Est-ce bien raisonnable de comparer Poutine à Hitler ?
Plusieurs responsables politiques occidentaux et ukrainiens s'y sont hasardés après le rattachement de la Crimée à la Russie.
Poutine est-il le Hitler du XXIe siècle ? La question est choquante, mais avec le rattachement de la Crimée à la Russie, de nombreuses personnalités de premier plan, de l'ancienne secrétaire d'Etat américaine Hillary Clinton à l'égérie ukrainienne de la "révolution orange" Ioulia Timochenko, en passant par l'opposant russe Garry Kasparov (en anglais), osent le parallèle, quitte à flirter avec le point Godwin. Que penser de ces déclarations ?
"Poutine agit selon le même principe qu'Hitler"
Au centre de toutes ces comparaisons, l'attitude de l'Allemagne nazie juste avant le début de la seconde guerre mondiale. Pour le président ukrainien par intérim, Olexandre Tourtchinov, "les autorités russes ont lancé aujourd'hui un sale jeu pour annexer la Crimée. C'est avec l'annexion de territoires d'autres Etats par l'Allemagne nazie qu'a commencé la seconde guerre mondiale. Aujourd'hui, Poutine suit l'exemple des fascistes du XXe siècle".
Et l'ex-ministre des Affaires étrangères tchèque, Karel Schwarzenberg, d'abonder : "Poutine agit selon le même principe qu'Adolf Hitler". Il poursuit : "Comme il voulait envahir la Crimée, il avait besoin d'un prétexte, et a expliqué que ses compatriotes étaient opprimés. Quand Hitler voulait annexer l'Autriche, il a expliqué que les Allemands y étaient opprimés."
La Crimée, un nouvel Anschluss ?
Il est vrai que l'analogie est saisissante. Adolf Hitler prend l'Autriche puis la région des Sudètes (dans l'ouest de la Tchécoslovaquie) en 1938. Pour justifier ces annexions, le dirigeant nazi invoque la communauté de culture et de sang des habitants et, comme le relève un journal polonais (traduit par Courrier international), l'Anschluss en Autriche est suivi d'un référendum au score écrasant (plus de 99% de "oui"). Enfin, le reste de l'Europe reste passif, jusqu'à se féliciter d'avoir gagné la paix après avoir signé les accords de Munich, en 1938, avec l'Allemagne. Accords qui cèdent aux nazis les Sudètes. Et ce, sans que la Tchécoslovaquie ait participé aux négociations.
De la même façon, Vladimir Poutine a commencé par envahir la Crimée, une "partie intégrante de la Russie" qui lui avait été "volée". Pour lui, les habitants de Crimée sont des Russes. De même encore, il a organisé un référendum gagné d'avance. Enfin, ce n'est pas la première fois que le président russe emploie ce type de méthodes. Il avait prétexté une opération humanitaire pour protéger les russophones séparatistes d'Ossétie du Sud, afin de ravir cette région à la Géorgie, en 2008. Quant aux Occidentaux, depuis le bras de fer perdu sur la Syrie, ils semblent démunis, ce qui fait dire au républicain américain Mike Rogers que "Poutine joue aux échecs, quand nous jouons aux billes".
"Plutôt un parallèle avec Staline"
Est-ce que cela fait de Vladimir Poutine un nouveau Hitler ? Entre le président russe et le dictateur allemand, la comparaison est abusive. Vladimir Poutine n'est pas animé par la volonté de conquérir l'Europe comme le Troisième Reich. Mais il cherche bien à "rendre à la Russie sa puissance évaporée", analyse Alban Mikoczy, correspondant de France 2 à Moscou. Il est en quête d'une "sorte de reconstitution de l'ex-URSS", et souhaite créer un nouvel équilibre mondial avec l'appui de la Chine et de l'Iran. Finie l'hégémonie des Occidentaux.
Jean-Sylvestre Mongrenier, chercheur associé à l'Institut Thomas More, explique d'ailleurs qu'il préfère "plutôt un parallèle avec Staline. On fait toujours dans la réduction 'ad-hitlerum', on ramène tout à Hitler, mais l'histoire russe et soviétique donne d'autres exemples." Il évoque Berlin-Est, Prague (1968) et Budapest (1956). "Il n'y a pas besoin d'aller chercher en Allemagne. Poutine est un nostalgique de l'époque soviétique. Il fait du révisionnisme des frontières de 1991, pour retrouver une plus grande patrie."
D'ailleurs, il note que, pour prendre les Sudètes, Hitler avait dû composer avec "les Occidentaux de l'époque", la France et le Royaume-Uni. Poutine, lui, s'est passé de l'aval de Washington. "Cela va plus vite, le contexte n'est pas le même. Il y avait eu un signal en 2008 [avec la Géorgie], mais on n'a pas voulu en tenir compte. C'est une évidence, il s'agit du commencement de quelque chose de plus vaste", estime-t-il. Toutefois, les Occidentaux ne sont "pas impuissants. Pour parler un peu trivialement, on peut dire qu'il y a du retard à l'allumage. Il faut refonder une politique russe."
Une guerre de propagande menée par les deux camps
Surtout, ces comparaisons entre Hitler et Poutine doivent être prises avec précaution et replacées dans leur contexte. Le chef d'Etat russe n'a eu de cesse de dénoncer les "néonazis, extrémistes, antisémites", qui sévissent à Kiev depuis le départ du président Viktor Ianoukovitch. Des expressions visant à assimiler les nouvelles autorités à l'extrême droite pour mieux les décrédibiliser et faire vibrer la fibre nationaliste russe.
Alexandra Goujon, spécialiste de l'Ukraine qui enseigne à l'université de Bourgogne, analyse : "Poutine ayant mobilisé la rhétorique nazie pour condamner Kiev, ses détracteurs cherchent à montrer que c'est plutôt lui qui a un discours fasciste ou nazi." En Ukraine, pays autrefois soumis au joug stalinien et occupé par l'Allemagne nazie, ces mots sont lourds de sens. Alexandra Goujon relève que pendant la "révolution orange" de 2004, les accusations n'avaient pas été aussi loin. Mais cette fois, l'égérie de ce mouvement, Ioulia Timochenko, ne s'est pas privée de pointer que le monde n'"avait plus entendu de discours comme celui prononcé par Poutine depuis 1938".
Il se joue donc aussi une guerre des mots, de propagande, chaque camp s'accusant d'être fasciste ou nazi. "Le terme 'fascisme' est aujourd'hui très employé en Russie mais aussi contre la Russie. Beaucoup d'analogies sont établies dans les médias occidentaux avec la période de l'entre-deux-guerres, et Poutine est comparé au dirigeant de l'Allemagne nazie", explique Volodimir Fessenko, du think tank ukrainien Penta, à l'agence Reuters. Une rhétorique qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler l'éclatement de la Yougoslavie et la guerre civile en Bosnie, qui ont fait l'objet de références permanentes à la seconde guerre mondiale.
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