Moscou avance ses pions en Lettonie
La lutte conte la corruption a coûté son poste au président Valdis Zatlers, battu lors des élections de juin 2011. Il avait lancé une campagne contre ce fléau indiquant qu’il en avait assez de « vivre dans un pays basé sur le mensonge, le cynisme et l’avidité ». Les députés ont alors choisi un ancien banquier, Andris Berzins, pour diriger le pays.
Les riches hommes d’affaires lettons ont soutenu ce dernier pour desserrer la pression que leur prédécesseur commençait à faire peser sur leurs activités. Le pouvoir de nuisance de trois personnes de ce groupe, Aïnars Chlessers, Aivars Lembergs et Andris Skele, est bien réel. Mais la justice qui a ouvert des enquêtes contre eux depuis 20 ans n'a pu garder Lembers sous les barreaux que quatre mois, faute de preuves.
Deux de ces oligarques lettons sont liés au monde politique. A.Chlessers, leader du parti de Lettonie (PPL), est accusé par la justice d’avoir touché 140.000 euros de la compagnie Air Baltic, sous forme de contrats publicitaires fictifs.
Une étrange disparition
L’histoire de l’un d’eux, Leonid Rozhetkin, propriétaire d'une villa, à Jurmala, station balnéaire sur la côte de la mer Baltique, offre une plongée surprenante dans ce monde de trafics en tous genres où apparaissent les liens avec la Russie.
Cet homme d’affaires letton a disparu depuis cinq ans, sans qu’on ait jamais de nouvelle de lui. Du sang a été retrouvés dans sa propriété et, à l’été 2012, des restes humains, ainsi qu’une carte de crédit à son nom, ont été découverts dans une forêt. Mais la police se refuse à toute extrapolation. Une certitude cependant après des investigations : Jurmala est au coeur des ambitions géopolitiques russes.
Selon le Guardian, le terrain de jeu de Rozhetskin allait au-delà de la légalité. Et il s’avère que la station, est le lieu de villégiature de nombreux Russes aux riches curriculum : oligarques, députés de la Douma (Parlement russe), chanteurs et espions.
Toujours d’après le quotidien britannique, qui cite Leonid Jakobson, un journaliste indépendant basé à Riga, la capitale lettone, des mafieux impliqués dans la contrebande se sont livrés à des règlements de comptes mortels. L’un d’eux, Vyaschaslav Shestakov, a finalement été expulsé du pays. La mafia russe et le gouvernement y ont également leurs habitudes qui se traduisent par des discussions sans pression, notamment sur le meilleur moyen de faire sortir de l’argent des pays baltes.
Un ancien agent du KGB, Boris Karpichov, domicilié à Londres, affirme que «la Lettonie, avec sa position de pont entre la Russie et l’Ouest occupe au place de choix pour l’espionnage et les activités illégales comme la contrebande »
Moscou cherche à devenir indispensable
La Lettonie a connu une histoire compliquée. Elle n’a acquis son indépendance qu’en 1920, lors de la dissolution de l’empire russe avant d’être envahie par les nazis en 1941, et subi une lourde présence soviétique jusqu'à son indépendance en 1991.
Peu à peu, selon Jakobson, Moscou travaille à accroître son influence en Lettonie. Après l’échec des révolutions en Ukraine, au Kirghistan et en Géorgie, la Russie a bon espoir de faire revenir ces ex-républiques sovétiques et les pays balte dans son giron. Pour y parvenir, Moscou s'appuie sur le sentiment des 29% de russophones vivant en Lettonie, qui se sentent mal-aimés – les Lettons ont ainsi repoussé en février 2012 un projet de loi visant à faire du russe la deuxième langue officielle de la république. Les diplomates européens confirment l'influence de la propagande russe sur l'élite des russophones.
A Jurmala, de nombreux appartements appartiennent à des Russes. Le statut de résident leur permet de pouvoir circuler à travers toute l’Europe, une facilité de déplacement recherchée.
L'argent n'a pas d'odeur
La base des activités commerciales est bien sûr celui des mouvements de capitaux. Pour le journaliste Leonid Jacobson, qui a eu le visage tailladé après une agression, il est évident que la Lettonie est devenu le refuge pour l’argent russe de provenance douteuse. Un rapport de la Commission européenne indique, après avoir fait l’éloge de la politique économique de Riga, que la Lettonie ne fait pas assez d’efforts pour assainir le système bancaire utilisé pour « les montages économiques complexes, le blanchiment d’argent et l’évasion fiscale ».
Dans ce domaine, les Russes aisés ferment les comptes de leurs entreprises des banques de Chypre, qui réclame une aide de l’UE, pour les transférer en Lettonie. Et, 20 milliards de dollars, soit la moitié des investissements réalisés en Lettonie, proviennent de non-résidents, don une majorité de Russes, Ukrainiens, Kazhaks et Turkmènes. Pour le département d’état américain, « il existe ainsi un risque de blanchiment d’argent systémique ».
Moscou actionne plusieurs leviers
L’influence de Moscou en Lettonie est également marquée politiquement. L’agence de renseignement russe SVR a reconnu avoir financé la campagne de Nils Usakov, en 2009, le maire de Riga. Usakov, un Letton russophone, a ensuite conduit la liste du parti populiste Centre de l’Harmonie. Arrivé en tête des élections en septembre 2011, ce parti n’a pu entrer dans la coalition gouvernementale, pâtissant notamment, d’un accord de coopération avec le parti Russie unie, de Vladimir Poutine.
Autre pression, celle de l’armée russe qui a effectué des exercices militaire à proximité de la frontière lettone. A Moscou, le leader ultranationaliste Alexandre Zirinovski a, lui, appelé son pays à annexer la partie est de la Lettonie dominé par l’ethnie russe.
Autre moyen pour accroître l’influence du Kremlin, la presse. Courant 2001, une société anonyme s’est mise à distribuer des journaux gratuits présentant favorablement la politique russe. Un homme d’affaires pro-russe est soupçonné d’en être le propriétaire.
Quant à Rozhetskin, sa mère a accusé, depuis les Etats-Unis où elle habite, des agents russes d’être responsable de sa mort. Mais selon une tout autre version, le magnat, qui était tombé en disgrâce auprès du Kremlin, aurait pu mettre en scène sa propre mort et vivre sous un faux nom de l’autre côté de l’Atlantique, selon une version excitante...
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