C’est un petit chemin de sable qui serpente dans une forêt de pin aux troncs orange clair, une forêt dans laquelle personne ne voudrait entrer. On y croise d'abord des démineurs qui inspectent la zone, puis on s'enfonce dans cette forêt. Et très vite, on a la nausée. Au bout du chemin, 445 croix de bois, la police scientifique s’affaire.Nous sommes à Izioum, à 150 km de Kharkiv, dans l’Est de l’Ukraine, occupée par les Russes pendant près de six mois. Les forces ukrainiennes ont repris la ville il y a une semaine et les autorités ont pu constater le drame qui s’y est joué, annonçant la découverte d'un charnier. La police scientifique a procédé vendredi 16 septembre à l’exhumation d’une partie de ces corps.>> Suivez le direct : nos dernières informations sur la guerre en UkraineDifficile de respirer, l'odeur monte. Il y a là une trentaine d'agents de la police scientifique. Ils semblent exténués. Ils se reposent. Certains sont appuyés sur leurs pelles. La police scientifique à l'œuvre à Izioum, vendredi 16 septembre 2022. (BORIS LOUMAGNE / RADIO FRANCE) On avance encore. De nouveau la police scientifique mais cette fois, les hommes travaillent. Blouses bleues ou blanches, sacs mortuaires, masques sur le nez, ils creusent. On découvre des masses sombres exhumées du sable jaune. Il y a 445 de ces corps à exhumer. On peut les compter facilement parce que devant chaque tombe creusée dans le sable, il y a une croix en bois avec un chiffre, de 1 à 445.D’après les premiers éléments de l’enquête, il s’agit d’habitants de la ville tués lors de bombardements au début de l’invasion. "On se trouve devant une fosse commune où des civils ont été enterrés, explique Oleg Sinegoubov, le gouverneur de la région de Kharkiv. Selon les premiers éléments, ils ne sont pas décédés de mort naturelle. Ici, il y a beaucoup d’enfants parmi les corps." Selon lui, la plupart des victimes ont été tuées lors des bombardements russes au début de l’invasion. Les corps sont exhumés pour déterminer les causes du décès. Une dizaine l'ont été, vendredi 16 septembre 2022. (BORIS LOUMAGNE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE) "Quand Izioum était occupée par les soldats russes, poursuit Oleg Sinegoubov, nous avions des informations selon lesquelles de nombreux civils étaient morts à cause des bombardements sur des immeubles d'habitation. Nous ne pouvions pas vérifier cette information à ce moment-là, mais maintenant nous avons des faits." Des faits qui demandent à être étayés, précisés. Voilà pourquoi ces corps sont exhumés. Pour leur donner un nom, également, une identité. Et donc pour déterminer les causes du décès parce que s'il est probable que la plupart des victimes soient mortes lors de bombardements, certains corps présentent également des traces de tortures."Il y a des cadavres avec les bras attachés dans le dos, un autre avec une corde autour du cou. Il est certain que 99% des personnes ici ont succombé de mort violente." Le gouverneur de la région de Kharkivà franceinfoDans cette forêt, l’enquête ne fait que commencer, elle sera longue. D’après les autorités ukrainiennes, plusieurs personnes ont été arrêtées. Elles sont suspectées d’avoir enterré les corps à la va-vite. Il s'agit, selon le procureur, d'habitants de la ville qui se seraient improvisé fossoyeurs au service des Russes pendant l'occupation d'Izioum, pour "nettoyer" les habitations bombardées. Et puis il y aura une enquête sur les cadavres de ces 17 soldats ukrainiens retrouvés également dans cette forêt, à quelques mètres de ceux des civils. Septembre 2022, Ukraine. Parmi les corps exhumés à Izioum, beaucoup d'enfants, d'après le gouverneur de la région. (BORIS LOUMAGNE / FRANCEINFO / RADIO FRANCE) L'accès à ces tombes, à Izioum, était très encadré et très préparé. Il y a une volonté forte côté ukrainien de communiquer sur cette découverte. L'armée avait affrété des cars et des minibus pour les journalistes, près de 200. Sur place, les officiels ont beaucoup insisté sur les traces de torture trouvées sur les cadavres. Mais ces déclarations doivent être prises avec prudence, seule une dizaine de corps ont été exhumés aujourd'hui. Certains de ces corps portaient des traces de torture, mais il est trop tôt pour tirer des conclusions globales.D'après les habitants que nous avons rencontrés, il n'y a pas eu à Izioum de massacres de masse commis par les Russes. Pas d'exécutions sommaires, comme à Irpin ou à Boutcha, au nord de Kiev. Mais il y a tout de même ces corps, 445. Des civils pour la plupart, vraisemblablement tués lors des bombardements de la ville au début de l'invasion. A Izioum, 445 croix et autant de corps à exhumer - le reportage de Boris Loumagne et Eric Audra écouter