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Prisonniers, civils évacués, bombardements... Que se passe-t-il dans la région russe de Belgorod, à la frontière avec l'Ukraine ?

Des milices revendiquent un raid armé en territoire russe, une information difficile à vérifier de manière indépendante. Les bombardements nourris à la frontière, en tout cas, ont conduit des milliers d'habitants à fuir vers la capitale régionale.
Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Des habitants évacués reçoivent de l'aide dans l'un des centres humanitaires de la capitale régionale Belgorod (Russie), le 3 juin 2023, après avoir quitté le secteur frontalier. (OLGA MALTSEVA / AFP)

La confusion est totale dans la région russe de Belgorod, et plus précisément à la frontière avec l'Ukraine. Depuis plusieurs jours, des combattants russes favorables au camp ukrainien revendiquent un raid armé dans plusieurs localités, après avoir franchi la frontière. Ces deux groupes, la légion Liberté de la Russie et le Corps des volontaires russes (RDK), avaient déjà mené une incursion remarquée dans la région, fin mai, une centaine de kilomètres plus à l'ouest. Ils affirment, cette fois, recevoir l'aide logistique d'un groupe de volontaires polonais, dont les missions sont toutefois cantonnées au territoire ukrainien.

>> Guerre en Ukraine : qui sont les combattants qui revendiquent une incursion armée dans la région russe de Belgorod ?

L'armée russe avait d'abord assuré, jeudi, avoir déjoué trois attaques à sa frontière, en mobilisant son aviation et son artillerie pour éliminer "plus de 50 terroristes". Les miliciens avaient de leur côté certifié avoir réussi à pénétrer à Chebekino, ville de 40 000 habitants, mais les vidéos publiées ne permettent pas de confirmer cette version. Les forces russes semblent "avoir connu davantage de succès pour contenir le raid que lors de la précédente incursion de mai", avait souligné de son côté le renseignement britannique.

Trois jours plus tard, la donne paraît avoir changé. Le gouverneur régional de Belgorod, Viacheslav Gladkov, a cette fois confirmé que des "combats" étaient en cours à Novaïa Tavoljanka, premier village après la frontière. Et l'armée russe a déclaré avoir repoussé "deux groupes terroristes" qui tentaient de franchir une rivière pour accéder à la périphérie du village.

Des hommes se présentant comme des combattants du Corps des volontaires russes, sur une vidéo diffusée le 5 juin 2023. (CORPS DES VOLONTAIRES RUSSES / TELEGRAM)

La situation reste incertaine dans le secteur. Lundi, le RDK a publié à deux reprises des images non datées, prétendument tournées à Novaïa Tavoljanka. La légion Liberté de la Russie a pour sa part diffusé des images d'une frappe supposée près du poste-frontière de Chebekino. Au total, affirme le groupe, deux chars et deux blindés ont été détruits. Les miliciens soutiennent également avoir tué un soldat de l'armée russe lors d'une "fusillade" pendant cette incursion. "Tous les terroristes du régime de Poutine seront punis", commente la légion Liberté de Russie, en diffusant un document d'identité d'un dénommé Andreï V.. A ce stade, l'information n'a pas été confirmée par les autorités russes.

Les miliciens revendiquent la capture de combattants russes

Ce n'est pas la première fois que les combattants pro-Kiev disent avoir capturé des soldats russes. Le Corps des volontaires russes a même proposé, dimanche, de remettre deux prisonniers au gouverneur régional. Mais à la condition expresse, toutefois, que celui-ci se déplace en personne à Novaïa Tavoljanka. Evguéni Prigojine, leader du groupe Wagner, a aussitôt déclaré qu'il était prêt à envoyer un émissaire, si les autorités russes restaient immobiles. Quelques heures plus tard, Viacheslav Gladkov a finalement répondu sur Telegram qu'il acceptait le principe d'une rencontre, mais au poste-frontière de Chebekino.

Le RDK a déploré, dans une nouvelle vidéo, que la main tendue n'ait pas été saisie. Plusieurs de ces prisonniers, dont franceinfo a flouté les visages, ont été identifiés par des médias russes. Mais personne n'en connaît le nombre total, même si le Corps des volontaires russes assure qu'il y en a "bien davantage" que sur le cliché, et qu'ils ont été remis aux autorités ukrainiennes.

