Pourquoi le pacte européen sur la migration et l'asile divise les pays membres de l'UE ?
L'immigration irrégulière a besoin d'une "réponse européenne", a déclaré Ursula von der Leyen, la présidente de la Commission européenne, dimanche 17 septembre, à Lampedusa. En quelques jours, la population de l'île italienne a doublé, confrontée à l'arrivée de plusieurs dizaines de milliers d'exilés en provenance d'Afrique du Nord. Face à la situation, la cheffe de l'exécutif européen a dévoilé un plan d'urgence pour aider Rome et a appelé les partenaires européens à la solidarité.
Mercredi, lors de son discours annuel sur l'état de l'Union européenne, Ursula von der Leyen avait déjà exhorté les Etats membres à faire aboutir le pacte sur la migration et l'asile, dont les négociations patinent depuis trois ans. Présenté en septembre 2020 par la Commission, ce paquet de mesures vise à refonder la politique migratoire de l'UE et à faire face aux situations d'urgences. Mais plusieurs pays s'y opposent, alors que les demandes d'asile augmentent.
Une solidarité accrue
A ce jour, la politique migratoire européenne est fondée sur le texte Dublin III. Il prévoit que les réfugiés déposent leur demande d'asile dans le premier pays de l'UE qu'ils atteignent. Mais ce règlement a pour conséquence de faire peser les demandes d'asile sur les pays du sud de l'Europe par lesquels arrivent les migrants du Proche-Orient, d'Asie ou d'Afrique. A contrario, avant la guerre en Ukraine, les pays d'Europe de l'Est accueillaient très peu de réfugiés, rappelle le site spécialisé Touteleurope.eu, fondé par la France et la Commission européenne.
Le pacte sur la migration et l'asile vise donc à rééquilibrer cette situation puisqu'il stipule "qu'aucun Etat membre ne devrait se voir imposer une responsabilité disproportionnée", résume la Commission européenne sur son site. Le pays responsable de la demande d'asile pourra désormais être celui où un migrant a des liens familiaux, où il a travaillé ou étudié, ou alors l'Etat lui ayant délivré un visa. Mais les pays de première arrivée resteront chargés de la demande d'asile si aucun autre membre de l'UE ne s'en occupe.
En cas de crise, Bruxelles pourra également déclencher un "mécanisme de solidarité" obligatoire mais "flexible" impliquant tous les Etats membres. Ils auront le choix entre trois options : accueillir une partie des demandeurs d'asile avec le soutien financier de l'UE, "parrainer" la reconduite de migrants en situation irrégulière dans leur pays d'origine, en négociant directement avec l'Etat en question ou en finançant ce retour, ou aider l'Etat sous "pression" à accueillir les demandeurs d'asile, détaille la Commission européenne.
L'objectif est qu'au moins 30 000 demandeurs d'asile soient relocalisés chaque année depuis les pays de première ligne vers les pays moins exposés aux arrivées, précise le site Vie-publique.fr. En cas de refus de relocalisation, les Etats membres devront verser une compensation financière de 20 000 euros par migrant qu'ils refusent d'accueillir.
Un "filtrage" aux frontières
Le pacte prévoit également une procédure accélérée d'examen des demandes d'asile via un système de "filtrage" aux frontières. Ce processus vise à déterminer dans un délai de cinq jours si le requérant doit faire l'objet d'une procédure de retour, par exemple s'il s'est déjà vu refuser l'asile, ou s'il peut effectivement faire une demande. Il comprendra une identification, des contrôles sanitaires et de sécurité ou encore le relevé des empreintes digitales, précise le texte. Ce filtrage concernera également les personnes qui, bien que ne remplissant pas les conditions d'entrée dans l'UE, ont été sauvées en mer ou ont été interpellées sur le territoire européen et ont échappé aux contrôles aux frontières extérieures, précise la Commission européenne.
En revanche, les migrants dont la procédure d'asile est jugée recevable après le "filtrage", mais qui sont peu susceptibles de l'obtenir (lorsque moins de 20% des ressortissants de ce pays obtiennent de fait l’asile au sein de l'UE), devront suivre une procédure spéciale de demande à la frontière, rappelle le site Touteleurope.eu. C'est le cas, par exemple, des ressortissants "du Maroc, d'Algérie, de Tunisie, du Sénégal, du Bangladesh et du Pakistan", avait commenté Nicole de Moor, la secrétaire d'Etat belge à l'Asile et à la Migration, en juin. L'objectif est ainsi de faciliter le renvoi de ces migrants vers leur pays d'origine ou de transit.
