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Guerre en Ukraine : le média RT France fait-il vraiment de la désinformation ?

En mesure de rétorsion face au conflit en Ukraine, l'Union européenne et le gouvernement français veulent interdire de diffusion Russia Today. Deux journalistes de franceinfo ont regardé la chaîne RT France pendant plusieurs heures, lundi. Voici ce qu'ils ont vu.

Article rédigé par franceinfo - Boris Hallier et Cyrille Ardaud
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le logo de RT (Russia today), le 5 octrobre 2021. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

Russia Today (RT) est une chaîne que la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen veut interdire. RT France est accusée de "désinformation toxique et nuisible en Europe". En France aussi, le gouvernement veut l'interdire. Le secrétaire d'État au numérique Cédric O a demandé aux plateformes, comme Youtube, de couper la diffusion. La chaîne, ainsi que Sputnik, sont interdits de "tous les moyens de communication" dès ce 1er mars, a annoncé mardi matin Thierry Breton, le commissaire européen au marché intérieur.

Deux journalistes de franceinfo ont regardé RT France pendant plusieurs heures, lundi 28 février, pour voir dans quelle mesure cette chaîne faisait de la désinformation.

On retrouve tous les codes des chaînes d'info : un grand plateau, un habillage dynamique et une musique avec tambours et trompettes. Mais avant, en allumant la télévision vers 10h45, était rediffusée une émission sur Novak Djokovic. Il a fallu attendre le journal de 11 heures, pour entendre parler d'Ukraine. Ce n'était pas l'outil de propagande aux ficelles grossière que l'on pouvait imaginer. Des sources ukrainiennes et européennes sont citées à l'antenne, les termes de "guerre", d'"invasion russe" et le bilan des victimes civiles sont donnés.

Non, ce qui nous fait comprendre que cette chaîne n'est pas tout a fait comme les autres, ce sont des détails : l'armée russe, par exemple, est plus souvent citée dans le bandeau que l'armée ukrainienne ou encore cette phrase prononcée dans un reportage : "Et voilà le résultat du bombardement de samedi soir dans lequel, une vingtaine d'obus tirés du côté ukrainien ont atterri sur ce quartier résidentiel de Donetsk. Par chance, personne n'était dans l'appartement au moment où l'obus est tombé dessus."

Sauf que voilà, évidemment les obus ne sont pas signés. Il est très difficile de savoir d'où ils proviennent, d'autant que Russes et Ukrainiens se renvoient la responsabilité. Mais RT France a tranché, ce sont "des obus ukrainiens".

Peu de contradictions

Là où la ligne pro-russe de la chaîne est beaucoup plus visible, c'est sur le choix des éditorialistes et des invités. RT France est notamment connue pour ses émissions en plateau. Ces derniers jours, plusieurs passages ont été épinglés : "Ce n'est pas un guerre d'agression, c'est une guerre défensive", "Si c'est perçu comme étant un acte illégal cette invasion de la Russie en Ukraine, peut aussi être enrobée d'une certaine forme de légitimité. La Russie peut justifier cette implication par l'appel des populations qui vient dans le Donbass...", "Ce à quoi on assiste en fait c'est une victoire fulgurante de la Russie. Évidemment j'ai regardé les médias occidentaux, c'est complètement lunaire, ils vivent dans un monde parallèle. La Russie a gagné la guerre."

Peu de voix dissonantes donc parmi les invités... Pour la plupart, ils sont en accord avec cette ligne pro-russe. La chaîne veut en fait "apporter une perspective alternative à celle des autres médias", selon les mots de Xenia Fedorova, la présidente et directrice de l'info. Cette Russe a fait toute sa carrière à RT et défend la ligne éditoriale : "apporter une perspective alternative à celles des autres média". Malgré les sollicitations de franceinfo, elle n'a pas donné suite à nos demandes d'interviews.

Malaise chez ls journalistes

Signe qu'il y a depuis quelques semaines un malaise au sein de la rédaction, plusieurs têtes d'affiches dont Frédéric Taddeï, ont décidé de quitter la chaîne. Mais au-delà des présentateurs vedettes, une centaine de journalistes fait partie de la rédaction. Il s'agit principalement de jeunes de moins de 30 ans, qui ont le sentiment de faire du mieux qu'ils peuvent. "RT France n'est pas RT UK ou RT America et RT international, qui, eux, ont des propos ouvertement provocateurs voire complotistes et outranciers", explique un rédacteur qui préfère rester anonyme. "RT France avait une convention avec le CSA signée depuis 2017, renouvelée en 2021. Donc c'est que RT France remplissait bien ses obligations."

"Il y avait certaines contraintes liées à la ligne, mais je n'ai jamais eu le sentiment de me renier ou de trahir ma patrie."

un journaliste de RT France

à franceinfo

Même son de cloche du coté des syndicats. Aujourd'hui inquiétés par la décision de la présidente de la Commission européenne de fermer cette chaîne. "On peut critique notre ligne éditoriale, on peut dire qu'on a pas été assez incisif contre cette guerre ce que moi je réfute", insiste un élu SNJ, qui souhaite lui aussi rester anonyme. "En revanche, vouloir fermer notre média, ou dire que ce média a voulu désinformer ou faire la fake news, ça, c'est faux. C'est complètement faux."

Cet élu dénonce les menaces de morts dont plusieurs journalistes ont été victimes ces derniers jours sur les réseaux sociaux. La chaîne RT va porter plainte, la sécurité des locaux a également été renforcée.

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