Guerre en Ukraine : quatre questions sur les attaques autour de la centrale nucléaire de Zaporijia, qui inquiètent la communauté internationale
Les frappes de ces derniers jours constituent un "vrai risque de catastrophe nucléaire pouvant menacer la santé et l'environnement en Ukraine et au-delà", selon l'Agence internationale de l'énergie atomique.
La plus grande centrale nucléaire d'Europe se trouve à nouveau au cœur des préoccupations. L'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA) a jugé, samedi 6 août, "de plus en plus alarmantes" les informations venant de la centrale de Zaporijia (Ukraine), au lendemain de frappes réalisées à proximité du réacteur. Qu'est-ce qui inquiète l'organisation internationale ?
1Que se passe-t-il autour de la centrale ?
Près de quatre mois après le début du conflit, les autorités ukrainiennes ont accusé, vendredi, les forces russes d'avoir effectué des tirs mettant en danger la sécurité de la centrale nucléaire : trois frappes près d'un réacteur, qui ont provoqué un incendie, éteint depuis. Une accusation démentie par l'armée russe, qui contrôle la zone.
L'administration d'occupation russe a quant à elle affirmé que l'armée ukrainienne avait endommagé des bâtiments administratifs lors d'une frappe menée dans la nuit de samedi à dimanche. De son côté, le groupe ukrainien d'énergie Energoatom, qui cogère la centrale avec les Russes, a déclaré qu'un travailleur avait été blessé lors de bombardements par les forces russes samedi soir. L'entreprise a ajouté sur l'application de messagerie Telegram que le site de stockage de la centrale, où 174 conteneurs de combustible nucléaire usé sont stockés à l'air libre, avait été touché par des roquettes.
2Pourquoi la situation suscite-t-elle l'inquiétude ?
Dès samedi, le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell a condamné "la violation irresponsable" des règles de sécurité nucléaire par la Russie. La situation est critique selon Rafael Grossi, directeur général de l'AIEA, qui considère que les frappes de vendredi sont "les dernières d'une longue liste d'informations de plus en plus alarmantes". Selon lui, elles démontrent un "vrai risque de catastrophe nucléaire pouvant menacer la santé et l'environnement en Ukraine et au-delà".
Ce n'est pas la première fois que la centrale de Zaporijia inquiète depuis le début du conflit entre la Russie et l'Ukraine. Dans la nuit du jeudi 3 au vendredi 4 mars, aux premiers jours de la guerre, les militaires de Moscou avaient ouvert le feu sur des bâtiments du site, faisant courir le risque d'un accident nucléaire majeur. Depuis, la principale source d'électricité de l'Ukraine est passée sous contrôle des forces russes.
Quand la guerre a éclaté en Ukraine en février, l'AIEA a demandé que soient respectés sept grands principes pour garantir la sécurité des centrales. "L'agence juge à présent que cinq de ces sept piliers ne sont plus respectés dans la centrale", explique à franceinfo Emmanuelle Galichet, enseignante-chercheuse en physique nucléaire pour le CNAM. Intégrité des installation, fonctionnement des systèmes de sécurité, approvisionnement en énergie, sécurité du personnel… L'AIEA liste dans une communication du samedi les cinq failles (lien en anglais) qui suscitent tant d'inquiétude.
3Quels sont les éventuels risques nucléaires ?
Samedi, la compagnie ukrainienne Energoatom a affirmé que les bombardements avaient "gravement endommagé" une station renfermant de l'azote et de l'oxygène et un "bâtiment auxiliaire". "Il existe toujours des risques de fuite d'hydrogène et de substances radioactives, et le risque d'incendie est également élevé", a-t-elle souligné.
Une ligne à haute tension a également été endommagée dans cette attaque, déclenchant l'arrêt d'un des réacteurs de la centrale. Un incident loin d'être anodin, comme le relève Emmanuelle Galichet : "Sans électricité, il n'est pas possible de faire tourner le circuit primaire du bâtiment réacteur qui permet de faire évacuer la chaleur. C'est par exemple ce qui s'est passé à Fukushima."
La possible détérioration d'une zone de stockage de combustible nucléaire usagé pourrait aussi devenir un problème. "Dans chaque centrale, vous avez une grande piscine d'eau où les combustibles usés sont stockés, le temps que la radioactivité décroisse. Le principal risque serait qu'il n'y ait plus d'eau dans ces piscines", ajoute la scientifique, tout en soulignant que ces scénarios restent hypothétiques.
4Quel est le poids de la centrale dans le conflit ?
Avant le début de l'invasion russe, avec ses six réacteurs sur un parc nucléaire ukrainien qui en comprend quinze, Zaporijia produisait près d'un quart de l'électricité de l'Ukraine, chiffre Teva Meyer, maître de conférences à l'Université de Haute-Alsace, spécialiste de la géopolitique nucléaire, interrogée par franceinfo.
C'est aussi parce qu'elle est "stratégiquement située" que la centrale est sous les feux des belligérants. Posée sur la rive sud du Dniepr, la centrale de Zaporijia, se trouve sur la ligne de combat. "En descendant la rivière, on arrive sur le port de Kherson, qui est un site fondamental", note le chercheur. Directement desservie par le réseau de chemin de fer, la centrale de Zaporijia permet également de rassembler les troupes qui viennent de Crimée. "C'est ce qui fait que cet espace a été rapidement le terrain des opérations militaires", ajoute-t-il, alors même que l'Ukraine accuse la Russie de stocker des armes lourdes et des munitions dans la centrale.
Face aux tensions qui se multiplient autour de la centrale, l'AIEA a réitéré samedi son intention de conduire une mission d'experts sur place. Une perspective rejetée jusqu'à présent par l'Ukraine par peur que cela ne légitime l'occupation russe du site.
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