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Ukraine : pourquoi l'Union européenne marche sur des œufs

Des centaines de milliers d'Ukrainiens contestent l'abandon par leur gouvernement d'un protocole rapprochant leur pays de l'Union européenne. Mais Bruxelles est bloqué par des impératifs divergents. Explications.

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Des manifestants pro-européens à Kiev (Ukraine), le 5 décembre 2013. (ALEXEY KUDENKO / RIA NOVOSTI / AFP)

Chassé par les forces de l'ordre, ils reviennent en nombre. Malgré un nouvel assaut lancé la nuit précédente, les manifestants pro-européens occupent toujours, mercredi 22 novembre, la place de l'Indépendance à Kiev, la capitale de l'Ukraine.

Ils ne désarment pas depuis près de 15 jours. Point de départ du regain de tensions : la volte-face, fin novembre, du président Viktor Ianoukovitch. Ce dernier, sous la pression de la Russie, a refusé de signer un accord de libre-échange et de coopération avec l'Union européenne.

Depuis ce refus, l'UE condamne les violences, multiplie les appels au calme et répète que l'accord reste "sur la table". Bruxelles et les Etats membres restent cependant relativement discrets face au mouvement. En fait, ils sont coincés entre plusieurs impératifs. Explications.

Soutenir le rapprochement, mais discrètement

Sur le papier, le rapprochement a du sens."C'est un pays culturellement, géographiquement et historiquement européen", rappelle Nicole Gnesotto, spécialiste des questions européennes et stratégiques, jointe par francetv info. "C'est dans l'intérêt de l'UE que d'accompagner le pays dans sa transition démocratique."

D'ailleurs, l'Union européenne aide l'Ukraine depuis plusieurs années déjà et avait suivi de près la Révolution orange de 2004. "Elle a déployé énormément d'effort pour que cet accord d'association soit signé, les délégations sont venues négocier pied à pied", rappelle Alexandra Goujon, maître de Conférences en Science Politique au Credespo et spécialiste du pays. 

Problème : pour la chercheuse, Bruxelles ne peut aller plus loin que de rappeler les valeurs démocratiques qu'elle défend, comme le font tour à tour ses dirigeants ces derniers jours. Catherine Ashton, la chef de la diplomatie européenne, a ainsi rencontré Arseny Yatsenyuk, l'une des figures de l'opposition, directement sur la place principale de Kiev avant d'être reçue par le président contesté Viktor Yanukovych. 

La chef de la diplomatie européenne Chaterine Ashton et Arseny Yatsenyuk (G), chef de l'opposition parlementaire ukrainienne, place de l'Indépendance à Kiev, le 10 décembre 2013. (ILIYA PITALEV / RIA NOVOSTI / AFP)

"Ainsi, l'UE joue son rôle de médiateur entre le pouvoir et l'opposition", décode Nicole Gnesotto. "Elle gère la situation comme elle peut : quand on vous claque la porte au nez, vous ne revenez pas avec un bulldozer", insiste Alexandra Goujon. D'autant que tous les pays membres ne tenaient pas particulièrement à cet accord entre l'Ukraine et l'Union. En effet, si les pays de l'ancienne zone d'influence soviétique comme la Pologne poussaient dans ce sens, d'autres, dont la France, avaient des priorités différentes, accentuées par la crise économique.

Ouvrir les marchés, sans trop dépenser

Avec ses 603 700 km2, le deuxième plus grand pays d'Europe par sa superficie est à la fois la promesse de l'ouverture de nouveaux marchés mais aussi un potentiel gouffre pour les aides européennes. "L'Ukraine est un pays pauvre. Son développement économique n'est pas aux standards de l'Union européenne", confirme Nicole Gnesotto. 

D'ailleurs, "l'Ukraine a besoin de 20 milliards d'euros d'aide européenne pour signer un accord d'association en limitant ses conséquences pour son économie", a réclamé le Premier ministre, Mykola Azarov. Réponse immédiate, mercredi, de Bruxelles par la voix d'Olivier Bailly, un des porte-paroles de la Commission européenne : "Ces accords sont bons pour la prospérité de l'Ukraine. Nous n'allons pas jouer avec les chiffres." Sous-entendu : Kiev n'aura pas ses 20 milliards. 

L'Europe a déjà mis la main à la poche : depuis l'indépendance de l'Ukraine, il y a plus de 20 ans, l'Union européenne soutient les réformes qui y sont réalisées, son aide totale atteignant quelque 3,3 milliards d'euros.

Condamner les violences, sans envenimer la situation

Après l'assaut de mercredi, Catherine Ashton a une nouvelle fois condamné "l'usage de la force et de la violence", se disant "très impressionnée par la nature pacifique et courageuse des manifestations".

Mais les représentants européens doivent rester prudents. Le risque de voir le mouvement de protestation dégénérer existe. "Les actions violentes ne peuvent déboucher que sur une radicalisation de la protestation et sur un conflit civil majeur", a mis en garde mercredi le chef de l'Eglise orthodoxe ukrainienne, le patriarche Filaret.

Les Ukrainiens eux-mêmes sont divisés, avec des lignes de fracture multiples, comme le mettent en évidence ces cartes du Washington Post (en anglais). In fine, l'ensemble reste "une question de politique intérieure", martèle Alexandra Goujon qui rappelle qu'il revient au pouvoir ukrainien de décider quelle politique étrangère il mène. Mais aussi que Bruxelles n'a pas vocation à faire de l'ingérence dans les affaires des Etats. 

Se rapprocher de Kiev, sans fâcher Moscou

C'est le dernier paramètre qui complique l'affaire. A l'origine de l'échec de la signature des accords au sommet de Vilnius : la Russie. En effet, Moscou a vu l'accord de libre-échange d'un mauvais œil, craignant que les produits européens ne viennent faire de l'ombre à ses propres exportations. 

"Depuis la chute de l’URSS [en 1991], la Russie a du mal à faire le deuil de la perte de l’Ukraine, l’un des fleurons de l’empire soviétique", souligne Emmanuelle Armandon, directrice des études à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO), citée par Le Point. D'où ce chantage. "Face au risque d'un embargo sur ses exportations vers la Russie, (...) que pesait en effet la baisse progressive des droits de douane proposée par Bruxelles ?", s'interroge Le Nouvel Obs.

La France et l'Allemagne notamment, qui soignent leurs relations avec Moscou, ne tiennent pas à ouvrir un nouveau front et observent une attitude mesurée. Tandis que la Pologne plaide pour une prise de position plus forte pour marquer son basculement vers l'Ouest. "Maintenant qu'il y a eu cette volte-face, cela me paraît difficile que l'Union trouve un nouveau consensus pour relancer le processus", estime Alexandra Goujon. De fait, si l'UE concède qu'elle est prête à discuter de la "mise en œuvre" de l'accord, elle refuse toute réouverture des négociations.

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