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Témoignage "Le destin en a décidé ainsi" : avec la guerre en Ukraine, le mufti d'Ukraine est devenu infirmier sur le front

Avant le début de l'invasion russe, il était le plus haut représentant de la minorité musulmane dans le pays. Mais depuis le 24 février 2022, Saïd Ismagilov est devenu soignant à deux pas du front.
Radio France
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Avant la guerre, Saïd Ismagilov était mufti. Depuis, il est volontaire paramédical auprès des soldats blessés. (GILLES GALLINARO / RADIO FRANCE)

Alors que Kiev entre dans son dix-huitième mois de conflit, Ukraine et Russie affirment avoir déjoué des attaques de drones adversaires dans la nuit de lundi à mardi 25 juillet. Sur le front, la contre-offensive ukrainienne semble piétiner et si l'armée enregistre peu d'avancées, les blessés continuent d'affluer. Parmi les infirmiers qui les soignent : Saïd Ismagilov. Au lendemain de l'invasion russe, il a enlevé son turban de religieux et enfilé son treillis militaire. Celui qui était mufti, le plus haut représentant de la communauté musulmane en Ukraine, a vu son quotidien bouleversé. 

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Très rapidement, lui et son bataillon sont envoyés à Irpin et à Boutcha, où l'armée russe a été accusée d'avoir commis des exactions l'année dernière. "Je ne m’attendais pas à travailler avec des blessés, mais le destin a décidé. Comme il y avait des besoins, que j’allais aider à évacuer les blessés, j’ai accepté, j’y suis allé. Depuis, je ne peux pas m’arrêter."

Aider ceux qui souffrent

Fines lunettes, barbe parfaitement taillée, Saïd égrène machinalement son bracelet de prières. Il ne prêche plus, il soigne. Son quotidien est toujours rythmé par les prières à Allah, mais aussi par les gestes de premiers secours pour les soldats blessés au front. Il sait qu'il est à la bonne place : "Ma vision, mon éducation, ma formation font que je ne pouvais pas rester à côté de ces événements importants sans aider ceux qui souffrent", glisse-t-il.

Saïd Ismagilov en prière dans la salle de repos des soldats. (GILLES GALLINARO / RADIO FRANCE)

Entre ses prières, Saïd garde une oreille attentive aux combats qui se déroulent près de son hôpital de campagne. Le calme est trompeur : il sait qu'il aura beaucoup de blessés cet après-midi-là. "Ce qui est étonnant, c’est que les oiseaux n’entendent pas la guerre. Ça peut exploser juste ici, et les oiseaux continueront de voler, de chanter, ça ne les touche pas", nous fait-il remarquer.

Jusqu'à 200 à 300 blessés par jour à soigner 

Pour les premières urgences, il ne manque pas de matériel grâce aux volontaires."En Ukraine, le mouvement des volontaires est très fort. Si on a un manque de matériel médical, de médicaments, ils les trouvent et nous les ramènent très vite. Il y a toujours des besoins, parce que si on a beaucoup de blessés, tout peut être utilisé en une journée. Quand il y avait des combats à Bakhmout, on avait 200 à 300 blessés par jour."

Pour sensibiliser l'opinion publique, y compris dans les pays musulmans, Saïd est très actif sur les réseaux sociaux, mais sans faire pour autant de prosélytisme. "Chez nous, en Ukraine, les musulmans et les chrétiens combattent ensemble. Notre pays est très tolérant et uni, on n’a pas de conflit entre confessions ! On a un conflit entre ceux qui défendent l’Ukraine et ceux qui l’attaquent." Et de conclure que son vœu le plus cher est de redevenir aux yeux de tous un homme de foi : cela voudra dire que la guerre est terminée.

Saïd Ismagilov, haut représantant religieux devenu infirmier de guerre - Reportage d'Isabelle Labeyrie et Gilles Gallinaro

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