: Grand entretien Frappes russes en Ukraine : la population fait "preuve d'une résilience vraiment extraordinaire", constate l'ambassadeur de France en Ukraine

Plusieurs villes ukrainiennes, dont la capitale, sont touchées par des frappes russes mardi. Désormais, "l'objectif, c'est de produire plus d'armes en Ukraine, plutôt que de procéder uniquement par des dons ou par des achats", note l'ambassadeur de France en Ukraine.
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L'ambassadeur de France à Kiev Gaël Veyssière, le 13 novembre sur franceinfo (FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

L'intensification des frappes russes en Ukraine, ces derniers jours, "n'est pas un changement de nature [de la guerre], malheureusement cela rappelle la réalité de ce qu'est ce conflit", constate mardi 2 janvier sur franceinfo Gaël Veyssière, ambassadeur de France en Ukraine. De violentes explosions ont encore été entendues mardi dans la matinée dans plusieurs villes, dont Kiev. Vladimir Poutine a annoncé lundi 1er janvier l'intensification de ses frappes, alors que Volodymyr Zelensky, dans ses vœux, a promis de "ravager" les forces russes.

franceinfo : Est-ce que vous avez des nouvelles de vos équipes de l'ambassade, alors que la nuit a été particulièrement difficile ?

Gaël Veyssière : Oui, bien sûr, ils sont toujours aux abris. Il y a eu plusieurs salves d'attaques depuis 2h30 du matin, qui se sont échelonnées régulièrement. La population, comme l'ambassade, est aux abris et il pourrait y avoir encore une vague de missiles qui arriveraient prochainement sur les villes. Kiev n'est naturellement pas la seule ville touchée, beaucoup d'autres grandes villes sont touchées. Comme vous l'avez dit, il y a eu une masse d'attaques dans les jours récents. Le 29 [décembre], c'était quasiment un record par le nombre de missiles tirés. Le 31 [décembre], c'était un record par la durée des frappes de drones, et le 2 janvier, encore des frappes majeures.

Est-ce que quelque chose est en train de changer ? La stratégie russe est-elle en train d'évoluer ?

Les Ukrainiens font preuve d'une résilience vraiment extraordinaire. La terreur russe, et celle de Vladimir Poutine, sont biens connues en Ukraine. Les gens tiennent, les gens font front, les gens sont déterminés. Ce n'est pas un changement de nature, malheureusement, cela rappelle la réalité de ce qu'est ce conflit et ça remet aussi les choses en perspective. Savoir qui est la victime et qui est le bourreau. Qui est l'agresseur, qui est l'agressé. Et cela permet aussi de voir la réalité des choses.

En retour, Volodymyr Zelensky a eu des propos véhéments, lui aussi. Il a promis de "ravager" les forces russes, a lancé une attaque meurtrière en Russie sur la ville de Belgorod. A-t-il les moyens de ses ambitions ?

Les Ukrainiens se défendent, et le font d'ailleurs conformément à la charte des Nations unies, toutes les parties doivent respecter le droit international humanitaire.

"Il ne faut pas mettre les deux belligérants sur le même pied, il y a une victime et il y a un bourreau". 

Gaël Veyssière, ambassadeur de France en Ukraine

à franceinfo

Après, a-t-il les moyens ? L'Ukraine a les moyens, elle développe des moyens. Elle n'en a manifestement pas encore assez, c'est ce qu'elle essaye de faire. Le président Zelensky a annoncé que l'Ukraine allait produire un million de drones ukrainiens en 2024. Et par ailleurs, l'Ukraine n'est pas seule. Elle est aidée par des pays amis et partenaires qui l'aident à s'équiper en matériel militaire.

Mais on a senti la crainte ukrainienne de voir ce soutien occidental s'étioler ces dernières semaines ?

Il y a une crainte ukrainienne, évidemment, qui est due notamment aux difficultés à faire adopter certains paquets de soutien. On espère sortir de cette phase. Pour l'Union européenne, il y a eu quand même un signal très fort qui a été adressé par le Conseil européen le 14 décembre, avec la décision de principe d'ouvrir les négociations d'adhésion avec l'Ukraine. Et puis, vous le savez, il y aura un Conseil européen extraordinaire début février pour les questions financières de soutien à l'Ukraine.

Vous parliez des drones, c'est le nerf de la guerre aujourd'hui. Est-ce que les livraisons européennes, françaises, se poursuivent ?

L'appui français en matière de fourniture de matériel militaire, naturellement, continue. Il va changer progressivement de nature puisque l'objectif, c'est de produire plus d'armes en Ukraine, plutôt que de procéder uniquement par des dons ou par des achats. Mais naturellement, il faut un peu de temps pour basculer d'une stratégie à l'autre. Et par ailleurs, il y a un portage politique de cette vision-là, qui est assuré notamment par Catherine Colonna [ministre des Affaires étrangères], qui se rend régulièrement en Ukraine, puisqu'elle a déjà effectué cinq visites en Ukraine.

Est-ce qu'il y en aura d'autres ? Est-ce qu'Emmanuel Macron a prévu de rendre visite à Volodymyr Zelensky ? Est-ce que le président ukrainien envisage de passer par Paris ?

Pour l'instant, nous travaillons à une sixième visite de Catherine Colonna dans les prochains jours encore, je ne peux pas encore vous annoncer la date, mais dans les prochains jours. Et bien sûr, nous travaillons aussi à d'autres visites.

"Ce qui est très important, c'est de marquer quotidiennement la proximité et la solidarité de la France". 

Gaël Veyssière, ambassadeur de France en Ukraine

à franceinfo

Il est indispensable aussi de travailler avec les Ukrainiens sur la façon dont nous pouvons les accompagner, puis préparer les échéances internationales, notamment le Conseil européen dont je parlais.

Il y a aussi des échéances électorales cette année, et ce sera sans doute crucial. Élections européennes en juin, élections américaines notamment au mois de novembre. Est-ce que l'avenir de Kiev se jouera d'une certaine manière à Strasbourg et à Washington ?

L'avenir d'un pays se joue toujours en lui-même. Et au fond, on l'oublie peut-être, mais au cours des premières heures de l'attaque russe du 24 février 2022, l'Ukraine était seule, par définition, et n'avait pas encore le soutien international dont elle a bénéficié, et elle a pu tenir. Donc l'avenir de l'Ukraine se joue d'abord en Ukraine. Mais évidemment, les partenaires ont un rôle à jouer et en ce qui nous concerne, nous sommes déterminés à continuer à soutenir l'Ukraine, et je pense que c'est évidemment bien sûr l'avis de nos partenaires.

La crainte de Kiev, c'est de voir Donald Trump revenir au pouvoir du côté de la Maison Blanche, parce qu'il s'entend bien avec Vladimir Poutine, c'est de voir la droite ou l'extrême droite prendre plus de place au Parlement européen. Est-ce que l'année 2024 est décisive ?

L'année 2024 est importante. Évidemment, il y a des échéances politiques, mais aussi parce que c'est l'année où la production d'armes en Ukraine doit augmenter et où l'Ukraine doit pouvoir, de plus en plus, compter sur ses propres ressources, produites sur son territoire. C'est cette bascule qui est importante et qui rend cette année stratégique. Mais aujourd'hui, naturellement, ce qui compte et la clé absolue de tout, c'est la résilience et la détermination du peuple ukrainien, et je peux vous dire qu'elle est au rendez-vous.

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