Un refus de la Pologne et la Hongrie
Après d'âpres négociations, les ministres européens de l'Intérieur sont parvenus à trouver un accord sur ces deux volets clés du pacte – le mécanisme de solidarité et la procédure de "filtrage" – le 8 juin 2023. Dans un premier temps, l'Italie réclamait que les migrants déboutés du droit d'asile puissent être renvoyés vers des pays "sûrs" par lesquels ils ont transité, même s'il n'y a pas de lien particulier entre le migrant et ce pays, mais l'Allemagne était hostile à cette idée. Le compromis prévoit finalement qu'il revient aux États membres d'apprécier si le simple transit constitue un lien suffisant de renvoi, précise La Croix.
Au total, 21 pays, dont la France, ont voté pour le texte. La Bulgarie, la Lituanie, et la Slovaquie se sont abstenues tandis que la Pologne et la Hongrie ont voté contre. Après la crise de 2015-2016, lors de laquelle l'Europe a accueilli plus d'un million d'exilés, Varsovie et Budapest avaient déjà refusé d'appliquer les quotas de réfugiés décidés par l'UE. "Ce n'est pas un pacte migratoire, c'est un diktat qui vise à changer la culture européenne", a déclaré le Premier ministre polonais nationaliste Mateusz Morawiecki.
La Pologne accueille actuellement plus d'un million de réfugiés ukrainiens et les autorités ont toujours été opposées à la relocalisation de migrants arrivés en Grèce ou en Italie. Varsovie dénonce également la compensation financière de 20 000 euros imposée aux Etats qui ne voudront pas prendre en charge les migrants. C'est "une amende" qui ne sera "pas acceptée par les citoyens", a mis en garde le ministre polonais de l'Intérieur, cité par Le Figaro. A quelques mois des législatives, le pouvoir nationaliste polonais a fait de l'immigration son thème de campagne et il entend mettre en place un référendum sur le sujet.
La cheffe du gouvernement italien Giorgia Meloni, dont le pays est en première ligne des immigrations avec la Grèce, s'est toutefois dite "très satisfaite" de ce compromis. "Nous n'arriverons jamais au consensus sur la dimension interne", c'est-à-dire la solidarité entre Etats membres dans l'accueil des demandeurs d'asile, a-t-elle admis. "La seule chose sur laquelle nous pouvons avoir un consensus est un travail commun sur la dimension extérieure", soit la coopération avec les pays d'origine et de transit des migrants, a-t-elle ajouté.
Un vote des Vingt-Sept critiqué
Le 30 juin, lors d'un sommet européen à Bruxelles, la Pologne et la Hongrie ont également dénoncé le vote à majorité qualifiée (requérant un vote favorable de 15 pays sur 27, représentant au moins 65% de la population totale de l'UE) pour adopter les mesures de ce pacte. "Nous étions convenus auparavant à plusieurs reprises que, comme la question de la migration nous divise profondément, nous ne pouvions accepter de règle que si nous sommes tous d'accord", a fait valoir le Premier ministre hongrois Viktor Orban. Mais le recours à la majorité qualifiée "est dans les traités" européens, a rétorqué le chef du gouvernement espagnol Pedro Sánchez, dont le pays occupe la présidente tournante de l'UE jusqu'au 31 décembre.
Malgré ces avancées, le 26 juillet, les Etats membres ne sont pas parvenus à s'entendre sur le dernier volet du pacte portant sur les situations de crise, rapportent Les Echos. Certains Etats, comme la République tchèque ou l'Autriche, ont estimé qu'ils n'avaient pas eu le temps nécessaire pour l'examiner. De son côté, l'Allemagne n'a pas soutenu ce volet, car elle souhaite une prise en charge spéciale pour les mineurs, précise Le Monde.
A neuf mois des élections européennes, les négociations se poursuivent donc entre eurodéputés et représentants des Etats membres pour trouver un compromis final. "Montrons que l'Europe peut gérer les migrations avec efficacité et compassion. Finissons le travail !", a enjoint Ursula Von der Leyen le 13 septembre. "Un accord sur le pacte n'a jamais été aussi proche. Le Parlement et le Conseil ont une occasion historique de le faire aboutir."
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