Témoignages "Je me demande souvent si je serai heureuse un jour" : des femmes exilées racontent leurs parcours jusqu'en France

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
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Les femmes exilées représentent près de la moitié des personnes déplacées dans le monde aujourd'hui. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
Alors qu'elles fuient leur pays après avoir subi des abus ou de l'exploitation, les femmes migrantes continuent d'être exposées à des violences spécifiques liées à leur genre lors de leur trajet et dans leur pays d'arrivée.

Où sont leurs noms et leurs visages ? Les femmes représentent près de la moitié des personnes exilées dans le monde, selon le Réseau européen des migrations. Celles qui parviennent en Europe depuis l'Afrique ont parfois connu les prisons libyennes et ont, pour la plupart, été exposées à l'exploitation et aux violences sexuelles des hommes. Une fois dans leur pays d'arrivée, d'autres obstacles jalonnent leurs parcours. Elles doivent faire face à des démarches administratives longues pour espérer obtenir des papiers : en France, 29% des demandeurs d'asile ont obtenu une réponse positive en 2022. Elles doivent rechercher un logement, un emploi, se soigner et souvent s'occuper de leurs enfants.

Bien que ces difficultés soient partagées, la trajectoire de chaque femme est unique. Ce qui les caractérise, "ce n'est pas l'exceptionnalité de leur mouvement mais plutôt le fait qu'elles transgressent l'immobilité à laquelle elles ont été assignées", écrit la chercheuse Camille Schmoll dans Les Damnées de la mer (éd. La Découverte). Malgré leur vulnérabilité, leur expérience de la marge est aussi un endroit "de déploiement de nouvelles solidarités et de formes de lutte". Alors que le projet de loi immigration a été adopté par le Parlement, mardi 19 décembre, franceinfo a recueilli les témoignages de trois femmes exilées.

Maladho, 33 ans, Guinéenne : "Je me voyais mourir pendant la traversée"

Maladho a quitté la Guinée en 2018, après la mort de son mari. Elle a traversé la Méditerranée seule pour arriver en France, où elle a fait venir ses trois enfants. Tous sont en situation régulière. Après une formation en cuisine au sein de l'école du chef Thierry Marx, elle travaille pour la mairie de Villemomble (Seine-Saint-Denis) et habite un petit appartement fourni par une association. 

"J'avais 28 ans quand mon mari est mort. Ma famille a voulu que je me remarie avec son grand frère, mais il avait déjà trois femmes et je ne l'aimais pas. Pour elle, je ne pouvais pas être seule avec mes trois enfants qui avaient à l'époque 1, 5 et 11 ans. Comme je refusais, mon beau-père nous a chassés de la maison. Il a pris tout ce que nous avions. Mais avant de partir, j'avais trouvé de l'argent que mon mari avait caché dans la maison. 

Une amie m'a dit de venir chez elle à Dakar, au Sénégal. Je n'avais pas d'autre solution. Là-bas, c'était compliqué, il fallait que je trouve un travail, que les enfants aillent à l'école, que je leur trouve à manger. Un jour, un monsieur est venu me voir et m'a demandé où je logeais. J'ai compris qu'il connaissait ma famille. J'ai eu trop peur, alors je suis allée au Maroc où j'ai rejoint une connaissance, Fatou. J'ai fait le ménage et gardé le bébé d'une femme quelque temps.

Puis, Fatou m'a dit que j'étais belle, que je pourrais faire des soirées à Tanger et Marrakech avec elle. J'ai compris qu'elle voulait que je me prostitue. J'ai refusé et on a commencé à s'embrouiller. Son colocataire m'a dit qu'il pourrait me faire passer en bateau en Espagne. C'était un passeur. J'avais entendu dire que les gens qui traversaient la Méditerranée mouraient dans l'eau. Mais le passeur m'a montré des photos d'un gros ferry et m'a dit que tout irait bien. Il voulait que je le paye 2 800 euros, mais je n'avais que 850 euros sur moi. Il a pris mon passeport et m'a dit que je devrais lui envoyer le reste une fois en Europe. Je n'ai jamais retrouvé mon passeport.

Je suis allée à Nador [nord du Maroc], où j'ai retrouvé d'autres groupes de migrants qui attendaient dans la forêt. On a dû marcher des heures avant d'atteindre le lieu d'où nous devions partir.

