: Reportage "Le marché intérieur n’est plus suffisant pour survivre" : la menace de nouveaux droits de douane européens inquiète les usines de voitures électriques chinoises
L’Europe doit-elle imposer de nouveaux droits de douane sur les voitures électriques chinoises qui s’apprêtent à envahir le marché européen ? C’est l'un des thèmes de la campagne électorale avant les élections européennes du 9 juin. La question n’est toujours pas tranchée. La décision de la Commission européenne annoncée pour mercredi 5 juin pourrait finalement être reportée après les élections. En Chine, en tout cas, la perspective de nouveaux droits de douane inquiète beaucoup les fabricants de voitures électriques.
C’est le cas de Leapmotor, troisième start-ups chinoise sur les véhicules à énergie nouvelle. Elle va exporter ses premières voitures en France au mois de septembre, grâce à un partenariat conclu avec le groupe italo-franco-américain Stellantis. Depuis quelques semaines, l’usine d’assemblage de Leapmotor dans la banlieue de Jinhua au sud de Shanghai est en pleine effervescence.
"Nous avons ajusté tous les logiciels"
Les quelque 6 000 ouvriers et les nombreux robots qui les entourent préparent les toutes premières voitures qui vont bientôt partir pour l’Europe. "La voiture que vous voyez là, c’est le modèle T03 que nous allons vendre à partir du mois de septembre dans neuf pays européens, présente Tan Xuegang, le chef d’équipe de l’atelier d’assemblage. Nous avons ajusté tous les logiciels, notamment le système de langue. Nous avons aussi dû répondre aux réglementations locales pour que nos véhicules soient certifiés dans chaque pays."
La T03 est une petite voiture d’entrée de gamme qui sera vendue à moins de 20 000 euros en Europe. Leapmotor compte aussi exporter un modèle de voiture familiale. Pour préparer cette échéance, la cadence de l’usine a été augmentée : en ce moment, 800 véhicules sortent chaque jour des chaînes de production. Le constructeur a la particularité de tout fabriquer pour ses voitures, des moteurs aux batteries en passant par les boîtes de vitesse.
Le site de 120 hectares est l’un des plus sophistiqués de Chine, avec au total trois usines et une quatrième qui doit voir le jour dans la capitale de la province à Hangzhou. "Le taux d'automatisation de notre usine est d'environ 90 %, détaille Tan Xuegang. Les ouvriers effectuent seulement les travaux d'assemblage et d'inspection. Les batteries sont aussi fabriquées chez nous dans une usine juste à côté, elles sont ensuite transportées ici sur le site d’assemblage."
"La concurrence est brutale"
Ces voitures qui vont être exportées, c’est une condition de survie pour Leapmotor : le marché chinois est saturé. Le PDG et fondateur de Leapmotor, Zhu Mingjiang se bat face à une centaine de fabricants concurrents : "Cela n'a pas été facile pour nous d'arriver aussi loin. En 2015, il y avait plus de 50 start-ups en Chine dans le domaine des véhicules à énergie nouvelle. Maintenant, il n'en reste plus que cinq, dont nous, Leapmotor, qui existons toujours. La concurrence est brutale. Le marché intérieur n’est plus suffisant pour survivre. Et dans ce contexte, la mondialisation est très importante pour nous. Notre souhait est de devenir une entreprise de véhicules électriques de classe mondiale. C’est pour cette raison que nous avons lancé cette collaboration avec Stellantis pour développer nos marchés étrangers", plaide-t-il.
Grâce à l’alliance avec Stellantis, Leapmotor va pouvoir bénéficier d’un réseau de 200 concessionnaires en France. Pour l’expert automobile indépendant Li Yanwei, ce type de partenariat est indispensable pour les Chinois : "De nombreux constructeurs chinois ont créé leurs propres sociétés indépendantes en Europe pour y vendre des voitures. Elles essayent de comprendre progressivement le marché et le comportement des consommateurs locaux. Mais ça avance lentement. Grâce à Stellantis, Leapmotor n'aura pas tout ce travail à faire. Stellantis donnera en permanence les informations sur l’évolution du marché, sur les améliorations à apporter aux produits pour suivre les besoins des consommateurs européens".
"En travaillant ensemble, les deux entreprises vont pouvoir pénétrer le marché européen beaucoup plus rapidement."
Li Yanwei, expert automobileà franceinfo
"Des droits de douane raisonnables, c'est normal"
L’alliance avec Stellantis est aussi une manière d’anticiper une augmentation des droits de douane en Europe, selon Grégoire Olivier, représentant de Stellantis en Chine : "Si la Commission européenne décide de niveaux de taxes élevés à l'importation en Europe, ça nous conduira logiquement à localiser les véhicules de Leapmotor dans une usine de Stellantis en Europe."
La décision de la Commission européenne n’a pas encore été annoncée, mais une possible augmentation des tarifs douaniers irrite d’ores et déjà la Chine qui dénonce une politisation de l’économie. C’est ce que dit aussi à demi-mot le patron de Leapmotor Zhu Jiangming : "Je pense que des droits de douane raisonnables, cela est normal. C’est une manière de protéger les entreprises locales, mais pratiquer des droits de douane trop élevés, ce n’est pas un comportement commercial, il y a d'autres facteurs qui jouent."
"À l'heure où les États-Unis et l'Union européenne veulent augmentent les droits de douane sur les exportations chinoises de véhicules électriques, poursuit le patron de Leapmotor, nous espérons que ce type de coopération avec Stellantis nous permettra de maintenir nos produits compétitifs." Grâce à Stellantis, les voitures fabriquées dans l’usine de Jinhua vont aussi être vendues à partir de la fin de l’année dans de nombreux autres pays : en Amérique du Sud, au Proche-Orient, en Asie et dans le Pacifique... mais pas aux Etats-Unis pour l’instant. Washington est considéré comme trop hostile aux véhicules électriques chinois.
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