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Guerre en Ukraine : l'Arabie saoudite tente de se poser en médiatrice, mais n'a "pas le poids suffisant"

Une trentaine de pays émergents et occidentaux se réunissent à Djeddah samedi et dimanche pour évoquer un futur plan de paix entre Kiev et Moscou.
Article rédigé par Marion Bothorel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié
Temps de lecture : 7min
Le prince Mohammed ben Salmane accueille Volodymyr Zelensky à Djeddah (Arabie saoudite), pour assister au sommet de la Ligue arabe, le 19 mai 2023. (AFP PHOTO / HO / SPA)

Une trentaine de délégations réunies, mais pas la Russie. L'Arabie saoudite accueille des pourparlers, samedi 5 et dimanche 6 août, afin de discuter des moyens de promouvoir la paix en Ukraine. La liste complète des pays participants n'a pas été dévoilée, mais l'Ukraine, des puissances occidentales, ainsi que des pays en voie de développement, comme le Brésil et l'Inde, y sont attendus. La Russie n'a pas été invitée.

Ces pourparlers sont une occasion pour l'Arabie saoudite d'essayer de se poser en médiatrice dans le conflit en Ukraine, notamment dans les pas de la Turquie. Franceinfo a interrogé Camille Lons, consultante à la Paris School of Economics et spécialiste de la diplomatie du Golfe, pour comprendre l'initiative saoudienne.

Franceinfo : Etes-vous surprise de voir l'Arabie saoudite mener des pourparlers pour promouvoir la paix en Ukraine ?

Camille Lons : C'est étonnant dans le sens où, initialement, on n'attendait pas forcément les Saoudiens sur le dossier ukrainien. Mais ça s'inscrit dans cette tendance plus générale du rôle que veulent prendre les puissances intermédiaires et non occidentales comme le Brésil ou l'Inde. Ces pays n'ont pas toujours eu leur mot à dire et ils peuvent avoir envie de faire partie du processus de paix.

Les Saoudiens veulent apparaître comme des acteurs importants de la scène internationale auprès des puissances occidentales et plus particulièrement des Etats-Unis. Les Américains restent leur partenaire de sécurité privilégié, mais la relation s'émousse un petit peu dernièrement, donc en se positionnant comme médiateurs, ils tentent de gagner en influence, en portant une vision du monde différente, pas forcément alignée avec les Occidentaux. Leur rôle de médiation sur l'Ukraine aide clairement à leur reconnaissance auprès des Brics en vue d'une possible adhésion [le Brésil, la Russie, l'Inde, la Chine et l'Afrique du Sud doivent étudier la candidature saoudienne lors de leur prochain sommet, fin août].

Cet effort de médiation s'inscrit d'ailleurs dans une tendance plus générale de l'Arabie saoudite : depuis des années, le pays tente de s'imposer comme une puissance régionale, capable d'avoir de l'influence sur de grands dossiers internationaux. Il y a quelques années, les Saoudiens ont eu un rôle de facilitateurs de pourparlers dans des conflits de la Corne de l'Afrique. Ils ont aussi mené des tentatives de médiation entre l'Inde et le Pakistan dernièrement. Ce rôle fait partie de l'effort de soft power saoudien, qui s'étend dans quasiment tous les secteurs, jusqu'au sport et à la culture.

Quelles relations l'Arabie saoudite entretient-elle avec l'Ukraine et la Russie ? Comment se positionne-t-elle depuis le début du conflit ?

Dès le début, les pays du Golfe ont été assez hésitants à prendre position contre la Russie ainsi qu'à prendre des mesures de production énergétique, sur le gaz et le pétrole, qui auraient amplifié les sanctions. Riyad a tout de même soutenu les résolutions du Conseil de sécurité de l'ONU dénonçant l'invasion russe en Ukraine, ainsi que celle dénonçant l'annexion russe des territoires dans l'est du pays. Mais cette hésitation des pays du Golfe s'explique par plusieurs raisons : d'abord, par leur volonté de ne pas interférer à l'international et donc de multiplier les partenariats. Pour les Saoudiens, ça s'explique aussi parce qu'ils ont noué une relation spécifique avec la Russie dans le cadre de l'Opep+ [l'Organisation des pays exportateurs de pétrole], ce qui en fait des acteurs indirects du conflit, sur la question énergétique.

La guerre en Ukraine leur a permis de consolider leur poids politique à l'international parce qu'ils ont eu un rôle de régulateurs des prix de l'énergie : on leur a demandé de mettre fin à leur politique de réduction de leur production pétrolière. Limiter leurs exportations a provoqué une hausse des prix du baril à l'échelle internationale, ce qui a eu pour conséquence de limiter l'impact des sanctions imposées à la Russie. Les Russes ont pu exporter à des prix élevés leur production et cette décision a eu un impact direct sur le développement du conflit en Ukraine.

Dans le même temps, l'Arabie saoudite veut maintenir un équilibre dans le dossier ukrainien. Le prince héritier, Mohammed ben Salmane, a senti qu'il ne fallait pas fermer la porte à l'Ukraine non plus, qu'il pouvait y avoir une opportunité diplomatique. C'est pour cela qu'il a initié la venue de Volodymyr Zelensky au sommet de la Ligue arabe, en mai. Au côté de la Turquie, Riyad a joué un rôle inattendu de médiateur, en septembre 2022, qui a permis un échange de dix prisonniers entre Moscou et Kiev. Avec ces pourparlers qui s'ouvrent à Djeddah, leur but est de garder ouverts tous les canaux diplomatiques, d'avoir une relation de travail avec les différentes puissances en jeu et de continuer à se positionner dans cet équilibre entre la Russie et l'Ukraine, en évitant de prendre position pour l'un ou pour l'autre.

L'Ukraine sera présente à ces pourparlers, mais pas la Russie, qui n'a pas été invitée. Que faut-il en attendre, selon vous ?

Je ne pense pas qu'on puisse attendre d'avancée très concrète sur le dossier ukrainien. Déjà, parce qu'il faut préciser que ce ne sont pas des négociations, mais des discussions autour du plan de paix en dix points proposé par l'Ukraine. Les Ukrainiens vont avoir une occasion d'exposer leur point de vue aux pays émergents. Mais ces puissances ne sont pas près de tomber d'accord avec les propositions portées par Volodymyr Zelensky : par exemple, sur le pré-requis ukrainien de retrait de toutes les troupes russes de leur territoire avant de négocier. Des pays comme l'Inde ou le Brésil ont cherché à garder une neutralité dans le conflit et ne seront pas prêts à s'afficher ainsi ouvertement.

En termes de médiation, les Saoudiens n'ont pas le poids suffisant pour y parvenir. Ils sont les hôtes et facilitateurs des discussions, mais pour avoir une capacité de médiateur en tant que tel, il faut avoir un poids économique et politique plus important pour faire avancer les compromis. En revanche, la question qui se pose, c'est : est-ce qu'ils vont réussir à convaincre la Chine de participer ? Elle n'a pas pris part aux dernières discussions alors que c'est le seul pays qui peut peser sur la Russie. Riyad et Pékin se sont rapprochées dernièrement, mais est-ce que cela va convaincre les Chinois de venir ? On ne peut pas encore le dire.

Mais le fait que ces pourparlers aient lieu est en soi un motif de réjouissance pour les Saoudiens. L'organisation de ces discussions est déjà positive pour leur rayonnement international.

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