Voitures, éoliennes, pompes à chaleur... Comment l'extrême droite attaque les mesures pro-climat pour engranger des voix en Europe

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 11min
La cheffe des députés Rassemblement national, Marine Le Pen, et le leader de l'extrême droite néerlandaise, Geert Wilders, surfent sur une vague de mécontentement face aux lois visant à lutter contre le réchauffement climatique. (PAULINE LE NOURS / FRANCEINFO)
A l'approche des élections européennes, l'extrême droite s'attaque aux mesures climatiques dans différents pays. Cette guerre culturelle contre une politique accusée d'être élitiste pourrait faire capoter les ambitions de l'UE sur le sujet.

Et si une pompe à chaleur faisait gagner l'extrême droite ? A première vue, la question peut paraître risible. C'est pourtant l'une des explications de la forte poussée du parti Alternative pour l'Allemagne (AfD) dans les sondages outre-Rhin en vue des élections européennes du 9 juin. Ces derniers mois, la formation nationaliste et populiste a érigé en symbole une loi visant à réduire les installations de chaudières à gaz et fioul et favoriser les pompes à chaleur. Présenté par le chancelier social-démocrate Olaf Scholz comme nécessaire à la transition énergétique, le texte est devenu une nouvelle arme de l'AfD dans sa guerre menée contre la gauche.

Les élus de l'AfD ont bataillé contre la loi, allant jusqu'à dénoncer un "massacre au chauffage", rapportait en janvier le site de la radio allemande Deutsche Welle. La stratégie semble avoir payé. Ainsi, le nombre d'adhérents du parti est passé de 29 500 à 35 000 en 2023, explique l'agence de presse allemande DPA, qui cite les chiffres communiqués par le parti. Surtout, l'AfD oscille entre 17 et 20% dans les sondages, le double de son score aux élections législatives de 2021. 

Une dénonciation de "l'écologie punitive"

Une tactique similaire se retrouve au-delà des frontières allemandes, à l'approche des élections européennes. Si les partis d'extrême droite ont longtemps été frontalement climatosceptiques, "la plupart ont abandonné ce discours, à mesure que l'inquiétude face au changement climatique grandit, même si certains restent climatosceptiques" , explique Lluis de Nadal Alsina, sociologue à l'université de Glasgow (Ecosse) spécialiste des rapports entre les populismes et les mouvements sociaux. "Ils focalisent dorénavant leurs critiques sur les mesures prises par les gouvernements et sur les acteurs de la lutte contre le climat" plutôt que contre le consensus scientifique, précise le chercheur. Certains, comme l'AFD, continuent cependant de remettre en cause l'origine humaine du réchauffement, note le quotidien britannique Financial Times.

En France, le Rassemblement national (RN) a suivi cette même trajectoire. En 2010, Jean-Marie Le Pen dénonçait encore une "manipulation" du "prétendu réchauffement climatique". Aujourd'hui, "on voit que le RN a une volonté d'intégrer la question du réchauffement dans son discours global sur le déclin de la France, même si je ne suis pas dupe de ce qu'ils pensent réellement", observe l'eurodéputée sortante Marie Toussaint, tête de liste de la liste écologiste aux élections européennes.

"Nous souhaitons tout faire pour améliorer la situation de l'environnement" , assure à franceinfo l'eurodéputé RN sortant Jean-Paul Garraud. Le programme de Marine Le Pen pour la présidentielle de 2022 avait pourtant été jugé "très éloigné" des objectifs de la France liés à l'accord de Paris, selon une analyse de franceinfo et de l'association Les Shifters. Le RN se concentre contre certains sujets symboliques, comme l'installation d'éoliennes à laquelle il est "farouchement opposé", selon les mots de la députée Edwige Diaz sur franceinfo, en novembre 2022. "Nous dénonçons l'écologie punitive [mise en place par l'UE], qui assomme les citoyens de normes, car elles vont appauvrir le pays. Il s'agit une politique de décroissance", détaille Jean-Paul Garraud.

La voiture comme marqueur identitaire

L'Union européenne (UE) et son Pacte vert se trouvent fréquemment au cœur des critiques des partis d'extrême droite. Le paquet de mesures vise à réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030 pour les amener à zéro en 2050. Parmi l'ensemble des dispositions, l 'interdiction de la vente de voitures neuves à moteur thermique en 2035, adoptée en mars par l'UE, est une cible privilégiée. "Avec cette mesure, n'avons plus de  choix, il s'agit d'une atteinte à nos libertés fondamentales", s'indigne Jean-Paul Garraud.

L'invocation de "la liberté" contre "le monstre technocratique" bruxellois se retrouve fréquemment dans la bouche d'autres partis d'extrême droite. Aux Pays-Bas, Geert Wielders, vainqueur des élections de novembre et bientôt membre de la coalition au pouvoir, a ainsi promis de se débarrasser des lois pro-climat, jugeant que son pays ne sera pas impacté par la crise climatique. Ces mouvements mêlent "les pompes à chaleurs, les migrants, l'euro et les personnes transgenres" pour dépeindre "un monde hors de contrôle, reconstruit par les élites globalisantes", résume Politico à propos de l'AFD.

"C'est logique que l'extrême droite attaque les écologistes, car nous sommes tout ce qu'elle déteste."

