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Sans-abri déplacés de l'Ile-de-France : trois questions sur le projet contesté du gouvernement et l'installation d'un centre d'accueil en Bretagne

Le maire de Bruz, dans l'agglomération rennaise, conteste l'installation d'un centre d'accueil temporaire sur un terrain de sa commune. Du côté de La France insoumise, on s'interroge sur le potentiel lien entre ces déplacements en régions et l'organisation des JO à Paris l'an prochain.
Article rédigé par franceinfo
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Des gendarmes encadrent l'évacuation de migrants sans-abri vers des centres d'hébergement d'urgence lors du démantèlement d'un camp à Paris, le 17 novembre 2022. (CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP)

Le gouvernement s'était déjà vu reprocher de préparer la mobilisation de logements étudiants pour l'organisation des Jeux olympiques de Paris 2024. Il est désormais soupçonné de vouloir camoufler la présence de personnes sans-abri dans la capitale en organisant leur déplacement dans d'autres régions de France. Le conseil municipal de Bruz, en banlieue de Rennes (Ille-et-Vilaine), a ainsi exprimé lundi 22 mai son opposition à l'installation dans sa commune d'un centre d'accueil temporaire.

La préfecture, qui conteste tout lien avec les Jeux, présente le futur site comme un "sas" pour des personnes venues volontairement d'Ile-de-France, en vue de leur répartition dans d'autres structures de Bretagne. Des lieux similaires doivent toutefois ouvrir dans neuf autres régions. Franceinfo vous explique ce que l'on sait de ce projet et des raisons pour lesquelles il est contesté.

1 En quoi consiste le projet du gouvernement ?

Interrogé mardi sur le site envisagé à Bruz, le secrétaire général de la préfecture d'Ille-et-Vilaine a décrit un projet plus large de "solidarité nationale", destiné à remédier au manque particulièrement criant de places d'hébergement d'urgence en Ile-de-France. Le gouvernement a demandé "à une dizaine de préfets de région de créer des lieux d'accueil provisoires", a-t-il expliqué. En mars, la Direction générale des étrangers en France, qui dépend du ministère de l'Intérieur, expliquait déjà à 20 Minutes qu'un centre de ce type ouvrirait dans chaque région de France métropolitaine, à l'exception de l'Ile-de-France, des Hauts-de-France et de la Corse, soit dix centres au total.

Ces lieux accueilleront, sur la base du volontariat, des personnes venues d'Ile-de-France et vivant dans la rue ou en hébergement d'urgence, a expliqué à l'AFP le cabinet du ministre délégué à la Ville et au Logement, Olivier Klein. Si ce dispositif concerne majoritairement des migrants, il ne les vise pas spécifiquement et sera ouvert à tous les profils. Les résidents seront pris en charge pendant trois semaines dans ces "sas" avant d'être "orientées", dans leur nouvelle région, "vers le type d'hébergement correspondant à leur situation".

Leur séjour doit permettre d'évaluer leur "situation sociale et administrative", a précisé Olivier Klein mercredi sur franceinfo. Il permettra par exemple de déterminer quelles personnes peuvent bénéficier du statut de demandeur d'asile et être hébergées dans les centres qui leur sont destinés. Ces personnes seront "beaucoup mieux accompagnées dans ces lieux en province qu'elles peuvent l'être en Ile-de-France", estime le ministre.

Des associations s'interrogent malgré tout sur la réalité des solutions d'hébergement, y compris loin de Paris. "Ce que l'on sait, sur Rennes Métropole, c'est que c'est complètement saturé", a alerté mardi auprès de France 3 Jean-François Durand, président de l'association Accueil réfugiés Bruz, reconnaissant ne pas connaître la situation dans le reste de la région bretonne.

La mise en place de cet accueil de personnes sans-abri venus d'Ile-de-France est la déclinaison à un public plus large d'une initiative déjà mise en place depuis 2021 concernant plus spécifiquement les demandeurs d'asile. On ignore pour l'instant la liste complète des villes qui accueilleront ces nouveaux "sas". Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre, a affirmé mercredi sur franceinfo avoir eu des "échos" d'un projet similaire dans la métropole de Strasbourg.

2 Pourquoi fait-il des vagues en Bretagne ?

A Bruz, c'est l'opposition locale qui a mis un coup de projecteur sur ce plan gouvernemental. Philippe Salmon, maire DVG de la commune bretonne, dit avoir été prévenu par la préfecture de l'installation prochaine de ce centre d'accueil, sans concertation préalable. "On est mis devant le fait accompli", déplore-t-il auprès de France Bleu. Lundi, le conseil municipal a émis un avis défavorable, mais la préfecture n'est pas obligée d'en tenir compte, car le terrain appartient à la SNCF.

Outre la manière, l'élu s'inquiète du site choisi, situé à proximité d'une voie de chemin de fer et pollué, selon lui, par des hydrocarbures et des métaux lourds. La préfecture répond que le lieu sera clos pour empêcher l'accès aux rails, et qu'elle suivra les recommandations de l'Agence régionale de santé (ARS) concernant le risque de pollution, notamment en surélevant les logements. La préfecture affirme par ailleurs à Ouest-France que l'étude évoquée par le maire est "un peu ancienne et pas complètement documentée".

Le maire souligne de son côté que Bruz met déjà à disposition d'une association 22 logements destinés à des ressortissants étrangers en attente de régularisation. Philippe Salmon assure ne pas avoir d'opposition de principe à l'accueil d'autres sans-abri, quelle que soit leur nationalité. "On s'inquiète aussi pour notre sécurité, si ça se passe mal, même s'il n'y a aucune raison", avance-t-il cependant auprès de France Bleu, faisant référence à "ce qui s'est passé à Callac (Côtes-d'Armor) et Saint-Brevin (Loire-Atlantique)", où des élus ont été menacés de mort, sur fond de mobilisations attisées par l'extrême droite contre des projets de centre d'accueil de demandeurs d'asile. Si le centre de Bruz voit le jour, il sera surveillé en permanence par des vigiles, affirme la préfecture à Ouest-France.

3 Y a-t-il un lien entre ce projet et les Jeux olympiques ?

Trois députées de La France insoumise, Nadège Abomangoli, Clémence Guetté et Clémentine Autain, ont accusé sur Twitter le gouvernement de créer ces "sas" pour éloigner de Paris les sans-abri, notamment migrants, en amont de l'organisation des Jeux olympiques, en août 2024. Une hypothèse également soulevée par des associations et par le maire de Bruz, qui pointe aussi la concordance avec la Coupe du monde de rugby organisée en France en septembre et octobre prochains (dont les matchs se répartiront cependant dans neuf villes du territoire).

"J'espère me tromper, mais puisqu'on nous annonce que ce sas devrait disparaître fin 2024, début 2025, c'est étonnant, non ?", s'interroge Philippe Salmon auprès de Ouest-France. "Personne ne prend prétexte d'un évènement sportif pour régler un problème humanitaire", répond sur franceinfo le ministre délégué à la Ville et au Logement, Olivier Klein, qui assure que le projet a pour seul objectif de remédier aux difficultés d'accompagnement des personnes sans-abri en Ile-de-France.

Une situation qui est cependant aggravée par les échéances sportives, affirme sur franceinfo Manuel Domergue, directeur des études de la Fondation Abbé-Pierre. Selon lui, "des milliers" de chambres d'hôtel servant à loger des personnes sans-abri, notamment depuis la pandémie de Covid-19, sont aujourd'hui "reprises par les hôteliers" pour réaliser des travaux en préparation des Jeux olympiques, ou profiter dès maintenant du retour des touristes dans la capitale.

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