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La présidence française de l'Union européenne s'achève : Paris a-t-il rempli ses objectifs malgré la guerre en Ukraine ?

Alors que la PFUE prend fin le 30 juin, la France a dû bouleverser ses ambitieux plans pour l'UE, après l'invasion de l'Ukraine par la Russie. Une crise qui n'a pas empêché le pays de nouer des accords sur des dossiers importants.

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
La présidence française du Conseil de l'Union européenne se termine jeudi 30 juin 2022. (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)

Une présidence ambitieuse perturbée par l'invasion russe en Ukraine. Voilà comment résumer les six mois de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE), qui se termine jeudi 30 juin. Les diplomates français doivent plier bagages avant de quitter Bruxelles et de transmettre les dossiers non bouclés à leurs homologues tchèques, dont le pays récupère la présidence tournante jusqu'au 31 décembre.

Lancée en grande pompe par un discours d'Emmanuel Macron devant le Parlement européen le 19 janvier, la PFUE se voulait ambitieuse. Un peu trop, sûrement. Réforme de l'espace Schengen, défense européenne, climat, salaire minimum, réflexion sur les institutions… La feuille de route française était dense, d'autant que le président tenait à y associer une réflexion sur l'avenir de l'Union. Pourtant, la présidence du Conseil de l'UE a avant tout un rôle de "facilitateur", qui vise à faire avancer les législations européennes en obtenant des compromis entre les 27, la Commission et le Parlement.

"Le bon pays, au bon endroit et au bon moment"

L'actualité géopolitique a cependant percuté les ambitions d'Emmanuel Macron et de Clément Beaune, alors secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, le 24 février, lorsque la Russie a envahi l'Ukraine. Les priorités ont changé et la France s'est retrouvée contrainte de coordonner la réponse européenne au conflit. "La présidence française a contribué à garder l'UE unifiée pendant la guerre et à faire passer, de façon très efficace, les cinq premiers trains de sanctions contre la Russie", estime auprès de franceinfo Nicolai von Ondarza, à la tête de la division Europe de l'Institut allemand pour les affaires internationales et de sécurité.

Une opinion partagée en coulisses à Bruxelles, où l'on estime avoir pu compter sur le savoir-faire français en matière de diplomatie. "C'est une bonne chose que la France ait eu la tête du Conseil, d'abord parce qu'elle fait partie du format Normandie [réunions qui réunissaient la France, l'Allemagne, l'Ukraine et la Russie lors de l'invasion de la Crimée par Moscou en 2014], mais aussi parce qu'elle pèse politiquement et qu'elle a des opinions modérées", ajoute Nicoletta Pirozzi, à la tête du programme européen de l'Institut des Affaires internationales, basé à Rome. "Trouver des compromis aurait été plus compliqué si un des pays baltes, par exemple, avait été à la tête du Conseil."

La France, "le bon pays, au bon endroit, au bon moment", selon Sébastien Maillard, directeur de l'Institut Jacques-Delors, a même su faire preuve de flexibilité, notamment au sujet de ses propres points de blocage. Longtemps opposée à l'élargissement de l'UE sans une réforme préalable du fonctionnement des institutions, elle a finalement accepté un compromis sur l'octroi du statut de pays candidat à l'Ukraine et à la Moldavie.

De nombreux textes adoptés

Reste que la guerre en Ukraine n'a pas conditionné tous les contours de cette PFUE. L'élection présidentielle française, en avril, et les élections législatives, en juin, ont aussi eu une incidence sur le programme de Paris. "On a senti, dès le début, que la France avait concentré la plupart des initiatives importantes dans les trois premiers mois", souligne Nicolai von Ondarza. Résultat, Emmanuel Macron, très présent à Bruxelles de janvier à mars, s'est replié sur la politique nationale à partir d'avril, même si, dans les institutions européennes, les diplomates et négociateurs français ont continué à travailler.

"De manière générale, on a senti que l'Europe était une priorité pour l'Elysée", juge Sophie Pornschlegel, analyste politique au think tank pro-européen European Policy Centre (EPC) à Bruxelles. Dans le détail, les 27 se sont par exemple mis d'accord, le 7 juin, sur de nouvelles règles visant à fixer des salaires minimaux décents dans les différents pays membres. "C'est une mesure importante d'un point de vue politique, même s'il faudra voir sa mise en œuvre dans les Etats membres", souligne Nicoletta Pirozzi.

