Cet article date de plus de sept ans.

«Pénélopegate»: la presse étrangère et les privilèges des politiques français

Les révélations du «Canard» sur Pénélope Fillon (qui aurait touché «1 million d’euros brut» comme assistante parlementaire de son mari) inspirent la presse étrangère. Elle s’étonne des privilèges, payés par les contribuables, dont profitent en toute impunité les membres de la classe politique française. Pas étonnant qu’il y ait un tel gouffre entre le personnel politique et l’opinion, conclut-elle
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
François Fillon, l'air sombre des mauvais jours, le 1er février 2017 (REUTERS - Christian Hartmann)

Pour Pénélope Fillon, le coup doit être particulièrement rude. En 2007, dans une interview au Telegraph (conservateur), retrouvé par le blog de Londres de France 2 (hébergé sur Géopolis), elle expliquait: «Je ne suis vraiment pas une Parisienne, je suis le type de personne qui préfère s’asseoir au fond de la salle pour observer et écouter les autres.» Elle ajoute même: quand «on reconnaît mon mari (François Fillon) dans la rue, je change de trottoir, ce qui, je le suppose, n’est pas très gentil de ma part»

Aujourd’hui, l’épouse du candidat officiel des républicains serait peut-être reconnue partout dans la rue même à l’extérieur de l’Hexagone. Il faut dire que les journaux étrangers s’intéressent beaucoup à l’affaire de ses émoluments. Une affaire qui plonge «de plus en plus» François Fillon «dans de grandes difficultés», résument à l’unisson l’hebdo (de centre-gauche) Der Spiegel et le quotidien (conservateur) Die Frankfurter Allgemeine Zeitung (FAZ).

«Filou Fillon?»
Malgré son point d’interrogation, le titre lapidaire du FAZ ne laisse planer aucun doute sur le jugement qu’il porte sur le dossier de l’«assistante parlementaire fantôme» de l’ex-Premier ministre: «Filou Fillon?» «Les députés français ont le droit de faire travailler des membres de leur famille. Il faut seulement veiller à ce que ne soit pas un job de complaisance», rappelle le quotidien allemand. Une pratique qui «ne scandalise personne en France», pense Die Süddeutsche Zeitung, journal (centre-gauche) de Munich. «A la différence de ce qui se fait au Bundestag allemand où, selon le code interne (de cette institution), les époux ou épouses, beaux-frères et même les anciens conjoints n’ont pas droit de cité.»

L’argument vaut pour le Danemark. «Si une telle affaire éclatait (dans ce pays) ou ailleurs en Scandinavie, le candidat serait cuit depuis longtemps», explique dans Courrier International Bjørn Willum, correspondant à Paris de la Radio-télévision danoise.

Capture d'écran du site du journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung en date du 1er février 2017 (DR (capture d'écran))

Un tel argument vaut aussi pour le Royaume-Uni. «Quand les membres du Parlement britannique ont été surpris (en 2009-2010) en train de bidouiller leurs dépenses, au moins, ils ont dû rendre des comptes. En France, ils n’ont même pas à produire de factures», constate l’Independent britannique. La législation hexagonale est «laxiste dans ce domaine», ne peut que constater El País (centre-gauche) en Espagne. Un pays où les scandales politiques sont pourtant nombreux…

La pratique révélée par Le Canard, partie intégrante d’un «système confortable (…), ne va pas rehausser le crédit de la classe politique aux yeux d’un électorat de plus en plus méfiant face aux privilèges dont bénéficie» ses membres, constate le Guardian de Londres (centre-gauche). «Pendant des décennies, la politique française semblait être un univers moral à part, où les élus continuaient à exercer des mandats et pouvaient, sans encombre, se représenter devant les électeurs malgré des enquêtes judiciaires en cours.»

Dans ce contexte, on ne s’étonnera pas de voir ressurgir ça et là la traditionnelle condescendance britannique vis-à-vis de ces indécrottables et incompréhensibles Frenchies…

«Ce genre de scandale est entièrement normal en France, et c’est l’une des raisons principales qui expliquent pourquoi (la) classe politique (de ce pays) est tellement inefficace. La facilité avec laquelle des représentants élus ignorent des accusations solidement étayées comme quoi ils remplissent leurs poches d’argent public, n’a rien d’extraordinaire», juge The Independent avec gourmandise.

Et le FN dans tout ça?
N’en déplaise au journal d’Albion, les effets du «Pénélopegate» sont ravageurs de ce côté du Channel. «D’autant plus ravageur que M.Fillon a fondé son image sur la probité et l’austérité, et qu’il a demandé aux Français des sacrifices, notamment la suppression de postes de fonctionnaires», note le New York Times. «Il lui sera d’autant plus difficile de convaincre sur ses projets controversés un électorat à court d’argent  (…) s’il reste des doutes concernant sa famille et l’accès privilégié de cette dernière à des emplois payés par le contribuable», ajoute le Guardian

Pénélope et François Fillon à Paris, le 29 janvier 2017. (REUTERS - Pascal Rossignol)


Dans ce contexte, la défense du candidat LR est intenable. «Le salaire moyen d’un assistant parlementaire atteint à peine 2500 euros. Pour réunir la somme de 900.000 euros (somme que Mme Fillon aurait perçue comme assistante de son mari), il faudrait travailler 30 ans» à un tel poste, a calculé le quotidien espagnol (de centre-gauche) El Mundo. Et son confrère allemand Die Welt (conservateur) de commenter: «Pour quelqu’un qui vit des minima sociaux», cette constatation «ne peut qu’engendrer le cynisme».

Cynisme… Nihilisme… «Le Front national se frotte les mains», pense Die FAZ, à l’instar de Die Welt. En clair, il pourrait essayer de surfer sur la vague. Pour autant, constate le Guardian, le parti de Marine Le Pen «se trouve dans une situation inconfortable» en raison de l’enquête sur des emplois fictifs au Parlement européen…

Et si du mal sortait un bien? L’époque de l’impunité générale «est peut-être en train de se terminer en raison de la méfiance grandissante à l’égard de la classe politique», pense The Guardian. «La société française évolue sur ces questions», constate de son côté le représentant à Paris de la Radio-télé danoise. «Les hommes politiques osent un peu moins, cela s’améliore doucement.» Si c’est un journaliste étranger qui le dit… 

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.