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«Global style battle»: Quand la rue bouscule les codes de la mode

Article rédigé par Laurent Filippi
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Le photographe Daniele Tamagni a sillonné l’Asie, l’Afrique et l’Amérique du Sud pour capturer les nouvelles identités de ceux qui, à travers leurs tenues vestimentaires, réécrivent les codes d’un monde en mutation.

Nous découvrons à travers les pages de son livre «Global style battle» (Dominique Carré éditeur/Editions La Découverte) une avant-garde que l'on croit trop souvent l'apanage des grandes capitales de la mode: Paris, Londres, Milan, New York. Mais derrière cette esthétique dite «du Sud » se cachent souvent de nombreux combats… un moyen d’exister.

Qu’ils soient rockers du Botswana, hipsters de Johannesburg, dandys du Congo… tous redessinent ce monde pluriel où tradition et modernité se confondent pour mieux se réinventer. La culture populaire a l’art et la manière de se réapproprier les codes de la culture «mainstream», de la mode occidentale et des grands couturiers internationaux. Que le kitsch devienne une forme d’élégance est aussi une manière de faire un pied de nez à la pauvreté.

Car pour transcender la misère, exorciser la pauvreté, quoi de mieux que de s'habiller comme une néo-princesse ou un chevalier du futur. Ici, il est bel et bien question de se réapproprier une fierté, d'être respecté et avant tout de garder son honneur.

«Tu peux venir du coin le plus sordide, la seule question c'est comment tu te vois. Comme un déchet ou comme de l'or ? Personne ne connaît ce que tu as laissé derrière toi. Ce qui compte, c'est comment tu vas te présenter au monde», raconte une jeune artiste sud-africaine au photographe italien Daniele Tamagni.

D’ailleurs, cette subculture populaire est souvent née dans l'adversité et le combat contre le conservatisme des sociétés ou les dictatures des Etats, contre toutes formes de pouvoir qui veulent soumettre l’individu. Cette lutte de l’underground contre l'establishment est souvent le terreau fertile de cette créativité.

Dans des pays souvent marqués par la violence et la misère, s’habiller de façon extravagante n’est pas seulement destiné à se faire remarquer, c’est aussi une manière de se réapproprier des traditions mais sans les rejeter, pour casser les stéréotypes sociaux. Ces nouveaux looks urbains se veulent le reflet d’une affirmation de soi et de son identité dans ce qu’elle a de plus spécifique.

Rosario Dawson et Abrima Erwah, cofondatrices et codirectrices du Studio One Eighty Nine (SOEN), expliquent dans la préface : «SOEN est né d’un voyage en République démocratique du Congo pour l’inauguration de la Cité de la Joie sous l’impulsion du mouvement V-Day. Rassemblement au cours duquel nous avons côtoyé des femmes qui avaient survécu à des situations terribles, mais conservé leur féminité et même continué d'assumer leur rôle de chef de famille. Ces femmes, victimes de violences sexuelles, avaient donné ce qui leur restait d'énergie pour créer leur affaire dans l'artisanat et la mode afin d'assurer un avenir et des conditions de vie durables à leurs enfants.»

Lauréat en 2007 du Canon Young Photographer Award grâce à un reportage sur les dandys congolais, Daniele Tamagni publie deux ans plus tard Gentlemen of Bacongo, préfacé par Paul Smith. Essentiellement concentré sur l'esthétique des différentes modes de la rue, le photographe remporte en 2011 le World Press Photo in Arts and Entertainment. Ses photographies ont été exposées dans les plus importants musées et galeries privées du monde.

Géopolis vous propose de découvrir 7 photos sur l’esthétique de ces différentes modes de la rue.

