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On vous explique la crise au Kazakhstan, secoué par des violences sans précédent

Un mouvement de contestation du pouvoir, né d'une hausse des prix du gaz, se propage à travers le pays depuis le 2 janvier. Le régime a répondu par des mesures de répression, et appelé son allié et voisin russe à l'aide.

Article rédigé par franceinfo
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Des manifestants prennent d'assaut un bâtiment administratif à Almaty, au Kazakhstan, le 5 janvier 2022. (AFP)

Des carcasses de voitures calcinées et des douilles de balles jonchent les rues d'Almaty, la plus grande ville du Kazakhstan, jeudi 6 janvier. Depuis cinq jours, le pays d'Asie centrale est secoué par un mouvement de contestation sans précédent dans son histoire. Les manifestations, émaillées de violences, ont été vivement réprimées par les autorités, qui ont fait état "de dizaines" de morts et plus d'un millier de blessés. Le président, Kassym-Jomart Tokaïev, a affirmé vendredi 7 janvier que l'ordre était en grande partie "rétabli" dans le pays, ajoutant que les opérations de retour à l'ordre public se poursuivraient "jusqu'à la destruction totale des militants".

Comment le Kazakhstan, longtemps considéré comme l'un des Etats les plus stables de la région, a-t-il pu se trouver au cœur d'une telle crise en moins d'une semaine ? Franceinfo fait le point.

Le mouvement est parti d'une hausse du prix du gaz

Le mouvement de contestation est né le premier week-end de 2022, dans une ville de l'ouest du Kazakhstan. En cause, une multiplication par deux du prix du gaz de pétrole liquéfié (GPL), qui sert à alimenter la plupart des véhicules du pays. Selon Les Echos, cette envolée est "largement liée à la fin du système de subventionnement par les pouvoirs publics", à la fin de l'année 2021. Face à cette hausse brutale, plusieurs centaines de manifestants sont descendus dans les rues de Janaozen, dimanche 2 janvier.

Le pays est depuis longtemps en proie à des difficultés dans le secteur énergétique, rappelle le média international allemand Deutsche Welle*. "En 2021, le Kazakhstan n'a pas réussi à produire suffisamment d'électricté, ce qui a mené à des coupures d'urgence, explique DW. Le pays a dû s'appuyer sur la Russie pour compenser ces pénuries."

Les manifestants protestent désormais contre le régime au pouvoir

Le mouvement de contestation a rapidement dépassé la question du prix du gaz. "Dès le lendemain de la mobilisation, les manifestants avaient plusieurs revendications politiques telles que le changement de régime, l'élection des gouverneurs locaux qui sont actuellement nommés par le président, l'arrêt des arrestations et du harcèlement des militants civiques, et que le nouveau leader du pays ne soit pas issu du régime en place", liste Sacha Koulaeva, professeure à Sciences Po Paris, dans un entretien accordé à RFI.

"L'effet actuel est dû à des années de protestations étouffées, des revendications sociales extrêmement précises et fortes. Au Kazakhstan, la grande richesse d'une minorité côtoie la pauvreté de la majorité de la population."

Sacha Koulaeva, professeure à Sciences Po Paris

à RFI

La colère des manifestants est notamment dirigée contre l'ancien président autoritaire Noursoultan Nazarbaïev, qui a régné sur ce pays de 19 millions d'habitants de 1989 à 2019 et qui conserve une grande influence sur l'exécutif. Il est considéré comme le mentor du président actuel, Kassym-Jomart Tokaïev.

Des milliers de manifestants protestent contre la hausse des prix du gaz, le 5 janvier 2022, à Almaty (Kazakhstan). (ABDUAZIZ MADYAROV / AFP)

Le mouvement a gagné la plus grande ville du pays, Almaty, dans la nuit du mardi 4 au mercredi 5 janvier. La police a alors fait usage de grenades assourdissantes et de gaz lacrymogènes pour disperser quelque 5 000 manifestants. Puis ce sont des milliers de protestataires qui ont défilé dans les rues, mercredi après-midi. Ils ont pris d'assaut et mis le feu à plusieurs bâtiments administratifs, dont la mairie et la résidence présidentielle, qui étaient partiellement détruits jeudi.

Le gouvernement a répondu par des mesures d'apaisement... et de répression

L'exécutif a tenté d'apaiser la colère des manifestants en concédant une baisse du prix du gaz et en plafonnant celui des carburants. Kassym-Jomart Tokaïev a également limogé son gouvernement, mercredi, allant jusqu'à évoquer une possible dissolution du Parlement et de nouvelles élections, précise le New York Times*.

