Guerre en Ukraine : comment l'utilisation de missiles américains et russes a provoqué une nouvelle escalade dans le conflit
L'Ukraine a été victime d'une nouvelle série de frappes russes dévastatrices, jeudi 28 novembre. Au total, 91 missiles et 97 drones ont visé des infrastructures énergétiques, selon l'armée ukrainienne, provoquant d'importantes coupures d'électricité dans le pays.
Le président russe Vladimir Poutine a présenté ces bombardements massifs comme la "réponse" de la Russie à l'utilisation par Kiev de missiles américains et britanniques contre des cibles situées sur son territoire. Après bientôt trois ans de guerre, le conflit connaît une nouvelle escalade. Retour en actes sur cette montée en tension.
Acte 1 : l'Ukraine frappe la Russie avec des missiles demandés de longue date à ses alliés
Kiev attendait depuis longtemps une telle autorisation. Le 17 novembre, le gouvernement américain a donné son feu vert à l'envoi de missiles à longue portée ATACMS en Ukraine pour frapper le territoire russe. Une décision prise alors que la Russie intensifie sa pression militaire et engrange d'importants gains territoriaux dans l'Est, rapporte le New York Times.
Le président américain sortant Joe Biden a fait ce choix quelques semaines avant l'arrivée à la Maison Blanche de Donald Trump. Les critiques du républicain à l'égard des milliards de dollars débloqués par les Etats-Unis pour l'Ukraine ont fait naître une incertitude sur la poursuite de cette aide. Tout au long de sa campagne, il a promis de régler rapidement le conflit entre Kiev et Moscou, mais sans jamais expliquer comment. Une promesse qui fait craindre à l'Ukraine et ses alliés un désengagement de Washington.
Deux jours après le feu vert américain, l'armée ukrainienne a tiré pour la première fois une série de missiles ATACMS contre une installation militaire dans la région frontalière russe de Briansk. Le lendemain, l'Ukraine a lancé une nouvelle salve de missiles sur le territoire de son envahisseur. Les projectiles étaient cette fois des Storm Shadow, fournis par le Royaume-Uni.
Acte 2 : Moscou riposte avec l'Oreshnik, son missile hypersonique de dernière génération
Accusant frontalement l'administration de Joe Biden de "jeter de l'huile sur le feu", Moscou a aussitôt haussé le ton. Dans une adresse à la nation prononcée le 21 novembre, Vladimir Poutine juge qu'avec l'autorisation de ces frappes par Washington, "le conflit provoqué par l'Occident en Ukraine a pris les éléments d'un [conflit] à caractère mondial".
"Nous considérons être dans notre droit d'utiliser nos armes contre les installations militaires des pays qui autorisent l'utilisation de leurs armes contre nos installations."
Vladimir Poutinedans une allocution
Le jour même, la ville ukrainienne de Dnipro avait été ciblée par ce que le président russe a présenté comme un "missile balistique hypersonique non nucléaire". Vladimir Poutine a notamment vanté la puissance de feu de cette arme, nommée Oreshnik ("Noisetier"), capable de frapper partout en Europe, même sans être équipée d'ogives nucléaires.
Vladimir Poutine a présenté ce tir comme un "test". Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, l'a lui qualifié d'acte mené par "voisin fou" qui utiliserait l'Ukraine comme "terrain d'essai" militaire et a appelé la communauté internationale à "réagir".
Deux jours plus tôt, Vladimir Poutine avait officialisé une nouvelle doctrine nucléaire. En cas d'attaque "massive" par un pays non nucléaire soutenu par une puissance nucléaire, comme l'Ukraine et les Etats-Unis, le Kremlin se réserverait le droit de frapper avec l'arme atomique.
Acte 3 : l'Ukraine tire de nouveaux missiles balistiques sur la Russie
La Russie a rapporté le 26 novembre avoir été visée de nouveau quelques jours plus tôt par deux frappes ukrainiennes réalisées à l'aide de missiles américains ATACMS. Selon le ministère russe de la Défense, les forces ukrainiennes ont frappé des "installations" dans la région russe frontalière de Koursk, le 23 novembre, près du village de Lotarevka, à 37 km au nord-ouest de la ville de Koursk, et le 25 novembre contre l'aérodrome de Koursk-Vostochny.