"Un monsieur tabassait les gens fatigués, surtout les hommes. Des femmes m'ont raconté que la nuit, elles avaient été violées."

Maladho

à franceinfo

En arrivant près de la mer, on a réalisé que le bateau n'était pas un ferry, mais un petit Zodiac. Personne ne voulait monter, on avait trop peur. Mais les gardes nous menaçaient avec des couteaux, disaient qu'ils allaient nous violer. On devait être plus de 50 dans le bateau. Il y avait une Camerounaise avec un bébé de 2 mois. Je leur ai dit que je préférais mourir à terre, pour qu'on puisse au moins retrouver mon corps. Ils m'ont jetée dans le bateau.

Pendant la traversée, l'eau a commencé à monter. Elle ne s'arrêtait pas. Il pleuvait, il y avait du vent. On se noyait, je me voyais mourir. On pleurait tous et on priait. Un homme a dit qu'on devrait jeter les enfants dans l'eau pour s'alléger et puis qu'après ça serait le tour des femmes. Certains étaient pour, d'autres contre. Les gens étaient désespérés, se bagarraient. Ils jetaient tout, sacs, téléphones. Un bateau est finalement venu nous sauver. On a débarqué à Almeria, en Espagne. Je suis restée un mois l'hôpital. Quand je suis sortie, je ne parlais pas la langue. Quelqu'un m'a dit d'aller en France. J'ai pris le train et je suis arrivée gare de Lyon, à Paris."

Magally, 29 ans, Congolaise : "J'ai passé des nuits dans le froid à la rue avec mes enfants"

Magally a quitté la République démocratique du Congo en 2019. Elle a fui les persécutions politiques qui visaient sa famille. Aujourd'hui, elle est esthéticienne à son compte et vit seule avec ses trois enfants à Trappes (Seine-Saint-Denis). Déboutée deux fois de sa demande d'asile, elle est sans-papiers.

"Je suis arrivée en France en 2019 avec mes deux fils de 9 et 3 ans. Nous sommes arrivés à Paris après avoir pris un vol depuis l'Egypte grâce à des faux passeports belges payés 5 000 dollars [plus de 4 700 euros] à un passeur. Juste avant de partir, je vomissais, je faisais des malaises. J'ai appris que j'étais enceinte. Je ne comprenais pas comment c'était possible puisque j'avais toujours mes règles, mon ventre était normal. J'ai voulu avorter, puis j'ai renoncé. 

A la sortie de l'aéroport à Paris, une dame a récupéré les passeports et nous a amenés dans une église à Pantin (Seine-Saint-Denis), où il y avait d'autres Congolais. C'était au mois de janvier, il faisait froid. Un 'frère' a accepté de nous héberger chez lui. Un jour, j'ai eu de la fièvre, des boutons, j'étais vraiment mal. Je n'avais parlé de ma grossesse à personne. Mon hébergeur m'a emmené à l'hôpital où j'ai appris que j'étais enceinte de 8 mois et que j'attendais une petite fille. 

J'ai accouché à Sevran (Seine-Saint-Denis). Il y a eu des complications : ma fille n'arrivait pas à bien respirer, du coup j'ai eu une césarienne d'urgence. Elle ne faisait que 2,8 kilos à la naissance, c'était un tout petit bébé ! Comme nous étions désormais quatre, la famille qui nous accueillait n'avait plus de place pour nous garder.

" Je me suis retrouvée toute seule, sans ressources, avec mes fils et ma fille qui venait de naître. Je ne savais pas comment j'allais les nourrir, où nous allions dormir. Nous avons passé des nuits dans le froid, à la rue."

Magally

à franceinfo

Je me suis retrouvée dans un campement dans le quartier de Rosa Parks, près d'Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Chaque nuit, je ne pouvais pas fermer l'œil. Je veillais sur mes enfants jusqu'au matin, j'avais trop peur. La nuit, il y avait des vols. Tous les matins, la police venait avec des bus pour nous déloger et on devait se débrouiller la journée. J'étais tellement fatiguée de marcher toute la journée avec mes enfants, surtout que j'allaitais ma fille. J'allais de place en place, de camp en camp.