Le Corps des volontaires russes, une milice anti-Poutine, a proposé aux autorités locales de la région de Belgorod de leur remettre des prisonniers, le 5 juin 2023, à condition de rencontrer le gouverneur. (CORPS DES VOLONTAIRES RUSSES / TELEGRAM)

La légion Liberté de la Russie, de son côté, a diffusé la vidéo de trois hommes menottés, escortés par des combattants portant le brassard jaune de l'armée ukrainienne. Elle avait également annoncé son intention de transférer ses prisonniers aux autorités ukrainiennes.  

Des milliers de réfugiés fuient les frappes

Le district de Chebekino a subi de premiers bombardements en octobre, l'an dernier. Mais depuis le 21 mai, le nombre de ces frappes a considérablement augmenté. En une semaine, plus de 1 150 appartements et 370 maisons ont été détruits, selon le chef du district de Chebekino, Vladimir Jdanov, cité par le média local go31.ru. Les dégâts ont été constatés sur place par une équipe de LCI et la circulation a été interdite dans tout le secteur. Plusieurs témoignages locaux font état de pillages.

En 24 heures, l'armée ukrainienne a tiré 611 obus dans le secteur, a déclaré lundi le gouverneur de Belgorod, Viacheslav Gladkov. Il n'y a pas eu de nouvelle victime, mais deux jours plus tôt, deux femmes avaient été tuées à Novaïa Tavoljanka et Bezlioudovka. La veille, deux passagers d'une voiture avaient péri près de la ville de Chebekino, et deux autres avaient été blessés dans le véhicule qui suivait.

Des habitants des secteurs frontaliers de l'Ukraine ont trouvé refuge dans la capitale régionale Belgorod (Russie), le 3 juin 2023, après une incursion armée de combattants russes anti-Poutine. (OLGA MALTSEVA / AFP)

A deux reprises, le gouverneur Gladkov a demandé aux habitants de quitter le district, en raison des tirs d'artillerie. Et la ville de Chebekino, désormais, se vide inexorablement. Des milliers de personnes ont déjà trouvé refuge dans les trois centres d'hébergement temporaires de Belgorod, la capitale régionale située plus au nord. "On est partis de Chebekino parce qu'on a été bombardés tellement fort que les vitres ont explosé", raconte une habitante rencontrée par l'AFP. Certains d'entre eux ont déjà été conduits dans d'autres régions de Russie, celle de Toula par exemple.

Bruxelles veut des explications sur les armes

Moscou assure que la situation est sous contrôle. Mais l'affaire est sensible. Vladimir Poutine, rapporte le Kremlin cité par l'agence Tass, s'est entretenu dès jeudi avec le chef du district de Chebekino, Vladimir Jdanov. La poursuite des combats a le don d'agacer au plus haut point la frange ultranationaliste russe. Les blogueurs militaires multiplient les messages fleuris à l'endroit de l'armée russe. Le dirigeant tchétchène Ramzan Kadyrov, pour sa part, s'est dit "inquiet" de la situation et a proposé d'envoyer des unités en renfort. "Nous sommes prêts et nous attendons un ordre" du commandement russe, a-t-il fait savoir dans un communiqué.

Officiellement, de son côté, Kiev dément l'existence de liens avec ces milices, et le conseiller présidentiel Mykhaïlo Podolyak s'est donc contenté d'un simple commentaire. Il estime que la situation dans les zones frontalières "doit être considérée comme l'avenir de la Russie" et que Chebekino symbolise la fin de la soi-disant "stabilité de l'ère Poutine".

Ce raid est également observé avec attention dans les capitales occidentales, qui ont toujours mis en garde l'Ukraine contre un franchissement de la frontière russe. La question est d'autant plus sensible que les milices anti-Poutine ont utilisé des blindés livrés par les Etats-Unis et la Pologne, ainsi que des fusils d'assaut FN Scar de confection belge, a révélé samedi le quotidien américain Washington Post. "On demande aux Ukrainiens de nous éclaircir la situation", a déclaré à la RTBF Alexander de Croo, Premier ministre belge. Le dirigeant a missionné la Défense et les services de renseignement de son pays pour en savoir plus et rappelé cette règle : "Nos armes fournies à l'Ukraine, c'est pour des objectifs défensifs, pour [défendre] le territoire ukrainien."

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