: Reportage "Généralement, c'est un pour un" : des soldats ukrainiens récupèrent les corps de combattants russes pour les échanger contre les leurs
Risquer sa vie pour trouver les corps de ses ennemis : c'est le travail de Maxim et Volodymyr. "Ici, c'est important de surveiller le ciel, explique Volodymyr. S'il y a un drone, cachez-vous sous les arbres !" Pas de drone russe pour le moment, seules quelques sauterelles et des mouches sur cette route de campagne bordée de bosquets et de champs abandonnés. "Maintenant, on va avancer sur la route, souffle Maxime, on va regarder à droite, à gauche. D'habitude, on ne parle pas trop avec Volodymyr. C'est un travail silencieux."
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C’est un sujet tabou en Ukraine. Kiev ne communique jamais sur le nombre de ses soldats tués au combat. Les autorités ne disent rien non plus sur la façon dont sont récupérés les corps de ses militaires tombés du côté des lignes russes. Et pourtant, régulièrement, des échanges de corps ont lieu entre les deux camps pour permettre aux familles d’enterrer leurs proches. Et c'est le "travail silencieux" de Maxim et Volodymyr, dans ce petit coin de campagne de la région de Donetsk. Au sud l’artillerie russe, au nord les positions ukrainiennes, et au milieu un no man’s land aux environs du village de Blahodatne.
"C'était un ennemi, maintenant, c'est un corps"
"Il ne faut pas se déconcentrer, poursuit Maxim. On cherche des indices comme des casques, des gilets pare-balles. Et l'odeur, l'odeur persistante." Maxim et Volodymyr portent des sacs mortuaires blancs qu'ils laissent tomber à terre quand ils pensent avoir repéré quelque chose dans les fourrés. "Faites gaffe, là, il y a quelque chose, nous dit Maxim. Ah non ! c'est la patte d'un chien." Les deux soldats de la 38ᵉ brigade font ce travail depuis quinze jours. Ils ont trouvé une quinzaine de cadavres. "Dans cette clairière, ils sont morts à cause des obus. Et là, ils ont été tués par balles."
Sur la route, Volodymyr évoque ces corps qu'il ramasse tous les jours. L'un d'eux lui a fait penser au personnage de Yorick, le crâne dans Hamlet, de Shakespeare. Mais ce décor aujourd'hui nous évoque surtout le bruit et la fureur dans Macbeth. Le bruit des frappes russes au loin, la fureur des combats. Au bout de la route, après une heure de marche, une masse sombre allongée sur le bitume. "En voilà un ! C'est mieux que vous reculiez..."
Volodymyr découpe lentement la ceinture de grenades que porte le soldat russe. Maxim s'approche avec le sac mortuaire. "Récupérer les corps des ennemis nous permet ensuite de les échanger avec les nôtres. Ça dépend comment on s'arrange, mais généralement, c'est un pour un. Après, si c'est quelqu'un d'important comme un officier, ils sont prêts à l'échanger, même contre des vivants, pour récupérer son corps. J'ai le mari de ma nièce qui est détenu par les Russes et j'espère que si on trouve quelqu'un d'important, on l'échangera peut-être contre lui ou contre l'un de nos gars. Pour moi, c'est une vraie motivation."
L'échange des corps se déroule ensuite à la frontière avec la Biélorussie ou dans les régions frontalières de Soumy et de Kharkiv. "Silence ! Cachez-vous !" Un drone passe au-dessus de nos têtes. C'est un engin ukrainien, Maxim l'a reconnu, on peut continuer. Quelques mètres plus loin, par terre, un téléphone transpercé par une balle et un cadavre. Il est là depuis deux mois. Heureusement, il y a du vent aujourd'hui. Les deux Ukrainiens abhorrent, les soldats russes. Pour autant, ils ne sont pas insensibles au sort de ceux qu'ils ramassent ici. Des jeunes, hommes pour la plupart. "C'était un ennemi quand il était en vie, explique Maxim. Maintenant, c'est un corps et sa mère l'attend pour l'enterrer dignement." "Pour moi, poursuit Volodymyr, à la guerre, le principal, ce n'est pas de survivre, c'est plutôt de rester humain."
Il faut faire vite à présent, les frappes russes se rapprochent. "On va chercher la voiture !" Les deux corps sont chargés à l'arrière du pick-up de Maxim, direction une morgue en retrait du front. Ce soir, en rentrant à la base, Volodymyr ne parlera à personne pendant un long moment. "C'est toujours comme ça", nous dit-il. Il fixera un point, les bras ballants, comme hébété par le bruit et la fureur de la guerre.
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