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Guerre en Ukraine : "Je me sentais totalement impuissant", raconte un volontaire français parti au front

L'acteur et cinéaste Alain Beigel s'est rendu en Ukraine pour combattre l'armée russe après l'appel du président Volodymyr Zelensky. Il a finalement décidé de quitter le pays après le bombardement de la base militaire de Iavoriv.

Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Un membre des forces de défense territoriale ukrainiennes monte la garde à un poste de contrôle à Kiev, le 20 mars 2022. (FADEL SENNA / AFP)

"Je connaissais le risque", assure mercredi 23 mars sur franceinfo l'acteur et cinéaste français Alain Beigel, arrivé le 12 mars dernier en Ukraine pour combattre aux côtés des forces ukrainiennes et s'engager dans la Légion internationale. Il est finalement reparti le lendemain, après le bombardement par la Russie de la base militaire de Iavoriv. "Ça fait le bruit d'un avion à réaction qui vous arrive droit dessus, confie-t-il. Je me sentais totalement impuissant. Quand bien même on m'aurait mis une arme entre les mains, je n'aurais pas été fichu de m'en servir."

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franceinfo : Comment allez-vous aujourd'hui ?

Alain Beigel : Ça va. J'ai été très déphasé, mais aujourd'hui le choc le plus fort que je ressens c'est celui du martyr des Ukrainiens, surtout à Kharkiv et Marioupol. Moi, je suis entier et à l'abri.

"Ça a été une expérience tout à fait unique et un peu traumatisante, mais ce n'est rien comparé à la réalité des populations et des villes quasiment rasées. C'est terrible."

Alain Beigel

à franceinfo

Qu'est-ce qu'il s'est passé cette nuit-là ?

N'ayant pas dormi les deux nuits précédentes, je m'étais couché tôt le samedi soir, vers 20 heures. Je me suis finalement réveillé et levé à 4 heures du matin. Je fumais des cigarettes en buvant de l'eau sucrée puis, vers 6 heures, j'ai entendu un sifflement ahurissant. Ça fait le bruit d'un avion à réaction qui vous arrive droit dessus. Ça part de loin, ça grandit, ça occupe tout l'espace, et ça a été suivi d'une explosion monumentale. Le fracas est vraiment indescriptible. J'ai senti les murs trembler et des choses dans mon corps. Tous les gars sont sortis des chambres et criaient "run, run, run, go !" [Cours, cours, cours, va-t-en !] Je les ai suivi dans la grande cour où il y avait une tranchée en zig zag creusée dans le bitume. On est une cinquantaine à s'être jetés dedans et ça a duré une heure. Il y avait un sifflement toutes les 5 minutes. À ce moment-là, on se recroqueville à mort. On voudrait rentrer sous terre. On est tous serrés les uns contre les autres. C'est un moment particulier parce qu'on sait que ça va tomber, mais où ?

Avez-vous vu la mort arriver sur vous ?

Je me suis fait la réflexion que, dans un moment aussi particulier, chacun réagit en son fort intérieur selon son vécu, son âge, sa situation familiale. En ce qui me concerne, je n'ai pas d'enfant.

"Il y avait des gars qui étaient effrayés et paralysés par la peur. Moi, j'étais résolu."

Alain Beigel

à franceinfo

Je pense que c'est un mécanisme de défense un peu inconscient qui s'est imposé à moi. Je ne me suis pas dit "quel idiot j'ai été de me retrouver ici dans cette situation", je n'ai pas invoqué Dieu pour qu'il m'épargne, je ne me suis pas fait la promesse de ne plus faire ceci ou cela si je m'en sortais. Malgré le stress très grand, j'ai conservé un certain calme. J'attendais et je me disais "s'il me tombe dessus, ce sera ainsi".

Qu'est-ce qui vous a décidé à rentrer en France ?

Toute la matinée, ça a été le chaos. La désorganisation était très grande. Nous étions 400 hommes, pas plus d'un quart avait une arme et les paras russes étaient probablement dans les parages. À un moment, celui qui était devenu commandant des volontaires, un béret vert anglais du nom de Stuart, charismatique, avec un sang-froid extraordinaire et une grande humanité, nous a aligné et nous a dit : "Les gars, la situation est grave. Maintenant ceux qui veulent partir, faites un pas en avant". Quand bien même on m'aurait mis une arme entre les mains, je n'aurais pas été fichu de m'en servir. Je me sentais totalement impuissant. J'ai fait un pas en avant.

Aujourd'hui, que vous dites-vous sur cette expérience ?

C'est une expérience humaine assez forte. On fraternise avec des gens qu'on a jamais vus, venus d'Europe, d'Amérique du Nord, de Nouvelle-Zélande, d'Afrique ou encore de Tahiti. Il y a une émulation et de la sympathie. Mais il y avait beaucoup d'amateurisme selon les militaires aguerris que j'ai rencontré sur place.

"Je ne dirai pas que c'était une folie d'y aller. Je connaissais les risques. L'élan que j'ai eu était réfléchi."

Alain Beigel

à franceinfo

C'est l'appel du président Zelensky qui a été déclencheur pour moi, quand j'ai appris qu'il réquisitionnait les hommes de 17 à 60 ans alors que j'en ai 57. Je connais bien Kiev, j'y suis allé six ou sept fois, au festival de cinéma ou chez des amis. Je me sentais concerné. Je ne fantasmais pas sur le fait d'avoir une mitraillette et de monter sur une barricade, je me suis dit que je me laissais le temps de l'expérience pour savoir si j'allais tenir physiquement mais je me suis retrouvé dans une situation où on ne maîtrisait rien. Et je crois finalement que sans expérience militaire, c'est extrêmement dangereux. Il n'y a pas le temps de former les gens.

Ecoutez l’intégralité de l’interview d’Alain Beigel :

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