Ukraine : "Les décisions prises à Kiev attisent les tensions dans les régions russophones"
Alors qu'à Kiev le gouvernement de transition se met en place, la situation se tend en Crimée, bastion pro-russe au sud-est du pays. Francetv info a interrogé une spécialiste de l'Ukraine pour mieux comprendre les récents évènements.
La situation se tend en Crimée, bastion pro-russe au sud-est de l'Ukraine. Jeudi 27 février, une cinquantaine d'hommes équipés d'armes automatiques ont pénétré dans le siège du gouvernement et du Parlement local, à Simferopol.
Des drapeaux russes ont été dressés en haut de ces bâtiments, renforçant les inquiétudes des nouvelles autorités ukrainiennes autour d'une menace séparatiste. Alors la Crimée peut-elle faire sécession ? Francetv info a posé la question à Emmanuelle Armandon, politologue et spécialiste de l'Ukraine à l'Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales).
Francetv info : Pourquoi la situation est si tendue en Crimée ?
Emmanuelle Armandon : Des décisions sont actuellement prises à la va-vite à Kiev, où les autorités actuelles semblent vouloir faire table rase du passé de la présidence Ianoukovitch. Elles ont par exemple aboli une loi, adoptée à l'été 2012, qui donnait le statut de langue régionale à la langue russe. Est-ce que c'était le bon moment ? Ça ne fait qu'attiser les tensions dans les régions russophones de l'est et du sud, comme la Crimée. Il faut rassurer les minorités russes, plutôt que cliver de cette façon.
Et puis dans le nouveau gouvernement, Boris Tarassiouk devrait être nommé vice-Premier ministre. C'est l'ancien ministre des Affaires étrangères de Iouchtchenko [l'ancien président, leader de la "Révolution orange"] : un pro-européen convaincu, pro-rapprochement avec l'Otan. Ça, ça ne peut pas satisfaire la population de Crimée.
La région peut-elle faire sécession ?
Historiquement, le territoire est très lié à la Russie, il n'a été rattaché qu'en 1954 à l'Ukraine. La Crimée est la seule région du pays peuplée majoritairement de russes ethniques, qui au début des années 90, ont craint pour leur sort au sein d'une Ukraine indépendante. A ce moment-là, des revendications sécessionnistes sont apparues, mais elles se sont dissipées ces dernières années.
Cela n'empêche pas qu'il y existe encore quelques associations locales, quelques partis régionaux en Crimée même, qui continuent d'évoquer un rattachement à la Russie. Mais ces dernières années, il n'y avait pas eu de grosses manifestations. Difficile de dire pour l'instant si les événements à Kiev vont raviver ces revendications.
La Russie peut-elle intervenir ?
Ce qu'il faut comprendre, c'est que la perte de la Crimée a été très mal vécue au lendemain de l'effondrement de l'URSS, parce que la péninsule est considéré par beaucoup de Russes comme un territoire historiquement russe. C'est un élément du patrimoine russe, une région très symbolique sur le plan touristique : d'abord lieu de villégiature de la famille impériale au XIXe siècle, elle a été le symbole du tourisme de masse pendant toute la période soviétique. Sans compter que la Crimée abrite la flotte russe de la mer Noire.
Les Russes observent donc très attentivement ce qu'il se passe. Depuis le début des années 90, les dirigeants de l'exécutif russe n'ont jamais officiellement remis en cause l'appartenance de la Crimée à l'Ukraine. D'autres personnalités politiques russes, des députés, l'ancien maire de Moscou l'ont fait. Il y a une volonté d'entretenir le flou. Les Russes surveillent la situation, mais de là à intervenir militairement... Il faut rester prudent.
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