Soldats tués dans une frappe ukrainienne : Moscou reconnaît des pertes "absolument impossibles à contester", estime un historien militaire
"Pour regagner en crédibilité, cela vaut parfois la peine de reconnaître des pertes, surtout lorsqu'elles sont absolument impossibles à contester", estime lundi 2 janvier sur franceinfo Cédric Mas, historien militaire et président de l’Institut Action Résilience. Le Kremlin a reconnu la perte de 63 soldats dans une frappe ukrainienne près de Donetsk. Les Ukrainiens estiment eux que 400 soldats russes ont perdu la vie. Selon Cédric Mas, le nombre réel de pertes dans cette frappe ne sera connu "que bien après la fin de la guerre, lorsque les historiens militaires pourront se pencher sur les témoignages et sur les archives", en raison de l’enjeu stratégique que constitue ce genre d’informations.
franceinfo : La reconnaissance par le Kremlin de la perte de 63 de ses soldats en une seule attaque est une première. Comment expliquer cette communication de la part de Moscou ?
Cédric Mas : Elle s'explique tout simplement par l'impossibilité de nier la réalité de ces frappes puisqu'elles sont survenues dans la banlieue de Donetsk, dans une zone urbanisée, et que l’immeuble de deux étages est complètement rasé. Ils ont reconnu cela également parce que dans cette lutte informationnelle, les Russes, jusque-là, souffraient d'un problème de crédibilité : ils ont refusé de reconnaître la perte d'un croiseur, ils avaient présenté l’évacuation de l'îlot du Serpent comme un signe de bonne volonté... Donc, pour regagner en crédibilité, cela vaut parfois la peine de reconnaître des pertes, surtout lorsqu'elles sont absolument impossibles à contester.
Moscou reconnaît 63 morts, l'Ukraine parle de 400 décès. Comment savoir qui dit vrai ?
Nous ne le saurons que bien après la fin de la guerre, lorsque les historiens militaires pourront se pencher sur les témoignages et sur les archives. C’est-à-dire souvent quelques décennies après la fin des combats. Le chiffre exact des pertes est d'autant plus difficile à cerner que c’est un enjeu crucial que de savoir quelles sont les pertes exactes subies par l’ennemi. Si les Ukrainiens y ont usé leurs réserves, ils ne pourront plus attaquer. Si ce sont les Russes qui ont perdu beaucoup plus de force, ils ne pourront plus faire face à la prochaine contre-offensive que tout le monde attend pour cet hiver. Donc l'enjeu des pertes est très important et il est très difficile de savoir où se situe le nombre exact de morts, outre le fait que certains blessés vont peut-être malheureusement décéder de leurs blessures s'ils ne sont pas soignés suffisamment rapidement.
Comment expliquer que les Ukrainiens arrivent à frapper aussi fort les forces russes ?
Tout simplement parce qu'ils ont bénéficié, depuis la fin du mois de juin, de livraisons de ces Himars, des systèmes de lance-roquettes multiples, qui tirent des projectiles guidés. Donc ils sont capables de frapper à 70 ou 80 kilomètres du lieu de départ, avec une précision de l'ordre de quelques mètres, ce qui est exceptionnel et qui permet de compenser par la précision des tirs le faible nombre de pièces qui sont en ligne aujourd'hui et qui sont livrées au compte-gouttes par les Américains et les Occidentaux.
Sur le plan intérieur, pour Moscou, la reconnaissance de ces nouvelles pertes va-t-elle faire beaucoup de mal ? Comment justifier ces pertes vis-à-vis de la population aujourd'hui ?
Beaucoup de mal ou, au contraire, renforcer le narratif de la propagande du Kremlin qui est d'expliquer qu’on est dans une guerre qui nécessite des souffrances et que la supériorité intrinsèque des Russes est justement de pouvoir endurer des morts, que les Occidentaux trop faibles et décadents ne pourraient pas supporter. Donc ça peut venir renforcer au contraire ce discours héroïque et sacrificiel selon lequel les Russes vaincront par leur obstination et leur patience. Pour reprendre les mots du représentant Peskov, un porte-parole du Kremlin. Ils vaincront inéluctablement par leur patience, peu importe le nombre de morts qu'ils pourraient subir d'ici là. Cela renforce ce discours héroïsant qui s'appuie déjà sur la Grande Guerre patriotique où l'Union soviétique avait enduré des millions de morts avant de pouvoir arriver dans les ruines de Berlin [en 1945].
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