Le président kazakh, Kassym-Jomart Tokaïev, prononce une allocution télévisée depuis Almaty, le 5 janvier 2022. (EYEPRESS NEWS / AFP)

Mais le président kazakh a également tenté d'étouffer le mouvement de contestation avec des mesures répressives. Mercredi, il a déclaré l'état d'urgence dans tout le pays, jusqu'au 19 janvier, et mis en place un couvre-feu de 23 heures à 7 heures du matin. L'accès aux réseaux sociaux et aux applications de messagerie instantanée comme Facebook, WhatsApp et Telegram a été coupé à plusieurs reprises, ajoute le New York Times. Tout comme internet et les lignes de téléphone, ce qui empêche d'évaluer la situation sur place avec précision.

On sait néanmoins que les forces de l'ordre ont ouvert le feu sur la foule qui défilait à Almaty, mercredi, et lancé une "opération antiterroriste" dans plusieurs quartiers de la ville. Dans la nuit, les réseaux sociaux ont été inondés de vidéos dans lesquelles on entend des rafales d'armes automatiques et voit des gens courir en criant. 

La répression du mouvement de contestation s'est poursuivie jeudi, avec le déploiement de véhicules blindés et de militaires à Almaty, rapporte France 24*. Au total, plus de 2 000 personnes ont été arrêtées, a précisé la police. Les forces de l'ordre kazakhes ont également fait état de "dizaines" de manifestants tués, alors que le ministère de la Santé a évoqué plus d'un millier de blessés, dont plus d'une soixantaine grièvement. Quelque 18 membres des forces de sécurité ont par ailleurs été tués et 748 blessés, a rapporté le ministère de l'Intérieur jeudi.

La Russie appelée à la rescousse pour soutenir le pouvoir

Face à ce mouvement sans précédent, le président kazakh a demandé le soutien de la Russie. Moscou et ses alliés de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC) ont annoncé jeudi l'envoi d'un premier contingent d'une "force collective de maintien de la paix" au Kazakhstan. Selon le Washington Post*, c'est la première fois que l'OTSC mène une action militaire conjointe depuis sa création, après la chute de l'URSS. Sa mission sera de "protéger les installations étatiques et militaires" et "d'aider les forces de l'ordre kazakhes à stabiliser la situation et rétablir l'Etat de droit".

Cette intervention sert également les intérêts de Moscou, qui cherche à maintenir son influence en Europe centrale, relève le quotidien américain. "C'est un pays avec lequel Moscou a des relations économiques importantes en Asie centrale, son premier partenaire commercial", confirme à franceinfo Michaël Levystone, chercheur au Centre Russie/Nouveaux Etats indépendants (NEI) de l'Ifri"Il y a des liens qui sont très forts, très imbriqués, avec une forte minorité russe tout au nord du Kazakhstan, qui représente un cinquième de la population totale du pays."

L'Europe appelle à l'apaisement, Washington met Moscou en garde

Dans un message publié jeudi, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, s'est dit "très préoccupé" par la situation dans ce pays. "L'aide militaire extérieure rappelle des situations à éviter", s'est-il inquiété à propos de l'intervention des troupes russes, alors que l'ONU a appelé à une "résolution pacifique" de cette crise.

"Nous condamnons évidemment les violences qui ont eu lieu", a pour sa part déclaré Jean-Yves Le Drian. "Nous sommes très meurtris du fait qu'il y ait eu autant de victimes et nous appelons toutes les parties, qu'elles soient au Kazakhstan ou dans le cadre de l'OTSC, à la modération et à l'ouverture d'un dialogue", a ajouté le ministre des Affaires étrangères.

De son côté, Washington, qui condamne également "le plus fermement possible la violence et la destruction de propriété", a interpellé Moscou jeudi soir, mettant en garde les troupes russes contre toute violation des droits humains ou velléité de prendre la main sur les institutions du pays.

"Les Etats-Unis, et franchement le monde entier, surveillent toute éventuelle violation des droits humains. Et nous surveillons aussi tout acte qui puisse jeter les bases pour une prise de contrôle des institutions du Kazakhstan", a déclaré le porte-parole de la diplomatie américaine, Ned Price. "Nous appelons les forces de maintien de la paix et de l'ordre de l'OTSC à respecter les droits humains afin de soutenir une résolution pacifique."

Ces liens renvoient vers des articles ou des contenus en anglais.

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