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"Tourisme social" : pourquoi la décision de la Cour de justice européenne aura peu d'impact

La CJUE a statué : les Etats membres ne seront pas tenus de verser des prestations sociales à des étrangers européens qui ne cherchent pas de travail. Dans l'Hexagone, cette décision n'aura que des conséquences marginales.

Article rédigé par Tatiana Lissitzky
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le siège de la Cour de justice de l'Union européenne, à Luxembourg, le 5 novembre 2014. (THIERRY ROGÉ / ISOPIX/ SIPA)

La décision a été saluée en France et en Europe. Les pays membres de l'Union européenne peuvent désormais refuser de verser des prestations sociales à des immigrants intracommunautaires qui ne cherchent pas de travail dans leur pays d'accueil, selon une décision de la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE). Ce jugement, rendu le mardi 11 novembre, fait suite à une saisine de la justice allemande visant un cas que les autorités considéraient comme du "tourisme social".

En France, la question des aides sociales accordées aux étrangers fait régulièrement débat. Mais cette décision, applaudie par une partie de la classe politique, ne révolutionne en rien le cadre actuel. Voici pourquoi.

Parce que le "tourisme social" est "un fantasme"

La décision de la CJUE a fait l'unanimité du FN au PS et a été saluée par de nombreux responsables politiques. Le Front national y voit la validation de la "priorité nationale", principe cher au parti. Le chef de file des députés PS, Bruno Le Roux, s'est aussi félicité de ce qui "semble être un jugement qui dit des choses justes". Le député UMP Eric Ciotti a salué la décision, mais a demandé d'aller plus loin dans la restriction des droits pour les étrangers, afin "de préserver notre modèle social."

Pourtant, pour Chahira Boutayeb, maître de conférences en droit public et droit européen à l'Université Paris-I Panthéon-Sorbonne, le tourisme social "est avant tout un fantasme". Cet arrêt "vise surtout à satisfaire le camp des eurosceptiques, notamment le Royaume-Uni, les Pays-Bas ainsi que l'Autriche", insiste-t-elle. 

Selon une étude de la Commission européenne, seuls 2,8% des citoyens des 28 pays européens changent d'Etat de résidence au sein de l'UE. Parmi eux, un tiers seulement sont "inactifs". Ce sont pour la plupart des étudiants, des retraités ou des demandeurs d'emploi. Au total, ils représentent moins de 1% de la population européenne. Le rapport souligne aussi que, loin devant les prestations sociales, la première motivation des immigrés est l'emploi ou les raisons familiales.

Parce qu'il existe déjà de nombreuses restrictions

Si la décision européenne ne peut avoir qu'une portée limitée en France, c'est aussi et surtout parce que la plupart des prestations sociales sont déjà liées au droit de séjour. Et l'obtention de ce dernier est conditionnée. Tout citoyen de l'Union peut séjourner durant trois mois maximum dans un autre Etat membre, mais s'il veut y rester au-delà, il doit exercer une activité professionnelle qui lui procure des revenus suffisants, de telle sorte que sa "présence ne constitue pas une charge déraisonnable pour l'Etat d'accueil".

L'arrêt de la CJUE ne fait que renforcer ce lien entre droit de séjour et obtention des aides. "Les ressortissants d’autres Etats membres peuvent réclamer une égalité de traitement avec les ressortissants de l’Etat membre d’accueil que si leur séjour respecte les conditions de la directive 'citoyen de l’Union' 2 . A cet égard, la Cour rappelle que, selon la directive, l’Etat membre d’accueil n’est pas obligé d’accorder une prestation d’assistance sociale pendant les trois premiers mois de séjour", explique ainsi le texte.

Par ailleurs, dans ce cadre, seuls les ressortissants européens présents sur leur territoire depuis moins de cinq ans peuvent être concernés par la suppression des prestations sociales. Car après cinq ans de séjour ininterrompu, un ressortissant européen obtient un droit de séjour permanent. Ce qui lui ouvre le droit aux mêmes aides sociales que les citoyens de son pays de résidence. 

Enfin, la France a mis en place d'autres conditions plus restrictives que le seul droit de séjour pour certaines prestations. Par exemple, pour pouvoir bénéficier de la Couverture maladie universelle (CMU), la personne immigrée doit disposer d'un domicile stable et régulier. De la même façon, pour toucher le RSA (un peu plus de 500 euros pour une personne seule), il faut vivre en France depuis au moins trois ans pour un ressortissant européen et depuis au moins cinq ans pour un étranger hors Union européenne. 

Parce qu'elle ne concerne qu'une partie des prestations sociales

Seules les prestations dites "non contributives" (prestations familiales, allocations logement, minima sociaux, prime pour l’emploi) sont concernées par l'arrêt de la CJUE. En France, le minimum vieillesse (Aspa), le Revenu de solidarité active (RSA), les prestations de la caisse d'allocations familiales (CAF), l'Allocation aux adultes handicapés (AAH) ou encore l'Allocation supplémentaire d'invalidité (ASI) peuvent ainsi être refusés aux immigrés qui ne cherchent pas de travail. 

En revanche, les Etats membres ne peuvent pas priver les immigrés des prestations contributives, comme les allocations de chômage. Il ne peut y avoir aucune différence de traitement entre les étrangers ressortissants de l'Union européenne ou des pays tiers et les Français. L'Aide médicale de l'Etat (AME), décriée par la droite et l'extrême droite, qui estiment qu'elle coûte trop cher, n'est pas non plus concernée par l'arrêt, qui ne concerne que les étrangers membres d'un des 27 autres pays de l'UE. Taillée sur mesure pour les étrangers en situation irrégulière, l'AME permet une prise en charge gratuite des soins médicaux et d'hospitalisation. 

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