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Alexis Tsipras, l’énigmatique perturbateur de la scène politique européenne

En obtenant un succès massif du «non» au référendum sur les nouvelles mesures d’austérité imposées à la Grèce, et un vote du parlement en faveur de leur mise en œuvre, non sans avoir obtenu au passage une aide de 80 milliards de dollars et l’engagement à une réévaluation de la dette «pour éviter un désastre» au pays, Alexis Tsipras s’impose comme la grande énigme de la scène politique européenne.
Article rédigé par Alain Chémali
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Le premier ministre grec Alexis Tsipras saisi dans un moment de lassitude lors de la session parlementaire du 15 juillet 2015 à Athènes. (Aris Messinis/AFP)

Plus jeune Premier ministre grec depuis 150 ans, Alexis Tsipras a déboulé dans le jeu politique grec, et européen par la même occasion, comme un perturbateur dans un jeu de construction européenne en panne.


Porté par la nouvelle gauche eurocommuniste et altermondialiste
Communiste, issu de la rue où il participait aux manifestations de la place Syntagma contre la cure d’austérité imposée à son pays, il s’est retrouvé sans crier gare à la tête de Syriza, la coalition des nouvelles forces de gauche eurocommuniste et altermondialiste du pays.

Porté par une jeunesse athénienne, déçue du socialisme du PASOK, ce modeste ingénieur, qui a fait ses premiers pas dans l’entreprise en bâtiment de son père, s’est mis à incarner une ligne politique qui a fini par le porter à la tête du gouvernement.
 
Son programme, obtenir la réduction d’une dette de plus de 320 milliards d’euros, un moratoire sur le service de cette dernière qui gangrène de l’économie du pays et une recapitalisation des banques sans que les sommes soient comptabilisées dans cette dette. Le tout, bien sûr, en échange de réformes dans le pays visant à plus de justice sociale, plus d’égalité de droits et plus de transparence politique et fiscale.
 
Très vite il s’est trouvé confronté, autant qu’il les révélait, aux dures réalités des diktats et des divisions européennes sur l’attitude à adopter avec Athènes. Mais l’homme est réputé calme, très calme, et tout aussi tenace, voire «têtu», comme le dit de lui Donald Tusk, président du Conseil européen.
 
Fervent admirateur de Che Guevara et Fidel Castro, comme il le reconnaît volontiers, il n’hésite pourtant pas à faire sienne la devise de l’ancien président américain Franklin Roosevelt : «La seule chose dont il faut avoir peur, c’est de la peur elle-même.»

 
Armé de cette détermination, et aidé de l’intercession du président François Hollande, il va braver l’inflexibilité de la Chancelière allemande Angela Merkel et son ministre des finances Wolfgang  Schäuble et obtenir de quoi rouvrir les banques et négocier un réaménagement de la dette.
 
Traité de charlatan par une droite favorable à la sortie de la Grèce de l’euro ou porté aux nues par la gauche de la gauche qui l’accuse désormais d’avoir cédé aux pressions de Bruxelles, Alexis Tsipras pratique le cabotage. Il a réussi à éviter les écueils et à maintenir pour le moment son pays dans l’Europe.

Tsipras a perdu le sommeil et l'appétit mais pas la combativité 
A en croire les confidences de sa mère à un journal grec, il en aurait perdu le sommeil et l’appétit, «mais il n’a pas le choix, ajoute-t-elle, il a une dette envers le peuple qui lui a fait confiance». Même s’il est apparu sur une photo soutenant son front de la main dans un geste de grande lassitude, il n’en a pas perdu pour autant sa combativité.
 
Ce réinventeur du politique qui a délibérément jeté sa cravate aux orties et qui fêtera ses 41 ans le 28 juillet, exclut d’abandonner le navire en pleine tempête. Il a préféré écarter les frondeurs en remaniant son gouvernement avant le retour des experts de la Banque centrale européenne, du Fonds monétaire international et de la Commission européenne à Athènes. Ces institutions surnommées la Troïka et accusées de la mise sous tutelle du pays.
 
Du courage et de l’imagination, il va lui en falloir également pour surmonter les écueils de l’intérieur, notamment celui de l’église orthodoxe qui reste très interventionniste dans la vie politique et économique grecque.
 
Athée, de gauche radicale, vivant en concubinage avec sa compagne avec laquelle il a deux enfants non baptisés, le Premier ministre grec a refusé de prêter serment sur la bible lors de sa prise de fonction donnant un aperçu d’une indépendance d’esprit nouvelle qui souffle sur le pays.

Préfére saluer le courage du pape François plutôt que celui de l'église orthodoxe 
Il n’a toutefois pas engagé de bras de fer avec cette institution riche, exemptée d’impôts, et qui tient, en cette période de crise aiguë, un rôle humanitaire auprès des catégories les plus démunies et les plus sinistrées de la population.
 
L’activisme de Tsipras a cependant mis à découvert les incohérences de l’église. Au début de la crise, elle avait publié un communiqué officiel dénonçant les plans d’austérité de la Troïka qualifiée de «force d’occupation étrangère», pour soutenir cinq ans plus tard le oui au référendum sur leur application.
 
Nourri de Périclès et de Socrate, mais aussi des premiers combats du mouvement ouvrier américain de la fin du XIXe siècle, Alexis Tsipras a jusque là évité de s’attaquer de front à la vieille institution religieuse. Mais dans un entretien accordé à la revue Politique internationale, il affirme qu’il décernerait le prix du courage politique au pape François. Sa manière à lui de jeter un pavé dans la mare de l’église orthodoxe.

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