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DERRIERE L'IMAGE. Guerre en Ukraine : à l'hôpital pédiatrique de Zaporijia, des sacs de sable pour protéger les enfants blessés de Marioupol

Le photographe de l'agence Magnum William Keo s'est rendu à l'hôpital pédiatrique de Zaporijia, dans le sud-est de l'Ukraine, pour le quotidien "Libération". L'établissement accueille de jeunes patients du port assiégé de Marioupol, à 220 km de là.

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6min
Milena, 13 ans, est plongée dans un coma artificiel à l'hôpital pédiatrique de Zaporijia (Ukraine), le 19 mars 2022, après avoir reçu une balle en pleine mâchoire en quittant Marioupol.  (WILLIAM KEO / MAGNUM PHOTOS)

"Ces sacs de sable, c'est la première chose que l'on voit. Et c'est complètement surréaliste." La scène, capturée par William Keo, photographe de l'agence Magnum, pour Libération (édition abonnés), se tient dans une chambre sombre de l'hôpital pédiatrique de Zaporijia, dans le sud-est de l'Ukraine. Ce 19 mars, le centre de soins accueille de très jeunes enfants – parfois, des bébés – blessés à quelque 220 km de là, dans l'enfer du port de Marioupol assiégé par les forces russes. 

"On a l'impression d'être dans un sous-sol", mais cette pièce, particulièrement sombre, se situe en réalité au rez-de-chaussée de l'hôpital, relate le photographe à franceinfo. Deux imposantes fenêtres sont presque entièrement calfeutrées à l'aide d'une cinquantaine de sacs de sable et de cartons. La lumière du jour peine à traverser la pièce. Ces sacs de sable, ces cartons, visent à protéger quatre jeunes patients "d'éventuels bombardements" et des balles qui peuvent facilement traverser une fenêtre. 

Milena, 13 ans, est plongée dans un coma artificiel à l'hôpital pédiatrique de Zaporijia (Ukraine), le 19 mars 2022, après avoir reçu une balle en pleine mâchoire en quittant Marioupol.  (WILLIAM KEO / MAGNUM PHOTOS)

"Obligés d'en arriver là"

L'hôpital a jusqu'à présent été épargné, mais "les menaces de bombardements pèsent sur tout le pays", rappelle William Keo, qui poursuit sa couverture de l'invasion russe de l'Ukraine. "Il y a eu des bombardements près de Zaporijia. Ils vivent sous tension." En entrant dans cette chambre "extrêmement silencieuse", où l'ambiance était "pesante", le photographe réfléchit au cliché qui retranscrira ce qu'il observe. "Comment ne pas rentrer dans un espace trop intime", celui de la patiente ? Il décide alors de laisser une large place, dans l'image, à ces sacs de sable illustrant la menace des bombes. "Nous étions frappés de voir qu'ils étaient obligés d'en arriver là", décrit-il. 

"Ils en sont à protéger les hôpitaux, c'est une violence symbolique très forte."

William Keo, photographe

à franceinfo

Selon l'Organisation mondiale de la santé, il n'y a jamais eu autant d'attaques sur le système de santé qu'actuellement en Ukraine. L'agence sanitaire des Nations unies a recensé (lien en anglais) 64 "attaques sur le système de soins en 25 jours" de guerre dans le pays, "causant 15 morts et 37 blessés". "Cela représente entre deux et trois attaques par jour." 

Une balle reçue en pleine mâchoire 

Derrière cette masse de sacs de sable dans la chambre de l'hôpital, Milena, 13 ans, est "plongée dans un coma artificiel", rapporte le journaliste de Libération Pierre Alonso. "Une balle dans la mâchoire qui n'est pas ressortie. Milena a survécu malgré l'hémorragie", écrit-il. Selon les témoignages recueillis par le reporter et William Keo, l'adolescente a été blessée en tentant de quitter Marioupol. "Les forces russes ont réalisé qu'elles avaient blessé des civils. Des soldats l'ont emmenée à l'hôpital le plus proche" avant son transfert à Zaporijia, a-t-on raconté aux journalistes français. 

La chambre accueillait, le 19 mars, trois autres jeunes victimes de la guerre. "Les bruits des instruments médicaux couvraient nos voix. Les médecins chuchotaient pour ne pas réveiller les enfants", se remémore William Keo. Artem, 2 ans, "dormait dans un landau", blessé par des éclats d'obus à la tête et à l'estomac. Masha, 15 ans, "venait d'être amputée". Dans son village, "les bombardements étaient loin, puis ils se sont rapprochés, de plus en plus près", a confié l'adolescente à Libération. Elle se trouvait près d'une garderie et de centres médicaux quand une frappe l'a touchée.

Une autre jeune fille venait d'arriver à l'hôpital, des éclats d'obus l'ayant blessée à la tête. "Elle était complètement terrifiée juste à l'idée qu'on lui coupe les cheveux pour faire une radio", illustre William Keo. 

"Elle criait très fort. Son état de stress extrême a donné cette réaction. Tout lui faisait absolument peur, cela nous a beaucoup marqués."

William Keo, photographe

à franceinfo

Au sein de l'hôpital, les récits de ces jeunes patients ont autant frappé le photographe que les dizaines de sacs de sable visant à les protéger. Ces rescapés de Marioupol, écrit son confrère Pierre Alonso, sont profondément traumatisés. 

L'hôpital se prépare à accueillir "de nombreux enfants"

Une semaine après le reportage de Pierre Alonso et William Keo, une équipe de CNN est allée à la rencontre de Milena, sortie de son coma artificiel. Le reportage montre la jeune Ukrainienne, apprentie gymnaste avant l'offensive russe, pouvant encore difficilement marcher. 

Avec le siège de Marioupol, l'hôpital pédiatrique de Zaporijia, "extrêmement bien organisé", "se prépare à l'arrivée de nombreux enfants", prévient William Keo. Une expression pour définir la situation dans le port assiégé est souvent revenue dans les propos des rescapés : "absolument terrifiant". Des récits "de bombes qui pleuvaient tout le temps", "de tellement de corps dans les rues", d'absence totale d'endroit sûr. "Chaque immeuble civil [de Marioupol] a été touché au moins une fois, décrit le photographe. Le mot 'enfer' est souvent revenu dans les témoignages." 

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