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"La France joue à cache-cache" : ce que dit le droit maritime et humanitaire sur l'accueil de l'"Aquarius" et des 58 migrants à son bord

La France a une nouvelle fois refusé de voir débarquer le navire humanitaire sur son littoral, affirmant respecter "les règles européennes". Que dit vraiment la loi ? Franceinfo a posé la question à un spécialiste.

Article rédigé par Camille Adaoust - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 2 min
Le navire humanitaire "Aquarius" en mer Méditerranée, le 23 juin 2018. (PAU BARRENA / AFP)

Les "règles européennes doivent être respectées". Mardi 25 septembre au matin, Bruno Le Maire était interrogé sur un possible débarquement du navire humanitaire Aquarius en France. "Pour l'instant, la France dit non", a répondu le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, affirmant respecter ainsi les règles européennes. Même raisonnement chez le secrétaire d'Etat Sébastien Lecornu : "Le droit de la mer est clair : un bateau en difficulté doit être accueilli dans le port le plus proche, or Marseille n'est pas le port le plus proche."

Devant cet argumentaire récurrent, qu'en est-il vraiment ? Le droit dispense-t-il la Francet d'accueillir le navire ? Franceinfo a posé la question à Patrick Chaumette, professeur de droit à l'université de Nantes, ancien directeur du centre de droit maritime et océanique et animateur du programme "Human Sea, rendre la mer humaine".

Franceinfo : Aujourd'hui, quels textes régissent la situation de l'Aquarius ?

Patrick Chaumette : On est ici à l'intersection entre le droit de la mer, le droit sur les opérations de sauvetage et le droit des réfugiés. Pour le premier, il s'agit de la Convention des Nations unies sur le droit de la mer de Montego Bay, signée en 1982. Le deuxième est régi par la convention "Search and Rescue" (SAR) signée à Hambourg en 1989. Elle dit qu'il est obligé de débarquer les réfugiés dans un lieu sûr, dans les meilleurs délais possibles. Enfin s'ajoutent la Convention de Genève de 1951 sur le statut des réfugiés, qui interdit les refoulements collectifs, impose l'examen des situation individuelles et exige le débarquement dans un lieu sûr.
Il faut y ajouter l'ensemble des textes qui relèvent de la politique européenne en matière d'immigration et d'accueil des réfugiés, l'organisation de l'espace Schengen, la charte des droits fondamentaux et le respect des droits de l'Homme.

Selon ces textes, qui devrait accueillir l'Aquarius ?

Tout le monde considère que la Libye n'est pas un lieu sûr, notamment le HCR, l'Agence des Nations unies pour les réfugiés, c'est pourquoi SOS Méditerranée [l'ONG qui a affrété le navire] refuse de remettre les réfugiés aux mains des garde-côtes libyens. On sait que Malte refuse l'arrivée de ces navires et n'a pas ratifié le protocole de la SAR.

Normalement, ce devrait donc être l'Italie, mais elle a un gouvernement qui a décidé de ne plus respecter ses obligations internationales, nées des conventions ratifiées par l'Italie, et répond que tous les ports sont fermés, sans aucune raison juridique. Faut-il retourner à Valence, si l'Espagne en est d'accord ? Valence [qui a déjà accueilli l'Aquarius en juin dernier] qui est un port lointain, à 1 500 kilomètres, mais seul port sûr de la Méditerranée occidentale ? Et la France ?

Que pensez-vous justement de la réponse de la France ?

La France fait peu d'efforts, trouve des arguties juridiques et développe une politique de fermeture. Citer les règles juridiques, c'est tromper. Le plus effarant, c'est de voir qu'il y a une manipulation du droit, que l'interprétation des règles est strictement politique. Il faut être clair : l'Italie ne veut plus respecter les règles internationales, les Etats de l'Union européenne ne font preuve d'aucune solidarité et créent une Union impuissante, et la France joue à cache-cache de manière hypocrite.

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