Immigration : le Conseil de l'Europe dénonce un "système hypocrite" qui appuie son économie sur plusieurs millions de "travailleurs invisibles"
Alors que 78 migrants sont morts dans un naufrage au large de la Grèce dans la nuit de mardi à mercredi et que le gouvernement français prépare son projet de loi immigration, un rapport du Conseil de l'Europe dénonce un "système hypocrite" qui appuie son économie sur plusieurs millions de "travailleurs invisibles", explique sa rapporteure Ada Marra, membre du Parlement Suisse et de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, sur franceinfo ce dimanche.
Dans ce rapport, vous utilisez le terme de "travailleurs invisibles". Combien sont-ils en Europe ?
On compte quatre à cinq millions de ces personnes en Europe, dans tous les pays, du nord au sud. Je les appelle les "travailleurs sans droit". Pour moi, on sort du thème migratoire. Même si le parcours pour arriver en Europe est migratoire, ce sont désormais des travailleurs qui n'ont pas de droit, donc qui sont soumis à une précarité et à un danger d'exploitation. Dans l'économie domestique, l'employeur sait très bien qui et comment il engage une personne. C'est de la responsabilité de toutes les entreprises, même si elles font de la sous-traitance, de regarder quels types de contrat sont faits aux travailleurs. Je ne crois pas du tout que les employeurs ne soient pas au courant.
Des "invisibles", parfois "indésirables", comme on l'entend dans certains discours politiques, mais utiles pour créer la richesse des pays ?
Il y a tout un système hypocrite. Des pans entiers de l'économie vivent à travers ces personnes (agroalimentaire, plateformes de services...). Ils sont invisibles parce que leurs droits sociaux et économiques ne sont pas reconnus. Mais ils sont visibles parce qu'ils sont passés par une procédure de demande d'asile, donc ils ont été enregistrés quelque part au niveau de l'Etat. En France, par exemple, quand on change d'employeurs, on n'a plus de permis de travail, donc plus de permis de séjour, donc on est clandestin alors qu'on a existé pendant des années. L'Etat a connaissance de ce système d'exploitation.
Ces personnes sont très mal protégées ?
Un des enjeux fondamentaux, c'est l'accès à la justice de ces personnes. Beaucoup n'y vont pas par crainte d'être dénoncés sans permis de séjour. Dans ce rapport, on recommande que les différents services administratifs ne croisent pas les données - autrement dit que les administrations migratoires n'aient pas accès quand une personne sans-papiers porte plainte. Et surtout, s'il y a plainte notamment pour traite humaine ou dans le cadre du travail, que ces personnes reçoivent automatiquement un permis de séjour, au moins temporaire pendant que l'enquête est faite.
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