Ukraine : "Ici, on fabrique les bombes artisanales et les cocktails molotov à la chaîne"
Franck Génauzeau, envoyé spécial à Kiev pour France 2, décrit les scènes de carnage et l'organisation des manifestants présents sur place.
L'Ukraine a connu une journée noire. Au moins 60 manifestants ont été tués à Kiev dans la journée du jeudi 20 février dans un regain de violences spectaculaire.
Le journaliste Franck Génauzeau et son reporter d’images Giona Messina, présents sur place pour France 2, sont les témoins directs des évènements sanglants sur la place de l’Indépendance. Franck Génauzeau décrit pour francetv info le champ de bataille qui se trouve sous ses yeux.
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Quelle est la situation place de l'Indépendance jeudi en fin d'après-midi ?
Franck Génauzeau : Je suis actuellement sur la place Maïdan [l'autre nom de la place de l'Indépendance]. Il y règne un calme relatif. Les manifestants sont, pourrait-on dire, au travail. Ici, on fabrique à la chaîne les bombes artisanales, les cocktails Molotov, les stocks de pavés et même les cantines pour nourrir ceux qui livrent bataille.
La physionomie de cette place évolue d’heure en heure. En moins de trente minutes, on élève des murs, on bâtit des barricades. Les manifestants sont remarquablement organisés et particulièrement déterminés. Tout ce que je viens de vous décrire s’est mis en branle très peu de temps seulement après les moments d’extrême violence que nous avons connus ce matin.
On parle à présent de 60 morts, rien que pour le début de cette journée. Comment expliquez-vous un bilan aussi lourd ?
L’assaut a été donné par les manifestants contre une barricade tenue par les policiers. Cette information est corroborée ici par de nombreux témoins. C’est alors que les policiers antiémeutes qui étaient là, les redoutés Berkout, ont cédé la place à des unités spéciales à gilets jaunes. Ces derniers ont ouvert le feu à balles réelles. Ils étaient équipés de kalachnikovs. Pendant plus d’une vingtaine de minutes, ils ont arrosé ou carrément visé les manifestants. Dès la fin de cette fusillade, de nouvelles barricades étaient dressées. Nous assistons à une véritable stratégie de grignotage du terrain. Les manifestants sont parvenus à élargir le périmètre de leur occupation. De barricades en barricades, ils se rapprochent du stade du Dynamo de Kiev et sont à quelques pas des bâtiments institutionnels, des ministères par exemple.
Il y a des blessés, des morts... Comment s’effectue la prise en charge des victimes des affrontements ?
Essentiellement par un incroyable solidarité des membres du corps médical. Les étudiants en médecine, les infirmiers et les docteurs, tout le monde est là à prêter main forte. A l’hôtel Ukraina où je suis, comme la plupart de la presse étrangère, un poste de secours a été improvisé dans le hall. Des draps blancs noués entre eux délimitent des succédanés de chambres où l’on s’évertue à stabiliser les blessés avant de les envoyer vers les hôpitaux. A quelques mètres de là, dehors, c’est une sorte de guinguette où l’on peut manger des sandwichs qui a aussi été transformée en hôpital de campagne. Des drapeaux avec une croix rouge signale l’endroit. Le degré d’organisation de toutes ces initiatives individuelles est réellement très impressionnant. Et dans le moment d’accalmie que nous vivons en ce moment, chacun a le sentiment de vivre une veillée d’armes.
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