Fait rare, le ministère russe a reconnu que plusieurs missiles avaient "atteint leurs cibles" et fait état de deux militaires russes blessés et d'un radar endommagé. Selon lui, trois missiles ATACAMS sur les cinq tirés ont été abattus par la défense antiaérienne russe lors de l'attaque du 23 novembre, et sept projectiles sur huit tirés lors de celle du 25 novembre. Le ministère russe a également assuré "préparer une réponse".
Acte 4 : la Russie intensifie ses frappes
Jeudi, une semaine après le tir de l'Oreshnik, la Russie frappe le territoire ukrainien avec une intensité rare, tirant 91 missiles et 97 drones explosifs. Deux jours plus tôt, déjà, l'Ukraine affirmait avoir été visée dans la nuit par une attaque record de drones russes. Si la défense antiaérienne a déclaré avoir intercepté 79 missiles et 35 drones, ces offensives ont provoqué de lourds dégâts sur les infrastructures énergétiques, déjà fragilisées.
Plusieurs grandes villes ukrainiennes, dont la capitale ukrainienne Kiev, ont subi des coupures de courant, qui ont plongé au moins un million d'Ukrainiens dans le noir à l'approche de l'hiver. "Ces attaques minent littéralement nos sites énergétiques et mettent en danger civils, secours et équipes de maintenance", a dénoncé Volodymyr Zelensky, plaidant une nouvelle fois pour l'envoi par ses alliés d'un système de défense aérienne.
Depuis Astana, au Kazakhstan, Vladimir Poutine a multiplié les avertissements et a brandi l'éventualité de frapper les "centres de décision à Kiev" avec son missile Orechnik si les livraisons d'armement occidental se poursuivaient, rapporte l'AFP. Affirmant connaître avec précision le nombre et l'emplacement des projectiles ATACMS et Storm Shadow en Ukraine, le Kremlin s'est aussi targué de produire plus de missiles que "tous les pays de l'OTAN réunis" et a promis d'intensifier encore la cadence.
En pleine période d'escalade des tensions, l'Ukraine a de nouveau appelé les Occidentaux à une réponse forte contre la Russie avec l'envoi de nouvelles armes.
Acte 5 : des voix en Europe appellent à livrer à Kiev d'autres missiles à longue portée
Face à cette intensification du conflit, le soutien à l'Ukraine continue de se renforcer du côté des Occidentaux. "L'Ukraine doit pouvoir utiliser les armes que nous lui fournissons non seulement pour arrêter les flèches, mais aussi pour toucher les archers", a déclaré Josep Borrell, le chef de la diplomatie européenne, appelant à une stratégie plus offensive, lundi 18 novembre, avant une réunion des ministres des Affaires étrangères de l'UE à Bruxelles lundi.
Au Parlement européen, une résolution non contraignante pour inciter les Etats-membres à livrer davantage d'armes a été adoptée, jeudi. Les eurodéputés demandent aux Vingt-Sept de livrer à Kiev de nouveaux missiles à longue portée, "dont les Taurus", des projectiles de fabrication allemande dont la portée est nettement supérieure à celle des Storm Shadow. Cette décision est motivée par l'utilisation du missile hypersonique Orechnik, mais également par l'implication militaire de nouveaux pays dans le conflit, dont la Corée du Nord et l'Iran, synonyme d'"une nouvelle phase de la guerre".
Si l'Allemagne reconnaît "une terrible escalade", le pays reste prudent, rapporte le journal allemand Die Welt. Le chancelier Olaf Scholz refuse toujours de fournir à Kiev les fameux missiles Taurus, redoutant l'affrontement direct entre la Russie et l'Otan. A la place, l'Allemagne a annoncé dans un communiqué déployer des unités de défense antiaérienne Patriot en Pologne pour protéger un "nœud logistique" stratégique destiné à "la livraison de matériel en Ukraine".
En France, Emmanuel Macron a dénoncé vendredi une "logique d'escalade inacceptable" de la Russie en Ukraine, a rapporté l'Elysée, et martelé que la France continuerait d'aider Kiev aussi "intensément et longtemps" que nécessaire malgré les menaces russes.
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