«Vintage Crew est l'exemple parfait de gens qui travaillent et se fondent au sein d'un collectif tout en restant maîtres de leurs spécificités et de leurs opinions. Ils portent des vêtements vintage, assortis d'accessoires inattendus qu'ils qualifient eux-mêmes «d'absurdes». La mode s'empare du social et du politique. Ils militent et soulèvent nombre de questions sur les sujets qui leur sont proches, le lesbianisme, l'homophobie. Dans leur troupe, chaque membre se sent respecté, valorisé, et partie prenante de quelque chose de magique. J’admire les qualités qui les guident, l'optimisme, l'innovation et la réinvention.» (Asanda Sizani - Daniele Tamagni)
«Ce n'est pas un vent de rébellion qui souffle Sur Dakar. Ni les mannequins ni les filles n'obéissent à aucun mot d'ordre. Mais une nouvelle génération, née dans les années 1980 et 1990, fille d'lnternet et de la mondialisation, est en train d'insuffler quelque chose de nouveau à I'identité, bien plus que vestimentaire, sénégalaise. Elle veut se réinventer, exprimer sa singularité. Ce sont des designers, mais aussi des blogueurs, des photographes. Beaucoup travaillent ensemble. Certains ont fait leurs études en Europe ou aux Etats-Unis, ils ont voyagé. De ces va-et-vient géographiques et culturels naissent des télescopages fructueux. S'ils revendiquent plus que jamais leurs racines africaines, ils puisent leur inspiration partout, Sur la scène alternative sénégalaise comme dans les clips de Beyoncé, dans les fashion blogs anglosaxons comme dans les séries télévisées.» (Emmanuelle Courrèges/Daniele Tamagni)
 «Dans ses photographies havanaises, Daniele Tamagni ne s'inspire pas des défilés des créateurs de mode. Son regard capte les allées et venues des gens de la rue et se focalise sur des personnages populaires, détendus devant l’objectif de cet étranger qu’ils considèrent comme un touriste de plus. En se concentrant sur ces jeunes qui déambulent dans les quartiers les plus populeux et les plus décrépis de la ville, Tamagni révèle les caractéristiques essentielles d'une société qui pénètre prudemment dans le nouveau millénaire.» (Antonio Eligio (Tonel)/ Daniele Tamagni)
«Les cholitas aiment à démontrer qu'elles se débrouillent très bien sans hommes, en tant que maîtresses de maison, dans leur travail ainsi que dans l'action syndicale et politique. Elles participent à l'émancipation des femmes dans le sens où leur activité professionnelle, principalement dans le commerce, est une démonstration de leur indépendance à l'égard des hommes. De plus, leurs actions contribuent à une plus grande visibilité des femmes sur la scène publique… Les cholitas accèdent progressivement à des postes de premier rang au sein du gouvernement bolivien. Il n'est donc pas étonnant que les cholitas soient d'excellentes catcheuses. Les matchs de catch incarnent leur combat quotidien aux enjeux vitaux tels que la survie de leur famille, ainsi que leur maîtrise de la mise en scène, démontrée dans certaines formes de protestation spectaculaires.» ( Véronique Marchand/Daniele Tamagni)
«L'élégance autoproclamée des sapeurs et leurs vêtements parfois hors de prix ne symbolisent en rien un statut social tant ils correspondent peu la situation économique de la majorité de ces personnes, qui font des efforts considérables pour s'embellir de la sorte. Il s'agit plus de la représentation d'un statut fictif et théâtralisé. L'esthétique espiègle des sapeurs ne rejoint en rien, par exemple, le grandiose étalage kitsch et la richesse obscène des trafiquants de drogue d'Amérique latine, d'Afrique ou d'Europe de l'Est, qui constituent une expression menaçante de pouvoir. Elle est plus en lien avec cette inclination au luxe et la dépense ostentatoire que l'on retrouve dans les contextes d'extrême pauvreté d'Afrique centrale et d'Afrique de l'Ouest, où des Mercedes dernier cri sont garées dans la boue devant des taudis.» (Gerardo Mosquera/Daniele Tamagni)
«Le style punk a commencé émerger en Birmanie au temps de la révolution Safran, vers 2007, lorsque d'immenses processions de moines aux pieds nus ont envahi les rues des villes, partout dans le pays, pour défier les lois militaires. Ce fut un tournant décisif pour le mouvement démocratique et, malgré la façon brutale avec laquelle il prit fin, il donna du courage aux dissidents de toutes sortes, dont les punks… Aujourd'hui, les punks birmans n'ont plus à se cacher, leur originalité peut éclater, d'autant que la vie traditionnelle birmane a aussi quelque chose d 'une bacchanale qui résonne facilement avec la provocation et l'exhibitionnisme punk.» (Peter Popham/ Daniele Tamagni)
«Peu connaissent la notoriété grandissante au Botswana de ses groupes de heavy metal. Il y a encore quelques années si vous tapiez "metal+Botswana" sur Google, vous ne trouviez rien sur la musique, mais tout sur les réserves de cuivre, de zinc et d'or du pays, qui se range par ailleurs au troisième rang des producteurs mondiaux de diamants. Le Botswana est un pays riche, mais aujourd'hui, étonnamment, les choses ont changé: ses habitants manifestent un réel engouement pour les sons rebelles du heavy metal.» ( Katie Breen/Daniele Tamagni)

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