Marie Toussaint, eurodéputée EELV

à franceinfo

"Pour les populistes, la lutte contre le changement climatique est une lutte contre un agenda qui est lié aux questions sociétales et poussées par des élites globales contre les peuples", résume Lluis de Nadal Alsina. La voiture à moteur thermique devient ainsi un marqueur identitaire tout comme certains modes de vie. En Pologne, les populistes ont ainsi combattu les politiques de transition énergétique en les opposant aux travailleurs dans les mines et aux valeurs traditionnelles, rapportent des chercheurs sur le site de l'université de Bergen (Norvège). 

Les partis d'extrême droite, aidés par la crise énergétique de 2022 et l'inflation, surfent sur ce que les médias anglophones nomment "backlash" ("retour de bâton", en français) vis-à-vis des politiques climatiques. E n février, les élections municipales de Berlin (Allemagne) sont devenues un référendum sur la place de la voiture en ville, que la gauche voulait alors réduire, rapportait Euractiv. En Espagne, plusieurs villes gouvernées par la droite et l'extrême droite depuis le printemps ont décidé de supprimer des pistes cyclables, racontait en septembre Euronews. Au Pays-Bas, c'est l'interdiction de l'utilisation de l'azote, nocif pour le climat, imposée aux agriculteurs qui a fait exploser le vote populiste aux élections locales en mars.

"Il est certain qu'il y a cinq ans, lors des élections européennes de 2019, nous avions le vent dans le dos, ça n'est plus le cas aujourd'hui", analyse Marie Toussaint, alors que les partis écologistes sont en baisse dans les sondages dans la plupart des pays européens. "Le problème, c'est que l'on a mis en place des politiques environnementales qui sont inégalitaires, comme la taxe carbone aux frontières que nous voulions rendre progressive", ajoute l'écologiste qui garde en mémoire la fronde des bonnets rouges contre l'écotaxe de 2013 et plaide pour "affirmer l'attachement de la question de la justice sociale dans la transition".

Glissement de la droite européenne

"Ces exemples envoient le signal aux politiques qu'il y a une résistance à l'agenda qui a pour but la neutralité carbone de l'UE", souligne Lluis de Nadal Alsina. Dès lors, la question du coût politique taraude les leaders européens. Emmanuel Macron a appelé en mai à une "pause réglementaire européenne" en matière d'environnement. "Au Royaume-Uni, les conservateurs ont largement réduit leur ambition en matière de climat, notamment à cause coût politique de ce 'backlash'", ajoute Lluis de Nadal Alsina.

"La droite traditionnelle est clairement revenue sur ses engagements en matière d'environnement", s'inquiète de son côté l'écologiste Marie Toussaint. La décision du président Les Républicains de l'Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez de ne pas appliquer la loi zéro artificialisation dans sa région a fait scandale. Une partie du Parti populaire européen (PPE) de centre-droit a ainsi voté contre la loi européenne de restauration de la nature en juin dernier, adoptée de justesse, au nom de l'impact potentiellement négatif pour l'agriculture, la pêche ou les énergies renouvelables. En novembre, les eurodéputés du PPE, premier parti du Parlement européen, ont joint leur voix à celle des élus d'extrême droite pour rejeter de nouvelles restrictions sur l'usage des pesticides.

Faut-il y voir une victoire idéologique de l'extrême droite ? "Oui, puisque nous sommes à l'initiative de ce renversement de situation", clame Jean-Paul Garraud. Une lecture de la situation rejetée par les principaux intéressés. "Il faut déjà dire que la question des pesticides n'a rien à voir avec le climat, donc on ne peut pas dire que l'on remet en cause le Pacte vert", considère Peter Liese, eurodéputé du PPE. L'élu allemand, au Parlement depuis 1994, pointe du doigt "l'hypocrisie de la gauche et des écologistes, qui rejettent parfois des textes avec l'extrême droite, sans que la presse s'indigne".

"Il n'est pas du tout question de remettre en cause les objectifs de l'UE en matière de climat, mais un équilibre doit être trouvé, car toutes les mesures ne sont pas de bonnes mesures."

Peter Liese, eurodéputé allemande du PPE

à franceinfo

Les "partis traditionnels" pourraient finir par "légitimer les attaques contre le Pacte vert" et faire préférer aux électeurs et électrices européennes l'original à la copie, s'est néanmoins inquiété le commissaire européen à l'Environnement, Virginijus Sinkevičius, lors d'une interview à Politico, début décembre. 

Face aux risques de retour en arrière, le centre, la gauche et les écologistes s'interrogent sur la stratégie à adopter. "Nous devons réaffirmer notre attachement à la justice sociale, c'est pour cela que nous défendons d'un seul tenant les droits de la nature et des humains", lance Marie Toussaint, qui appelle à faire preuve "d'une très grande pédagogie face aux fake news".

Les partisans d'une politique climatique forte chercheront à se rassurer avec les études d'opinion. Près de 58% des Européens souhaitent "une accélération de la transition énergétique" et 67% jugent que leur gouvernement n'en faisait pas assez, selon un Eurobaromètre publié en juillet 2023. Face à ces chiffres, l'inaction climatique ne risquerait-elle pas d'entraîner un retour de bâton "encore plus important que celui que nous observons actuellement ?" interroge Lluis de Nadal Asilva. Il faudra dans un premier temps convaincre cette majorité de se rendre aux urnes en juin pour des élections européennes qui mobilisent traditionnellement moins que les scrutins nationaux.


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