La question de la défense européenne, une des priorités de Paris, a elle aussi largement avancé grâce à l'adoption de la boussole stratégique, un document qui définit les menaces auxquelles est confrontée l'UE, telles que l'agressivité russe ou le double jeu de la Chine, et la façon dont l'Union doit y répondre. Le paquet climat et "l'ajustement à l'objectif 55", qui vise à réduire de 55% les émissions de gaz à effet de serre d'ici à 2030, a pu également largement avancer, la France arachant même un compromis sur plusieurs textes le 28 juin rapporter France 24. "On peut notamment parler de la taxe carbone aux frontières, une première, pour laquelle la France a trouvé un accord politique", souligne Sébastien Maillard. Enfin, si Paris n'a pas réussi à trouver un compromis autour de la réglementation sur les services numériques, dont le but est de mieux contrôler les contenus partagés en ligne en imposant de nouvelles règles aux Gafam, l'une de ses priorités, "il a largement avancé sur le sujet". Le texte sera finalisé par la présidence tchèque.

Les réformes économiques ralenties

De là à parler de "bilan massif", comme l'a fait dimanche 26 juin Clément Beaune, désormais ministre délégué chargé de l'Europe, sur France 3 ? "Cette relative réussite de la présidence française est largement due à une administration efficace et à de bons négociateurs. Un peu moins au leadership d'Emmanuel Macron", nuance Nicolai von Ondarza. Dans les couloirs des institutions européennes, certains s'agacent de voir la France présenter des accords comme des victoires obtenues uniquement par Paris, selon des sources diplomatiques à France Télévisions. Le faible "niveau d'anglais des négociateurs" a même pu parfois "ralentir" les négociations, estime Sophie Pornschlegel.

D'ailleurs, l'ambition française n'a pas porté ses fruits sur tous les sujets. "La France avait préparé un plan pour réformer la politique migratoire, mais cela a été complètement mis de côté à cause de la guerre en Ukraine", regrette Nicoletta Pirozzi. Autre déception, "le veto hongrois sur la taxe minimale sur les multinationales, qui a bien embêté les Français", note Sophie Pornschlegel, alors qu'un accord sur cet impôt minimum de 15% sur les bénéfices semblait proche.

Finalement, les volontés de réformes économiques, notamment la remise en cause du pacte de stabilité et de croissance (PSC) ou la mise en place d'un deuxième plan de relance post-Covid-19, ont été douchées. "C'est simple, on a complètement changé de sujet", soupire Sébastien Maillard, qui rappelle que le sommet du 11 mars, à Versailles, qui devait tourner autour des sujets économiques, a finalement été consacré à l'Ukraine et aux questions d'indépendance énergétique. Un changement de programme qui a permis aux 27 d'avancer rapidement sur ces deux derniers thèmes.

La Conférence sur l'avenir de l'Europe "tombée à plat"

Au rayon des échecs figure aussi le bilan des promesses de transformation de l'UE faites par la France. Six mois plus tard, très peu ont avancé. Nicolai von Ortanza en veut pour preuve la Conférence sur l'avenir de l'Europe, qui a réuni des citoyens européens tirés au sort pour réfléchir à l'avenir de l'UE, qui s'est conclue en mai : "Finalement, les conclusions ont été détournées par le Parlement, qui s'en est servi pour demander un changement des traités. Même si Macron est pour, il n'a pas réussi à mettre d'accord les autres pays. C'est tombé à plat."

Le constat est le même pour la Communauté politique européenne (CPE), proposée par Emmanuel Macron. Les autres membres ont accueilli avec frilosité l'idée d'une nouvelle institution qui inclurait des pays voisins de l'UE comme l'Ukraine ou le Royaume-Uni. Une proposition qui recueille pour l'instant peu d'enthousiasme, mais qui a le mérite d'exister, juge Sophie Pornschlegel.

"On remarque que la France a été assez forte pour faire parler de nouveaux concepts comme la CPE ou l'autonomie stratégique. Elles ont dominé les débats. C'est une bonne chose, car il faut de nouvelles visions pour l'UE et que l'on avance sur ces sujets."

Sophie Pornschlegel

experte à l'European Policy Centre, à franceinfo

La présidence française de 2022 aura dans tous les cas été "mieux menée que celle de 2008, pendant laquelle Nicolas Sarkozy avait voulu se mettre au centre du jeu pendant le conflit en Géorgie", estime Nicolai von Ondarza. "La France a plutôt un bon bilan", tranche Sophie Pornschlegel. Il appartient désormais à la République tchèque de prendre le relais et de faire avancer les dossiers en cours, notamment sur le climat, l'économie, la sécurité énergétique et les conséquences continues de la guerre en Ukraine.

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