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Roumanie : les investisseurs étrangers se ruent sur les terres agricoles

Le président français, François Hollande, s'est rendu le 13 septembre 2016 à Bucarest. La visite a surtout poté sur des projets scientifiques et industriels. La Roumanie n’en est pas moins un important pays agricole. Un pays confronté à une véritable ruée sur ses terres de la part d’acheteurs étrangers. Explications.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Moisson à Orezu (sud-est de la Roumanie), le 2 juillet 2014. (REUTERS - Bogdan Cristel )

Avant la Seconde guerre mondiale, la Roumanie, aujourd’hui 5e pays de l’UE en terme de surface agricole, était l’un des principaux greniers à blé du Vieux continent. Plus de la moitié de ses terres cultivables sont constituées de chernosium (ou chernozem), avec un fort pourcentage d’humus, de potasse et de phosphore, très fertile. Ces «terres noires», que l’on trouve aussi en Ukraine, peuvent doubler les rendements. C’est dire si cette situation favorable peut susciter les convoitises, notamment de la part d’investisseurs étrangers. D’autant que la main d’œuvre rurale est abondante (25% d’une population de 19,8 millions d’habitants) et bon marché (avec un salaire minimum de 160 euros mensuels).

Concentration
En Roumanie, comme ailleurs en Europe de l’Est, la chute du Rideau de fer en 1989 a entraîné une concentration des terres. L’achat de foncier a été facilité par la désorganisation qui a prévalu après l’effondrement de la dictature stalinienne de Ceausescu. Le phénomène s’est emballé au moment de l’adhésion à l’Union européenne, en 2004.

Aujourd’hui, les achats de terre sont surtout le fait des étrangers. En 2014, on estimait ainsi que 6 à 8% des surfaces arables du pays, soit un peu moins d'un million d’hectares (superficie du pays: 237.500 km²), étaient passées dans des mains non roumaines… Elles «sont exploitées par des multinationales comme Rabobank, Generali ou ASE Europe», note Le Figaro. Mais aussi des firmes agro-alimentaires «comme les groupes français Limagrain, Guyomarc’h, Bonduelle, Roquette, Bongrain et Invivo», les fonds «Agro-Chirnogi (Liban) ou Velcourt SRL (Grande-Bretagne)», constate la journaliste spécialisée Marianne Rigaux.

«Dans le sud du pays, (on trouve) surtout des investisseurs venus de pays arabes, du Qatar, d'Arabie Saoudite, et aussi un fonds d'investissements libanais», souligne Eco Ruralis, association roumaine membre de la coordination européenne Via Campesina, citée par l’AFP (une coordination à laquelle participe en France la Confédération paysanne).

Un berger garde son troupeau dans le village de Izvoarele, à 260 km au nord-est de Bucarest, le 7 octobre 2013. (REUTERS - Bogdan Cristel )

D’une manière générale, les étrangers «se concentrent sur la production de céréales (…), exportées dans l’Union européenne. Et sur la production animale, de volailles et de porcs, pour les marchés locaux», note Marianne Rigaux. Cette production carnée est également destinée aux marchés extérieurs, notamment les pays du Golfe et la Chine.

Spéculation
L’investissement dans les terres agricoles roumaines semble très rentable. En 2012-2013, le prix d’achat oscillait «entre 2000 et 4000 euros l’hectare, soit 10 fois moins cher qu’au Danemark ou en Hollande», deux pays qui en manquent cruellement, rapporte Eco Ruralis. Et deux fois moins qu’en France.

Conséquence : avec une offre aussi attractive pour les investisseurs étrangers, les prix du foncier agricole roumain ont bondi. Juste avant que Bucarest ne rejoigne l’UE, ils ont soudainement triplé et continuent «de monter chaque année», constate l’ingénieur agronome Attila Szocs, responsable d’Eco Ruralis. Rien que sur la période 2012-2014, l’augmentation aurait été de 60%! Une véritable spéculation parfois proche de pratiques mafieuses…

Dans une étude intitulée Accaparement mondial des terres agricoles en 2016: ampleur et impact, l’ONG GRAIN note qu’il n’est pas facile «de démontrer l’existence d’un lien entre un investissement dans les terres agricoles et des actes de corruption ou de criminalité». Mais constate qu’«en Roumanie, les tribunaux ont poursuivi de nombreux investisseurs pour évasion fiscale et blanchiment d’argent». Des enquêtes visent ainsi la banque néerlandaise Rabobank. De son côté, le gouvernement français «surveille les capitaux flottants qui arrivent dans le secteur viticole» roumain, affirme la même source.

Subventions de Bruxelles
Dans ce contexte, la terre devient inaccessible aux paysans locaux. De leur côté, les autorités roumaines «ont pu imposer des restrictions à l’achat de terres par des étrangers afin de préserver l’agriculture locale», rapporte le journal La France Agricole. Mais l’arrimage européen les a contraintes à changer leurs règles en 2014 pour libéraliser le marché des surfaces agricoles.

Toutefois, un droit de préemption a été institué notamment pour l’Etat, les locataires des terres, les voisins, ainsi que les agriculteurs locaux de moins de 40 ans. «Le gouvernement souhaitait initialement demander aux citoyens étrangers de démontrer une expérience dans l’agriculture et limiter les surfaces achetées à 100 hectares», constate France Agricole. «Mais il a renoncé à ces restrictions», précise l’hebdomadaire.

Cueilleurs de tomates dans le sud de la Roumanie le 13 août 2014 (REUTERS - Bogdan Cristel)

On peut d’ailleurs se dire que le rachat des terres par des étrangers, qui entraîne leur concentration, va dans le sens des autorités. C’est ce que montre le programme 2013-2016 du gouvernement. Dans celui-ci, il dit vouloir «accroître la compétitivité de l`agriculture (…) pour faire face à la concurrence du marché européen et international» et favoriser la «croissance de la productivité de l`agriculture». Tout en notant que la situation agricole du pays s’est notamment détérioré «à la suite de la division en millions d`exploitations de petites dimensions, dénuées des outillages nécessaires.» Une situation qui s’oppose «difficilement aux exigences du marché». Autrement dit : un regroupement de ces petites exploitations est indispensable.

La PAC : une aubaine pour les spéculateurs?
Dans le même temps, les subventions agricoles allouées par Bruxelles favorisent les étrangers. «Un terrain loué 100 euros l’hectare à un propriétaire roumain rapporte 160 euros d’aides à l’exploitant, avant même qu’il ait commencé à produire», rapporte la journaliste Marianne Rigaux.

En général, les étrangers louent à des locaux les surfaces qu’ils ont achetées. Et ce sur une longue durée. «Les contrats sont flous, les paysans en comprennent souvent mal les termes. On leur promet des achats de matériels, ils cèdent leurs terres pour 10 ou 20 ans à 100 euros l'hectare. On a même vu des contrats à 600 kilos de grains par hectare. Mais rien qu'en subvention de la PAC, l'investisseur va encaisser 130 euros par hectare», précise Attila Szocs. Conclusion du Figaro: le paiement de la Politique agricole commune a ainsi contribué à l’essor d’un phénomène «qui favorise la spéculation sur le prix des terres».

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