Guerre en Ukraine : "Je doute que la Russie puisse tenir toute l'Ukraine et la stabiliser à son profit", estime un spécialiste de sécurité internationale
Julien Théron, spécialiste des conflits et de sécurité internationale, prévient que."les Ukrainiens n'entendent pas du tout se laisser faire".
"Les Ukrainiens n'entendent pas du tout se laisser faire" a affirmé vendredi 18 mars sur franceinfo Julien Théron, enseignant à Sciences-Po, spécialiste des conflits et de sécurité internationale, alors que l'armée russe et ses alliés séparatistes combattent notamment dans le centre de Marioupol, dans l'est du pays, au bord de la mer Noire. La ville "peut tomber", souligne Julien Théron, mais il "doute que la Russie puisse tenir toute l'Ukraine et la stabiliser à son profit". Il note que "l'ensemble de la population manifeste" contre les Russes. "Les Ukrainiens ont parfaitement conscience des acquis des trente dernières années."
>> Suivez les dernières informations sur la guerre en Ukraine
franceinfo : L'armée russe et ses alliés séparatistes combattent désormais dans le centre de Marioupol. Faut-il comprendre que la ville est en train de tomber aux mains des Russes ?
Julien Théron : On peut imaginer qu'elle tombe effectivement. Tomber, c'est aujourd'hui une notion assez relative. Les Russes peuvent tenir l'ensemble de la ville, ce qui ne veut pas dire qu'il n'y aura pas une présence résiliente de résistants. Et en termes politiques, on voit dans plusieurs villes du sud de l'Ukraine des civils qui manifestent très régulièrement contre l'occupation russe avec des drapeaux ukrainiens, avec beaucoup de courage, notamment parce que leurs élus sont arrêtés. Donc les gens pour qui ont voté les Ukrainiens sont arrêtés par les forces russes. Et les Ukrainiens n'entendent pas du tout se laisser faire, à la fois la population civile et les militaires.
Ces manifestations que vous évoquez peuvent-elles empêcher l'emprise totale de l'armée russe ?
L'histoire politique du 20e siècle a montré qu'on a essayé d'aller extrêmement loin dans cette emprise politique. Dans les régimes totalitaires, elle va jusqu'à l'intérieur de l'esprit des gens. Cela passe par une propagande et l'impossibilité d'accéder aux médias. C'est une tendance que l'on observe en Russie aujourd'hui. Les Russes sont divisés, notamment générationnellement, entre ce que savent les plus jeunes parce qu'ils réussissent à aller chercher des informations sur internet, et les plus âgés qui écoutent la propagande dans les chaînes officielles. Et de ce point de vue-là, les Ukrainiens ont parfaitement conscience des acquis des trente dernières années. Et il est absolument inimaginable pour eux de se laisser berner sur le fait que c'est la Russie qui les bombarde, qui empêche même l'arrivée d'eau, de chauffage, auprès des civils... Vous imaginez bien que ce genre de choses est peu vu comme une libération et que cela ne sera pas accepté. D'ailleurs, l'ensemble de la population manifeste. Même les forces spéciales sont en train de préparer une résistance active avec des techniques de sabotage. Je doute que la Russie puisse tenir toute l'Ukraine et la stabiliser à son profit.
Dans l'ouest du pays, des missiles russes ont touché visiblement les environs de l'aéroport de la ville de Lviv. Cela veut-il dire que l'armée russe avance, gagne du terrain, ou est-ce que c'est bien plus difficile à dire ?
Un peu des deux, parce que l'armée russe subit de très grosses pertes. Elle avance tout de même un petit peu, pas beaucoup, de manière laborieuse. Mais il y a quand même une progression relative. En revanche, je pense que ces frappes-là, il faut aussi les lire stratégiquement. Il y a de l'aide militaire qui arrive des pays occidentaux. Et elle arrive par là. Et donc, je pense que c'est aussi un aveu de faiblesse. Il faut que l'on tape là où arrive l'aide militaire parce que cela touche beaucoup dans l'Est.
L'étape supplémentaire de la terreur, ce serait l'arme chimique. Est-ce une idée qu'il faut prendre en compte ?
Quand le Kremlin nous menace d'une utilisation du nucléaire, du biologique ou du chimique, je crois qu'il faut écouter attentivement. De plus, l'utilisation de ce genre d'armement permettrait de créer un choc émotionnel au sein des populations occidentales notamment, qui pourrait éventuellement casser le soutien à l'Ukraine. D'ailleurs le Kremlin a très clairement allégué des choses parfaitement irréelles avec des centres de production d'armes biologiques américaines qui seraient en Ukraine. Il faut faire très attention parce que le Kremlin prévient souvent, teste des hypothèses pour voir notre action. Et si on ne réagit pas, si cela nous ne choque pas, après ils le font. Par exemple, l'histoire du génocide en Ukraine avait été déjà introduite dans le discours du Kremlin en décembre. Et comme personne n'a réagi, deux mois après on a eu : 'Donc il y bien un génocide en Ukraine. On va attaquer militairement'. Et là, on est en train de parler d'armes de destruction massive. Donc, oui, je crois qu'il faut prendre cela très au sérieux.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.