malgré la mise en place du contrôle des capitaux et la fermeture des banques grecques, le secteur du tourisme bat son plein à Athènes.

Article rédigé par Elise Lambert - Envoyée spéciale à Athènes (Grèce)
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Les touristes visitent l'Acropole d'Athènes (Grèce), le 30 juin 2015. (LOUISA GOULIAMAKI / AFP)

La navette X95 ne s'arrête jamais. Toutes les demi-heures, elle relie l’aéroport international Venizelos à la grande place Syntagma, au centre-ville d’Athènes. Depuis le début de la saison estivale, elle a transporté des flots de touristes. A l'arrêt de bus où patientent les voyageurs, mardi 30 juin, on parle chinois, allemand, anglais, français... On se félicite du beau temps et on évoque les monuments à visiter. Une banale journée d'été au cœur d’un des pays les plus touristiques d’Europe. Si ce n'est que les banques locales sont fermées et les capitaux des Grecs sont contrôlés depuis dimanche.

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Deux mondes se côtoient désormais dans le pays : d’un côté, les Grecs, contraints à des retraits de 60 euros maximum par jour en liquide, de l'autre les touristes, venus les poches remplies de billets, et qui peuvent théoriquement retirer autant de cash qu'ils veulent. 

"On demande aux clients de payer en cash"

Dans la plupart des hôtels de la ville, on compte sur cette manne étrangère pour obtenir des liquidités : "On essaye d'appeler tous nos clients avant leur arrivée pour leur demander de nous payer en liquide car on ne peut plus en retirer suffisamment pour régler nos frais, raconte Theodor, 33 ans, gérant d'un hôtel familial dans le quartier d'Attiki, au nord d’Athènes. La plupart du temps, ils comprennent très bien et viennent avec le cash nécessaire, sinon ils payent par carte, mais c’est vraiment moins pratique pour nous."

Et du côté de la fréquentation ? "Aucun client n’a annulé après les mesures d'Alexis Tsipras, mais j'ai peu de réservations après le 5 juillet. Les touristes attendent de voir ce que le pays deviendra après le référendum." Faute de trésorerie suffisante, Theodor s’en remet à la solidarité familiale. "Ma mère prépare le gâteau et la confiture du petit-déjeuner avec les réserves de la maison, mon frère et ma sœur nous aident en salle ou au comptoir... On fait tout pour garder notre standing. Les touristes ne voient rien, mais nos affaires vont mal !"

"On gère à la grecque"

Kostas Vangelis est bijoutier dans le quartier de Monastiraki. Pour lui, la restriction bancaire n'est qu'une goutte de trop, au cœur de cinq années de déroute : "On a dû se séparer de deux employés en deux ans. On perd beaucoup d'argent car les touristes n'achètent plus autant de bijoux qu'avant. La crise touche tous les secteurs." Lorsqu'un client paye en liquide, Kostas préfère demander l'appoint, faute de fonds pour lui rendre la monnaie. Certaines stations-service ont même décidé de ne plus accepter les cartes de crédit, de peur qu'à leur réouverture, les banques ne puissent plus les créditer. "Plus de monnaie, plus de carte bleue... On gère à la grecque, lance, désabusé, un vendeur de fruits et de noix. On prend un café, on va à la plage et on joue au backgammon, en attendant la suite."

Pour les restaurants, la fréquentation est souvent liée à l’emplacement : "Notre situation est idéale. On est sur une place tellement touristique et passante qu’on ne peut pas louper notre café. Tout le monde y vient, les Grecs et les étrangers", affirme Kostas, restaurateur au café Metro, près du marché de Monastiraki. Toute la journée, ses tables sont pleines : "Les touristes ne sont pas concernés par ce qui nous arrive. Ils continuent de boire du café frappé, de manger des yaourts grecs puisqu'ils peuvent retirer autant de liquide qu’ils veulent ! Pour eux, rien n’a changé. Ils sont là pour consommer et ne veulent pas entendre parler de nos soucis."

Des vacances à tout prix

Quand ces "soucis" ont débuté, comme l'évoque Kostas, de nombreuses chancelleries étrangères (France, Etats-Unis, Allemagne, Belgique, Finlande, Suède...) ont conseillé à leurs ressortissants en voyage en Grèce, de prévoir suffisamment de liquide pour éviter la file d'attente aux guichets, ou la rupture de billets. 

Devant le Parlement, aucun touriste n'ignore la situation, mais personne n’a envisagé d'annuler son voyage : "On est là pour 18 jours et ce sont des vacances que l’on attend depuis trop longtemps pour les annuler. On a réservé notre voyage depuis octobre", lancent Lyla, Salimata, Miguel et Gilles, étudiants en langues étrangères à Paris. Trois d'entre eux sont venus avec environ 1 000 euros en poche. "On est encore plus vigilants avec autant de liquide dans nos valises ! Mieux vaut éviter de se faire voler", s'inquiète Lyla. "Moi, je n'ai pas trop compris ce qui se passait, je n'ai pris que 300 euros mais je vis au jour le jour, c'est les vacances !", lance Gilles, visiblement serein.

Au pied de l'Acropole, Marie, une lycéenne chinoise originaire de Pékin, en voyage scolaire avec sa classe, veut garder la tête froide : "Quand j'ai vu les images des Grecs faisant la queue devant les banques à la télé, j'ai pris mes précautions." Sa classe ne reste qu'une semaine à Athènes, avant de partir dans les îles grecques. "J'ai retiré 200 euros et comme je n'ai pas de carte bleue, je ne dépense pas mes sous n'importe comment. Pour l'instant, on n'a eu aucun problème, on croise les doigts. Si la situation devient trop compliquée, on partira plus tôt", ajoute-t-elle. 

"Les cartes bancaires étrangères sont acceptées partout, abondent Frida et Robert, deux jeunes Norvégiens en escale d'une croisière en Méditerranée. Dans le pire des cas, on retire de l'argent sur le bateau, mais nous n'avons rencontré aucun problème lors de nos activités."

Le tourisme, principale source de revenus du pays

Il faut dire que le tourisme est choyé en Grèce. Selon le Sete, l'association des professionnels du tourisme grec, le secteur touristique pesait, en 2012, près de 16,4% du PIB, représentait près de 690 000 emplois pour plus de 10 milliards d'euros de recettes. Si le record de 2014 semble difficile à battre (22 millions de touristes durant les deux mois d'été), selon Le Figaro, le Premier ministre grec Alexis Tsipras entend bien préserver ce secteur prolifique, qui n'a cessé de se développer malgré la crise ces cinq dernières années : "On rapporte de l'argent au pays, nous, au moins, pointe un brin ironique Owen, un Irlandais arrivé mardi pour sa lune de miel. Ça serait bête de ne pas venir profiter de la mer et du soleil !" 

Prévoyant, le couple a mis beaucoup d'argent de côté, sans préciser la somme. "Tout pour se faire plaisir et ne pas compter chaque jour", précise Mary la jeune mariée. Un quotidien décidément bien éloigné de celui des Grecs. 

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