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Pédophilie à Westminster : les soupçons qui font trembler l'establishment britannique

Des révélations dans une affaire de pédophilie présumée au sommet de l'Etat britannique pousse le gouvernement actuel à demander une enquête visant des personnalités politiques de haut rang. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le palais de Westminster, à Londres, qui abrite la "House of Parliament", le Parlement britannique.  (MANUEL COHEN / THE ART ARCHIVE / AFP )

Un réseau pédophile a-t-il prospéré pendant près de vingt ans, à l'abri de toute poursuite, au sommet de l'Etat britannique ? La presse l'affirme en toutes lettres et en première page, lundi 7 juillet. L'information s'affiche sur toutes les unes, du tabloïd populaire The Sun au prestigieux Times. "Le ministère de l'Intérieur a gardé le silence sur des cas d'abus sexuels sur mineurs", assure ce dernier.

Face au scandale, le Premier ministre britannique, David Cameron, a promis "de faire toute la lumière" sur ces accusations impliquant des députés et des hauts responsables politiques dans les années 1980-1990. "Nous allons explorer toutes les pistes pour découvrir la vérité sur ce qui s'est passé, c'est essentiel", a-t-il encore déclaré avant que le ministère de l'Intérieur n'annonce l'ouverture de plusieurs enquêtes. Entre secrets d'Etat et révélations sordides, francetv info revient sur ce que l'on sait de ce scandale qui couvre trente années de vie politique et embarrassent aujourd'hui jusqu'au 10 Downing Street. 

Des accusations au sommet de l'Etat 

Fin 2012, éclate l'affaire Savile. L'ancien animateur star de la BBC dans les années 1970-1980 est soupçonné d'avoir agressé sexuellement des mineurs pendant une quarantaine d'années. Le pays est sous le choc. Bientôt, d'autres accusations suivent. Cette fois, elles proviennent de députés travaillistes et visent non plus le monde du showbiz, mais la classe politique. Lors d'une prise de parole au sein même de la Chambre des représentants, le député travailliste Tom Watson assure que "des informations suggèrent l'existence d'un puissant réseau pédophile lié au Parlement et au numéro 10 [la résidence du Premier ministre]“, rappelle The Telegraph

Le mois suivant, un autre député, Simon Danczuk, affirme à son tour qu'à la lueur de l'affaire Savile, des victimes ont pris la parole : elles accusent de pédophilie Cyril Smith, un libéral-démocrate, mort en 2010 et ancien député de sa circonscription de Rochdale, au nord de Manchester. Dans la foulée, le ministère public reconnaît avoir reçu des plaintes concernant cette imposante figure politique à trois reprises (en 1970, en 1998 et en 1999), sans avoir ouvert d'enquête. 

Outre ses accusations contre Cyril Smith, à qui il a consacré un livre sorti en avril, Simon Danczuk entend faire d'autres révélations. Il assure pouvoir nommer un autre député, cette fois bien vivant, soupçonné d'avoir aidé à dissimuler le scandale. Il pointe un ancien ministre de l'Intérieur sous l'ère Thatcher, Leon Brittan. Dimanche, il confie au Telegraph avoir été fortement pressé de ne pas nommer cet éminent politicien, par aillleurs inquiété en ce moment même dans une affaire de viol sur une jeune fille de 19 ans, à la fin des années 1960. 

Des dossiers qui disparaissent 

Watson et Danczuk ne sont pas les premiers députés à fouiller dans la vie de Cyril Smith. Le conservateur Geoffrey Dickens enquête pendant quatre ans, de 1981 à 1985. Selon The Independant, il dénonce alors l'existence d'un réseau pédophile impliquant de puissantes personnalités, et essuie des menaces et tentatives d'intimidation. En 1983, il confie son dossier au ministre de l'Intérieur d'alors, Leon Brittan. 

Soucieux de se plonger dans cette poussiéreuse documentation, Tom Watson constate en 2013 que le fameux dossier a disparu. Geoffrey Dickens est mort en 1995. Leon Brittan est aussitôt questionné. Qu'a-t-il fait des documents ? Il indique qu'il les a transmis au service habilité à enquêter, ce que confirme une note de l'époque retrouvée ces derniers jours au ministère de l'Intérieur. Mais impossible de mettre la main sur l'intégralité du dossier. Le secrétaire du ministère de l'Intérieur, Mark Sedwill, révèle finalement samedi qu'au total, 114 documents relatifs à des accusations d'abus sexuels sur mineurs, rédigés entre 1979 et 1999, se sont évaporés. Soit bien plus que le seul rapport Dickens. Plus de dix politiciens, dont certains encore en activité, feraient désormais l'objet d'une enquête de police, rapporte The Telegraph. 

Des enquêteurs réduits au silence 

Dans une interview à Channel 4, l'ancien policier Jack Tasker, l'un des premiers à s'être penchés sur le cas de Cyril Smith, assure avoir été convaincu de sa culpabilité dès le milieu des années 1960. "Il niait le contenu sexuel [des accusations]", explique-t-il aujourd'hui. Un dossier de 80 pages est alors monté à son encontre par la police du Lancashire, et est révélé en 2013 par Channel 4. 

En enquêtant sur un meurtre dans un foyer de jeunes en 1976, un autre policier, Paul Foulston, explique avoir interrogé un adolescent qui assure avoir été l'amant du député. Un amant éconduit, parce que devenu trop vieux, se souvient l'enquêteur, interrogé par le député Simon Danczuk pour le Dailymail. Selon lui, tous les policiers rapportent n'avoir jamais été capables de faire aboutir leurs travaux dès lors qu'ils incriminaient Smith. 

Le lancement fin 2012 de l'opération Fairbank (puis de l'opération Fernbridge) devrait permettre de faire la lumière sur les agissements présumés de Smith, mais aussi d'accréditer ou non la thèse de Dickens sur l'existence d'un réseau qui aurait sévi dans une luxueuse bâtisse du sud de Londres, The Elm Guest House. 

Des langues qui se délient 

Depuis quelques jours, des personnes se présentant comme des victimes prennent la parole. "Mon père me disait : 'assieds-toi sur les genoux de l'oncle Cyril'", se souvient Mark (le prénom a été modifié, précise The Telegraph, qui publie le témoignage lundi). En un rien de temps, sa main remontait votre jambe, dans votre pantalon. Bien sûr, cela ressemblait à un jeu, mais il abusait de moi et j'étais pétrifié", rapporte-t-il, plus de cinquante ans après les faits. Des "fessées", des "examens médicaux à caractère sexuel", des visites dans les dortoirs ou les salles de bains d'institut pour jeunes garçons de familles défavorisées, etc. Les témoignages se multiplient dans la presse. 

Les langues se délient même doucement du côté de l'establishment. Chef des libéraux à la fin des années 1970, Lors Steel a milité avec son parti contre l'ouverture d'une enquête sur les accusations d'abus sexuels dont faisait l'objet Cyril Smith, parmi lesquelles des châtiments corporels rapportés dès le milieu des années 1960. "Je lui ai demandé si c'était vrai et, à ma grande surprise, il a dit que c'était exact", se souvient-il, cité par The Telegraph. Mais "ces accusations étaient déjà vieilles et elles avaient fait l'objet d'enquêtes de police, que pouvais-je faire d'autre ?" plaide-t-il lorsqu'on l'interroge sur les raisons de son silence. Un silence de près de quarante ans. 

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