Quand ma fille a eu 24 jours, elle est gravement tombée malade et a dû être placée en coma artificiel à l'hôpital. Après ça, le 115 m'a trouvé une chambre dans un hôtel à Trappes (Yvelines). C'est une toute petite pièce avec un lit superposé pour nous quatre, une petite télé, un petit frigo. Le bâtiment n'est pas sain, tous mes enfants sont tombés malades. L'un de mes fils est très traumatisé. Il fait des cauchemars, il n'arrive pas à se concentrer à l'école. Je me demande souvent si je serai heureuse un jour. Je n'ai jamais choisi d'être en France."

Maia, 39 ans, Géorgienne : "J'avais honte de demander de l'aide"

Maïa a quitté la Géorgie en 2019 pour des raisons politiques. Analyste biologique, elle n'arrivait pas à joindre les deux bouts et à assurer une vie décente pour ses cinq enfants. Quatre ans après leur arrivée en France, ils ne sont toujours pas régularisés. Maïa compte déposer une nouvelle demande en 2024.

"Vous ne pouvez pas imaginer la vie en Géorgie. C'est un pays pauvre, convoité par la Russie depuis longtemps. Pour les habitants qui n'ont aucun lien avec les hommes politiques, il est très difficile de trouver un travail. Le salaire minimum est autour de 200 euros. Avec mon mari, on n'arrivait pas à nourrir nos cinq enfants. Alors on a pris la difficile décision de quitter le pays. On a vendu notre voiture et on a pris un vol pour Paris. Je savais que ça serait compliqué. J'allais devoir m'occuper de tout le monde, car mon mari ne parle ni anglais, ni français.

On a fait une demande d'asile à la préfecture de Cergy (Val-d'Oise). Pendant le temps d'évaluation de notre dossier, on a été envoyés dans une maison à Gap (Hautes-Alpes). On y est restés sept mois, on s'est fait discrets. Quand la réponse de l'administration est arrivée, ça m'a choquée. Ils ne nous ont pas crus. Ils ont écrit que "la Géorgie est un pays sécurisé". J'ai fait un recours, mais on a une nouvelle fois obtenu un refus.

On a reçu une obligation de quitter le territoire français, qui signifie la fin de toute protection. C'était en février 2019, il faisait très froid. Nous sommes remontés à Paris, mais nous ne connaissions personne. J'ai appelé le 115, qui n'avait pas de solution à nous proposer. On nous a finalement orientés vers l'hôpital de Gonesse (Val-d'Oise). Nous sommes restés dix jours à l'abri, mais on dormait par terre, sans couverture, c'était vraiment dur. Et puis le confinement a commencé. L'hôpital ne pouvait pas nous garder. Le 115 nous a logés dans un hôtel à Sarcelles (Val-d'Oise). Mais tout était fermé, nous n'avions pas d'argent. Un jour dans la rue, j'étais désespérée, j'ai demandé à une passante de m'aider. 

"Je n'oublierai jamais cette dame. Elle nous a acheté des vêtements, des médicaments, de la nourriture et des fruits pour les enfants. Elle nous a payé des cartes de téléphone."

Maia

à franceinfo

On est restés cinq mois dans cet hôtel avant d'être transférés dans un autre hôtel à Persan (Val-d'Oise). Tous les jours, j'allais à la Croix Rouge, au Secours populaire, parce que nous n'avions pas d'argent. J'avais honte d'être dans cette situation, de demander de l'aide. Parfois, dans la rue ou dans le bus, je pleurais.

Finalement, le 115 a fini par nous donner une autre chambre dans un hôtel à Argenteuil (Val-d'Oise). Maintenant, nous sommes dans une situation stable. Les enfants vont mieux. Ils font du football, du judo. J'ai trouvé un emploi de femme de chambre dans un hôtel à Paris et je gagne un peu d'argent. Je me suis racheté du maquillage et je me suis remise à cuisiner. Je me sens à nouveau comme une femme. Avec mes enfants, on aide les réfugiés qui arrivent. Tous les jours, j'ai quand même peur que la police m'arrête dans la rue, mais je garde espoir. L'année prochaine, cela fera 5 ans qu'on est en France. J'espère qu'on aura enfin nos papiers."

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